L’Homme à tête de chou est cette sculpture de Claude Lalanne que l’on sait installée rue de Verneuil. C’est aussi le deuxième album concept de Gainsbourg, enregistré sous la direction artistique de Philippe Lerichomme. Un disque incontournable pour toute une génération, éclectique et inventif.
Rue de Lille, parallèle à la sienne, Serge Gainsbourg a remarqué une sculpture de l’artiste Claude Lalanne, L’homme à tête de chou. Il hésite, se ravise, entre finalement dans la galerie et l’achète.
La sculpture à taille humaine représente un homme assis avec un chou à la place de la tête. Claude Lalanne l’a finie cinq jours plus tôt. Elle deviendra le premier double représenté de Serge Gainsbourg, anticipant la figure de Gainsbarre. Claude Lalanne ne voit d’ailleurs pas d’inconvénient, lorsque Serge Gainsbourg lui demande d’en faire le sujet et la pochette de son nouveau disque. Car Serge Gainsbourg a scruté la statue, qui lui a inspiré une histoire.
Serge Gainsbourg L’homme à tête de chou
« J’ai croisé « L’homme à tête de chou » à la vitrine d’une galerie d’art contemporain. Quinze fois je suis revenu sur mes pas puis, sous hypnose, j‘ai poussé la porte, payé cash et l’ai fait livrer à mon domicile. Au début il m’a fait la gueule, ensuite il s’est dégelé et m’a raconté son histoire. Journaliste à scandale tombé amoureux d’une petite shampouineuse assez chou pour le tromper avec des rockers. Il la tue à coups d’extincteur, sombre peu à peu dans la folie et perd la tête qui devient chou… » (Gainsbourg)
1976, ce sont les débuts du punk. Serge Gainsbourg sort de l’échec du film Je t’aime moi non plus (1975). Il décide de donner un tournant à sa carrière. Accompagné d’un nouveau directeur artistique, Philippe Lerichomme, il s’apprête à écrire son troisième album-concept.
Cette histoire d’Homme à tête de chou s’inspire probablement des contes cruels que Serge Gainsbourg s’amuse alors à inventer pour Kate Barry et Charlotte Gainsbourg, qu’il élève rue de Verneuil. Pour foutre la frousse aux filles, il s’aide d’une lampe torche et crée des jeux d’ombre qui précèdent son apparition de fantôme sous un drap.
Une deuxième chose leur fait peur rue de Verneuil : il s’agit d’une autre sculpture achetée par Serge Gainsbourg, L’Écorché, en papier mâché dont on peut voir les entrailles en l’ouvrant.
La nuit, pour éviter de passer devant pour aller faire pipi (elles ont peur que ses yeux s’allument dans le noir), elles se postent à la fenêtre et font pipi dans le jardin des voisins… C’est dans cette ambiance que L’Homme à tête de chou délivre ses secrets…
Les bases musicales sont posées au mois d’août 1976 à Londres, avec le claviériste anglais Alan Hawkshaw dont c’est la troisième collaboration avec Serge Gainsbourg après Vu de l’extérieur et Rock around the bunker.
Puis, Serge Gainsbourg rejoint Jane Birkin, sur un film en Italie. Durant le tournage du film, dans une chambre qu’il a prise en face de la sienne, il s’attèle à l’écriture des textes. Et la nuit, il rejoint l’équipe du tournage. Il amuse la galerie en faisant de la musique avec des casseroles ou en se travestissant.
En septembre 1976, les textes sont prêts. Et Serge Gainsbourg peut poser ses voix au studio des Dames.
Jean-Pierre Sabar n’étant pas de la partie, les arrangements sont confiés au fidèle Alan Hawkshaw et la direction artistique, naturellement, au désormais indispensable Philippe Lerichomme. Sans éviter le stress, partie intégrante de la création, en particulier la sienne, Serge aborde la réalisation de ce nouvel album d’une manière radicalement différente.
