Si son nom reste méconnu, John Martyn a pourtant rayonné au cœur de la scène folk londonienne de la fin des sixties aux côtés de Bert Jansch, Ralph McTell ou Al Stewart. Il a signé quelques-uns des grands disques de l’Angleterre folk-blues de l’époque. Parmi eux Solid Air, sorti en 1973, reste son chef-d’œuvre. Entre improvisations débridées, mélodies aériennes, chant hanté et à peine articulé, gémissant quelque part entre Van Morrison, Tim Buckley, Coltrane et Skip James.
Élevé par un père ténor d’opérette dans les clubs de Glasgow où il le laisse traîner au milieu des beatniks et des folksingers, Ian McGeachy, qui n’a pas encore pris pseudonyme, apprend à jouer du couteau et des poings autant que de la guitare, jusqu’à être accusé de meurtre.
D’ailleurs, toute sa vie tourmentée sera une suite de sautes d’humeur, de bagarres et d’accidents, souvent conséquences d’un alcoolisme et autres addictions chroniques, mais surtout d’une émotivité et d’une sensibilité débordantes, jamais maîtrisées.
John Martyn Solid Air
Initié au folk par Davy Graham, maître de tous les guitaristes britanniques, il publie son premier album de folk sexy et jazzy en 1968 chez Island, à l’âge de 19 ans.
Marié à Beverly Kutner, il enregistre un duo avec elle à Woodstock, où ils fréquentent The Band, Dylan et Hendrix. Mais, désireux de s’éloigner de la joliesse associée à Donovan et à Cat Stevens, il forge son style unique, âpre, aventureux, profondément original, traitant sa guitare acoustique à travers Fuzzbox, Echoplex et déphaseur, destinés à imiter le son du saxophoniste Pharoah Sanders et les boucles de Terry Riley.
J’ai pensé aux possibilités de la guitare électrique après avoir écouté ‘Music from Big Pink’ du Band. En fait, dans ma naïveté, ce que je croyais être de la guitare électrique était en fait la sonorité de l’orgue Hammond. Mais c’était la première fois que j’entendais de la musique électrique utilisant des textures douces. J’étais intrigué parce que la plupart des gens confondent musique électrique avec hard-rock. Ils ne savent pas qu’ils peuvent l’utiliser autrement. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime Joe Zawinul de Weather Report, parce qu’il explore l’aspect plus doux de l’électronique, comme Terry Riley…
John Martyn
Après deux albums avec sa future épouse Beverley, Stormbringer et The Road to Ruin et un album solo Bless the weather (1971) sort Solid Air en 1973, son chef-d’œuvre, entre improvisations débridées, mélodies magiques et aériennes, chant hanté et à peine articulé.
A l’exception d’une reprise d’un titre de Skip James ‘I’d rather be the devil’, l’album ne comprend que des originaux de John Martyn. Sa voix y est plus que jamais utilisée comme un instrument, la musique se fait expérimentale, mélange subtil de mélodies acoustiques, de rock, de jazz et d’électronique grâce à la présence de Rabbit (claviers), Danny Thompson, Dave Pegg, Dave Mattacks, Richard Thompson et Simon Nichol etc…
La chanson titre de l’album « Solid air », est un clin d’œil à son ami Nick Drake « Tu as vécu d’air solide, je ne sais pas ce qui te travaille à ce point ».
Épaulé par son fidèle ami contrebassiste du groupe folk Pentangle Danny Thompson et par quelques coulées de piano ici et là, Martyn produit un climat très personnel, sombre, organique, proche de l’onirisme.
Sa voix se perd en grognements, hurlements, borborygmes, aux confins de l’inarticulé, à la façon d’un instrument solo comme Van Morrison pouvait le faire à cette époque-là. Les claviers liquides ne peuvent que rappeler les ultimes giclées pianistiques de Ray Manzarek sur « Riders on the Storm » des Doors.
Martyn embrasse ses origines (son père était écossais) puis saute à cloche-pied dans une gigue celtique endiablée sur « Over the hill ». De passage, Richard Thompson, guitariste de Fairport Convention, sort la mandoline pour l’occasion.
« Don’t want to know » développe un groove racé, sensuel aidé en cela par les notes cristallines de piano électrique fusionnant avec les harmonies caressantes de Martyn.
Sur sa relecture de « I’d rather be the devil » de Skip James, Martyn branche son Echoplex, déchaîne tous les diables de son existence tourmentée qui finiront pas le rattraper.
« Dreams by the sea » enfonce le clou du dérapage lysergique avec ce saisissant effet echoplex sur sa guitare Martin alors qu’il revient à ses premières amours avec « The easy blues », faisant étalage de son époustouflante technique guitaristique à la fois intense, percussive et gorgée d’accents improvisés.
Toujours plus surprenant de par son utilisation peu orthodoxe des effets de guitare, noyée de delay, fuzzbox et Echoplex, le songwriter écossais livre avec Solid Air son chef d’œuvre d’écriture et de composition. Classé un peu trop rapidement dans le genre folk, John Martyn aborde un large registre allant du rock au jazz en passant par des touches funk et reggae.
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CREDITS :
Enregistré en novembre/décembre 1972 au Island and Sound Techniques, London – Island records
Acoustic Guitar, Electric Guitar and Vocals – John Martyn
Double Bass – Danny Thompson
Acoustic Piano, Electric Piano, Organ and Clavinet – Rabbit (John) Bundrick
Drums – Dave Mattacks
Bass – Dave Pegg
Congas – Speedy (Neemoi Acquaye)
Vibes on Solid Air – Tristan Fry
Saxophone on Solid Air and Dreams By The Sea – Tony Coe
Mandolin, Autoharp and Violin on Over The Hill – Richard Thompson, Simon Nicol and Sue Draheim respectively
Synthesiser on The Easy Blues – John Martyn
Produced By – John Martyn and John Wood
Engineer – John Wood
Sleeve Design – Fabio Nicoli
Front Cover Photo – John Webster
Inside and back cover photos – Brian Cooke