Le Doctor Robert Moog n’a jamais ausculté personne. Ni touché une guitare. Pourtant, ça ne l’a pas empêché de révolutionner le monde de la musique. Tout débute en 1961. Robert construit et vend des Theremin et songe sérieusement à perfectionner certains modules, mettant en série plusieurs filtres identiques afin d’obtenir une unité efficace.
En 1963, Robert Moog rencontre le compositeur Herb Deutsch. « J’ai rencontré un musicien qui m’a demandé si je connaissais quelque chose en musique électronique. Il s’appelait Robert Deutsch. Il m’a invité à un de ses concerts afin que je puisse écouter sa musique. Peu après, nous avons décidé de collaborer. J’ai alors construit de petits circuits électroniques pour qu’il puisse créer les sons qu’il voulait. Il a pris ces circuits, et en travaillant avec un magnétophone, il a créé une nouvelle musique. C’est de ces premières expériences qu’est né le synthétiseur moog analogique et modulaire.
En 1964, une première version du moog voit le jour – petit piano aux allures de central téléphonique et aux sons venus de l’espace ou du fond des mers – grâce au concours éclairé de deux musiciens, Herbert Deutsch et Walter Carlos. Ce dernier sortira d’ailleurs le premier album totalement composé au synthétiseur moog : le mythique Switched on Bach (des reprises de J.S Bach). En 1968, c’est le carton. Un peu perturbé par l’époque, Walter va changer de sexe : c’est donc sous le nom de Wendy qu’elle va désormais bosser pour Kubrick sur la BO d’Orange mécanique.
D’abord utilisé par quelques azimutés oscillant entre jingles, avant-garde et easy listening (Jean-Jacques Perrey, Gershon Jingsley, Dick Hyman, Claude Denjean, Hugo Montenegro…), le synthétiseur moog s’infiltre rapidement dans l’univers de la pop music.
Les Beatles s’en procurent un (George Harrison enregistrant illico le disque Electronic Sounds), puis sur l’album Abbey Road des Beatles en 1969, les Rolling Stones également (Mick Jagger s’achète un modular moog pour une somme astronomique mais, incapable de s’en servir, il le revend à Tangerine Dream). Le moog devient synonyme d’exploration sonore, aspirant la pop dans une quatrième dimension novatrice.
L’instrument en question ne se présente pas comme un clavier de plus : ses bleeep sidéraux apportent un peu plus d’épaisseur et une touche cosmique et pré-acid aux productions. Tous les grands artistes, Herbie Hancock, Sun Ra, Frank Zappa, Kraftwerk, Brian Eno, Moroder, l’utilisent. En en jouant de façon moins pop, des petits génies comme Mort Garson (Zodiac Cosmic Sounds), Richard Pinhas (Heldon), Tonto’s Expanding Head Band (deux bonshommes qui vont initier Stevie Wonder au moog à l’occasion de ses chef-d’œuvres du début 70’s), Beaver & Krause ou Michael Bundt préfigurent ce qui deviendra la techno.
Années 80 : dépassé par les progrès de l’ère numérique, le synthétiseur moog rejoint les greniers de l’histoire de la musique, bien rangé au rayon ringard. Un cycle passe. Aujourd’hui, en ces temps de postmodernisme réhabilitateurs, le moog (et ses sonorités finalement si humaines) redevient très in.
Moon Safari, l’album de Air, en regorge, The Moog Cookbook refait du Wendy Carlos, les Chemical Brothers (sur Got Glint), réarrangent ces sonorités façon techno spatiale ou encore Radiohead (Ok computer).
Quant au Docteur Robert Moog, il s’est remis à construire des bécanes estampillées à son nom. Le voyage (musical) sur Pluton redevient carrément d’actualité.
© Technikart – Jean-Luc Mélenchon