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Adapté d’une nouvelle de Stefan Wul dans laquelle les humains ont quitté la Terre rendue inhabitable par les conflits, ils sont recueillis par les Draags et réduits à l’état d’animaux de compagnie, ils finiront par se rebeller. Si le film d’animation la Planète sauvage a prit un certain coup de vieux, la musique, elle, s’est formidablement bonifiée avec le temps !  Signée Alain Goraguer, cette bande sonore psychée n’a jamais disparu des radars et s’échange de blog en blog, tenu pour un sommet du genre psychédélique à la française et un moment inspirant pour les musiques électroniques.

Arrangeur pour Boris Vian, Gainsbourg, Brigitte Fontaine, Jean Ferrat et de toute la variété française pétillante des sixties, le pianiste de jazz Alain Goraguer a déjà signé pléthore de musiques de films (28 en tout de 1954 à 1973) quand il s’attaque à son œuvre la plus singulière Alain Goraguer la Planète Sauvage. Goraguer a déjà travaillé avec René Laloux et Roland Topor sur les Temps morts, un court métrage de 1964 qui moque la tendance qu’a l’être humain à se sauter à la gueule pour un rien.


Alain Goraguer la planète sauvage

C’est Topor qui m’a présenté à Laloux, raconte Alain Goraguer. Topor était un copain, je ne sais plus où je l’ai rencontré, mais on se marrait bien. Il avait un rire extraordinaire et toujours des idées folles. Dont celle d’adapter en dessin animé une nouvelle de Stefan Wul, dans laquelle les humains ont quitté la Terre, rendue inhabitable par les conflits. Recueillis par les Draags et réduits à l’état d’animaux de compagnie, ils finiront par se rebeller.

Laloux m’a donné carte blanche pour la musique, sans indications particulières. J’avais juste les minutages : « Il faut une musique là, de 8 secondes à une minute et demi », etc. Il est venu en studio assister à l’enregistrement, mais n’ayant pas une fibre très artistique, il m’a fait confiance. Il était davantage un technicien, un maître d’œuvre. Chez Topor, par contre, il y avait vraiment une matière vivante.

Alain Goraguer
alain goraguer la planète sauvage
Alain Goraguer la planète sauvage

Le résultat final soude musique, image et scénario en un bloc indissociable. «Le film était achevé quand j’ai commencé à travailler sur la musique. Ce qui m’a frappé c’est l’animation, la façon qu’ont les personnages de se déplacer, comme un ralenti permanent. C’est ce qui m’a inspiré le thème lancinant qui forme le socle de la B.O. C’est une musique qui peut ralentir ou accélérer tout à coup.

Alain Goraguer

L’affaire sera composée puis enregistrée dans un studio des Champs-Élysées en une semaine. « Tout était écrit, et puis ça a été fait en direct. Les musiciens ont mis leur grain de sel en jouant ad lib. Ils ont été tout à fait remarquables. » se rappelle Goraguer.

alain goraguer la planète sauvage
Alain Goraguer la planète sauvage

Tout y est fondé sur une boucle mélodique tendue, perpétuellement dans l’attente, appuyée par une basse métallique et un synthétiseur placé très en avant – choix iconoclaste pour une musique de film français au début des années 70.

En effet, même si les machines et les sons électroniques ont, depuis le thérémine, toujours été utilisés pour mettre en musique les mondes futuristes (dans Planète interdite, en 1956, par exemple), «le synthétiseur n’était utilisé à l’époque que pour accompagner des chanteurs ou donner une consistance différente aux orchestres, jamais comme instrument soliste», dit Goraguer.

C’est ce que tente la Planète sauvage, sans pour autant sacrifier la poésie flippante des images de Topor à une modernité musicale envahissante : le synthétiseur EMS VCS-3 de Jean Guérin (utilisé par Brian Eno, Tangerine Dream, Jean-Michel Jarre ou Depeche Mode) mène bien la danse, mais sonne tel un clavecin d’une autre planète, un instrument suranné.

