Comme La Joconde au Louvre, le Köln Concert de Keith Jarrett est un peu la vitrine du label ECM. Avec ses 4 millions d’exemplaires, c’est non seulement la meilleure vente de l’histoire du label mais aussi d’un album de piano solo ! Enregistré live à l’Opéra de Cologne le 24 janvier 1975, ce disque référence, devenu le point de comparaison absolu de sa carrière, fait partie de ces ovnis intemporels, fugaces et pourtant essentiels, à une époque où l’on pouvait tout oser.
A l’occasion d’une étape de sa tournée européenne commencée en 1973, Keith Jarrett doit se produire à l’Oper Köln, la salle de l’Opéra de Cologne. Seulement voilà, l’artiste est extrêmement fatigué et souffre d’un mal de dos. A cela s’ajoutent quelques soucis techniques. À la place du Bösendorfer model Imperial 290, le plus grand piano de concert qui existait alors, on lui a mis à disposition un piano d’étude en piteux état.
Prévenu quelques heures seulement avant le début du concert, il est impossible à l’organisation de la salle d’obtenir le piano initialement demandé. Jarrett refuse de jouer. Vera Brandes, l’organisatrice du concert, le convainc malgré tout de monter sur scène. Le concert est censé être improvisé. Personne ne sait ce qui va être joué, pas même Keith Jarrett.
Dans un entretien, Keith dira « je n’avais aucune idée de ce que j’allais jouer. Pas de première note, pas de thème. Le vide. J’ai totalement improvisé, du début à la fin, suivant un processus intuitif. Une note engendrait une deuxième note, un accord m’entraînait sur une planète harmonique qui évoluait constamment. Je me déplaçais dans la mélodie, les dynamiques et les univers stylistiques, pas à pas, sans savoir ce qui se passerait dans la seconde suivante ».
Keith Jarrett
Ce dernier s’assied au piano, l’examine, hésite encore, quand la sonnerie de l’Opéra retentit, annonçant le début du concert. C’est avec les quatre notes de cette mélodie que Jarrett commence à jouer. Voilà comment un perfectionniste tel que Keith Jarrett a dû faire face à une situation imparfaite.
Non seulement le piano dont il dispose n’a pas assez de présence dans les touches extrêmes graves et aigus mais la pédale de sustain fonctionne mal. Keith Jarrett doit s’adapter à ces contraintes et jouer essentiellement avec les touches du milieu. Pour compenser la faiblesse dans les basses, il utilise des figures rythmiques répétitives avec la main gauche.
Dès les premières mesures, j’ai compris qu’il avait décidé de ne pas se battre contre l’instrument mais de l’accepter tel quel, et que ça allait avoir une influence sur son jeu, et peut-être l’emmener dans des territoires qu’il n’avait pas forcément l’habitude d’explorer. Je n’étais pas dans la salle mais dans le bus qui servait de régie à l’enregistrement, et j’ai tout de suite été saisi par la splendeur mélodique du motif originel, la façon extrêmement virtuose et naturelle avec laquelle il le transformait en vagues lyriques successives, l’art hautement dramaturgique avec lequel il déroulait cet espèce de fil émotionnel tout du long, sans jamais le lâcher.
Manfred Eicher
PORTRAIT : Keith Jarrett, partisan de l’indétermination ou l’improvisation sans filet
Le résultat est une pièce de musique singulière, « moins complexe » que les morceaux de jazz habituels. Ses improvisations, à partir d’un ou deux accords pendant des périodes de temps prolongées, intègrent des sonorités pop et classiques, en partie en raison de ces contraintes techniques. Cela lui a valu pas mal de critiques et certains puristes qualifient même l’œuvre d’easy-listening. C’est sans doute pour ces mêmes raisons que le disque a trouvé un public dépassant le cadre des amoureux de jazz.
Dernier coup du sort, heureux cette fois, le concert ne devait pas être enregistré mais un technicien décida de poser des micros pour les archives de la salle. Sans cette initiative, seuls quelques élus auraient pu en profiter.
La production de l’album sera difficile, notamment à cause de la mauvaise qualité du piano. Le producteur Manfred Eicher et l’ingénieur du son du label ECM passent plusieurs jours en studio pour améliorer la qualité des bandes.
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Après la sortie de l’enregistrement du Koln concert, Keith Jarrett sera souvent sollicité par des pianistes, musicologues et autres, afin de retranscrire et publier ses improvisations. Pendant des années, il résistera à ces demandes ne voyant pas l’intérêt de la réinterpréter.
En 1990, Jarrett acceptera finalement de publier une transcription autorisée du Koln concert. Seule recommandation du maitre, l’interprète doit utiliser l’enregistrement lui-même comme le dernier mot.
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CREDITS :
Enregistré le 24 janvier 1975 à l’Opéra de Cologne – ECM
- Composed By, Piano – Keith Jarrett
- Design [Cover Design] – B&B Wojirsch*
- Engineer – Martin Wieland
- Photography By – Wolfgang Frankenstein
- Producer – Manfred Eicher
Sources : https://en.wikipedia.org - www.allmusic.com - www.udiscovermusic.com - www.discogs.com - www.ecmrecords.com - www.levinyleclub.com - www.musanostra.com
ca fait trente ans que j’ecoute surtout le un le trois et le quatre
ma femme me dit d’arretter
mais si j’arrette je reprend le fil dans ma tete et je reprend la trompette
je peste je trompe et je peste
des fois je me dis arrette
mais quand j’arette
je repense a keith
Bien jeune lorsque pour la première fois j’ai écouté le Koln concert.
Cela ne s’explique pas, cela s’écoute.
Merci pour ce chef-d’œuvre
Ping : Keith Jarrett, la biographie du virtuose - Boojum
Ce morceau fut une découverte et un éblouissement acoustique !
Depuis plus de 30 ans (…) il traverse ma vie allège les mauvais moments et accompagne avec grâce mes solitudes. Souvenir parfait d’un voyage en voiture en route vers les montagnes….
Ecoute pour la millionième fois de Part 1 du K Concert de janvier 1975. Keith J n’avait pas 30 ans…Qd on pense qu’il a improvisé sur un mauvais Piano! Fluidité des notes,fil émotionnel continu comme l’a écrit celui qui était en régie..Impro propice au rêve,à la commémo aussi.On comprend que N Moretti en ait choisi 4 mn pour le long Travelling de Journal intime où, 18 ans après,il se rend à l’endroit de la sordide banlieue romaine où Pasolini fut sauvagement assassiné.
L’album que j’ai, sans doute, écouté le plus depuis que je le connais. Je l’ai toujours sur moi (dans mon téléphone, dommage pour le son) pour l’écouter en voiture, en courant, en marchant… Il m’a accompagné dans les moments les plus tristes de ma vie m’incitant magiquement à chaque fois à ne pas lâcher la rampe
Je possède l’album vinyle depuis 40 ans recommandé par mon conseiller hi-fi de l’époque pour découvrir une œuvre de piano originale. Je viens de recevoir le même album vinyle car le premier a beaucoup servi pour tester ma chaîne hi-fi dès que je changeais un de ses éléments. Une erreur d’envoi m’a fait écouter la version CD. Les deux « versions » sont fabuleuses mais l’émotion est incontestablement présente avec le vinyle ! Un disque test pour une bonne chaîne hi-fi.