« L’homme à tête de chou est un concept-album très personnel, sans concessions, avec d’étonnants exercices de style, qu’il avait travaillés en orfèvre, et puis avec l’introduction du talk-over, c’est-à dire de la voix parlée en rythme, qu’il a régulièrement repris par la suite. Car il savait comme personne poser ses mots sur les mesures avec un sens du rythme qui m’émerveillait. Pour ce disque, il avait peaufiné les textes au maximum avant de les mettre en musique, contrairement à son habitude » (Philippe Lerichomme)
La critique acclame, pourtant les ventes stagnent. C’est une idée potagère (oreilles en chou-fleur -. « Mes oreilles après des mots comme vieux con pédale/ Se changèrent en feuilles de chou » – Premiers Symptômes), quelques années après la sortie du Concombre masqué de Mandryka dans Pilote ! Mais Gainsbourg n’est pas Chourave !
La tête de chou, c’est aussi le « fromage blanc ». C’est aussi l’échec d’un homme qui travaille dans une feuille de… chou – et à scandales. Mais, sous la ceinture, il y a encore à faire, et à défaire.
Un album potager, donc, mais aussi zoophile : kangourou, coiffeur, macaques, Tarzan, Jane, Chita, tous issus du bush urbain. Marilou, shampouineuse, désirs sexuels exacerbés, entame la carlingue déjà abîmée de notre antihéros, qui finit par se rebiffer et endormir la belle « Sous la neige/ Carbonique de l’extincteur d’incendie » (Marilou sous la neige), désespérant jusqu’à la folie de retrouver une innocence perdue.
Gainsbourg mêle dans ses textes plusieurs niveaux de langue, du plus raffiné au plus trivial, « triturant » le discours pour que s’exprime la complexité de la pensée. Il échappe ainsi aux clichés qui voudraient un langage vulgaire pour une chanson décrivant une masturbation, élégant pour une chanson « plus sentimentale ».
« Je fais ce qu’on appelle du talk-over parce qu’il y a des mots d’une telle sophistication dans la prosodie que l’on ne peut pas mettre en mélodie. Vous ne pouvez pas chanter «L’un a son trou d’obus l’autre a son trou de balle», ce n’est pas possible, il faut le dire. Très bel alexandrin d’ailleurs. » (Gainsbourg)
L’oscillation des sons entre dureté (les « ke » ou les « gue » surtout) et douceur ainsi que la prolifération des métaphores (ici l’abus fait sens) soulignent cet égarement fantasmatique entre exultation infantile et violence inouïe. La structure syntaxique, de fait, est légèrement bouleversée. Gainsbourg se plaît encore à rejeter une partie du mot à la fin du vers (pour trouver la rime): « Sans réponse, je pousse le loqu/ et j’écoute… » (Premiers Symptômes) ou « Tandis que Marilou s’amuse à faire des vol/ Utes… » (Variations sur Marilou).
« En musique on a fait des chorus de sax, de guitare, de batterie, mais c’est la première fois que l’on imaginait un chorus sur le plan de la prosodie. Dans «Variations sur Marilou», j’ai pris un thème au niveau des lyrics et j’en ai fait des chorus, étirés sur près de huit minutes… » (Gainsbourg)
Il maîtrise ici parfaitement le talk-over (Marilou sous la neige et Ma lou Marilou sont cependant chantées, le chœur reprenant, quant à la seconde, le titre en refrain), même si sa voix s’égare parfois légèrement dans les graves ; Marilou Reggae, comme son nom l’indique, annonce l’envol du chanteur pour Kingston trois ans plus tard…
Source : www.mistergainsbarre.com – https://fr.wikipedia.org – www.lemonde.fr
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CREDITS :
Enregistré en août 1976 aux Phonogram Studios – Londres et au studio des Dames, Paris – Philips records
- Serge Gainsbourg : composition, chant
- Alan Parker : guitare rythmique
- Judd Proctor : guitare
- Brian Odgers : basse
- Dougie Wright : batterie
- Jim Lawless : percussions
- Alan Hawkshaw : claviers, arrangements
- Kay Garner, Jean Hawker, Clare Torry : chœurs