Alain Goraguer la planète sauvage

Alain Goraguer joue ensuite au besoin l’apaisement ou l’emportement, faisant basculer sa BO vers un psychédélisme aussi drogué que les dessins («On était en plein LSD. Il était admis qu’un créateur comme Topor prenne de la drogue») ou vers la blaxploitation, cette musique héritée de la soul créée pour les films afro-américains des années 70.

Je m’en suis beaucoup nourri, notamment la musique de Shaft qui est sorti deux ans avant la Planète sauvage et nous a tous beaucoup marqués. Ce film (et son cultissime thème signé Isaac Hayes) a inscrit la guitare wah wah dans le paysage sonore. L’idée était de s’éloigner des codes et des sons de la guitare rock. Nous avons donc utilisé beaucoup de pédales et d’effets. C’était très novateur pour l’époque.

Alain Goraguer

La bande-son de la Planète Sauvage est composée de 25 courts morceaux, un certain nombre d’entre eux reposant sur un thème principal décliné comme c’est l’usage. Aux côtés de Jean Guérin au synthétiseur EMS VCS-3, Goraguer va réaliser une bande-son d’une singularité totale pour cette époque, en incorporant de nombreux effets électroniques à ses compositions très « psyché ».

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La guitare wah-wah est omniprésente dans le trip cosmique de cette planète sauvage. Quant à la guitare électrique, elle éclate en complaintes stridentes dans le générique. Certains climats sont très angoissants (écoutez L’Oiseau), et là, le Pink Floyd façon Syd Barrett n’est pas très éloigné des arrangements complexes et énergiques de Goraguer. Les chœurs féminins bourgeonnent en explosions suaves à la Bardot-Gainsbourg.

Alain Goraguer la planète sauvage

Parmi la palette très riche de cette bande sonore, notons la balade romantique désincarné (Mira et Ten), la valse enlevée, (Les Fusées), et le funk éhonté à la Shaft (Course de Ten).

Pour être à la hauteur de sa formation initiale de jazzman, Goraguer manie le swing en variant la vitesse de son jeu. Il accorde flûtes, sax (Strip Tease), orgue électrique Hammond, marimba, Theremin, Harpischord et Clavinet (Le Conseil des Draags) à un riff de basse ternaire qui forme le thème principal de la bande originale.

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Il pratique aussi la personnalisation musicale : chaque étape de l’évolution du personnage de Terr, de l’enfant terrifié au leader de la rébellion, est marquée par l’utilisation d’un instrument précis. Les fréquences aiguës de flûtes enfantines (« Le Bracelet ») cèdent la place à un saxophone ténor (« Strip Tease »), puis aux hurlements de guitares saturées lors de la séquence d’extermination des Oms par les Draags (« Déshominisation II »).

Le disque est une fusion de styles entre rythmes funk, jazz, rock psychédélique dans l’esprit des partitions de Lalo Schiffrin période Bullitt , des jerks de Michel Colombier, ou de François de Roubaix pour l’éclectisme sonore… L’instrumentation est très riche : flûtes, marimbas, bongos, guitares wah wah, orgue Hammond, cordes et même un Theremin !

Alain Goraguer la planète sauvage

Alain Goraguer ne reviendra jamais à la SF mais s’amusera, entre deux disques de Ferrat, à produire de la musique pour des films pornos. René Laloux ne fera pas appel à lui pour les Maîtres du temps, en 1981.

Le disque de la Planète sauvage, bien réédité, n’a jamais disparu des radars et s’échange aujourd’hui de blog en blog, tenu pour un sommet du genre psychédélique à la française et un moment inspirant pour les musiques électroniques naissantes.

Des extraits de l’album ont été samplés par Madlib (Quasimoto), J Dilla, Flying Lotus, DJ Shadow, KRS-One, Hocus Pocus, etc.

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CREDITS :

Enregistré en 1973 au studio Washington – Paris – France – Intoxica Records

Cette publication a un commentaire

  1. Pascal Rollet

    Bonjour… je cherche à recréer le son de guitare sur cette bande magnifique. J’utilise les amplis virtuels de garage band. J’ai une fender stratocaster et une pédale wahwah, mais j’ai du mal a trouver le bon son.. si quelqu’un a une idée, ce serait avec grand plaisir! Merci

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