Août 1994. La première fois que l’on entend la voix de Beth Gibbons. Portishead Dummy. On pressent, avec la pochette, que le cœur est écorché. À l’écoute il s’épanche, en poésie, en intimité dépouillée. Cette année-là, Portishead était né, Bristol devint Bristol, l’endroit du monde à jamais marqué par le courant trip hop.
En 1991, le programmateur et organiste Geoff Barrow s’associe à la chanteuse Beth Gibbons pour former Portishead Dummy, du nom d’une station balnéaire du Sud de l’Angleterre où est né Barrow.
A Portishead, tout le monde me disait que je n’arriverais à rien, que je n’avais aucun talent, se souvenait-il alors. A l’école, le mot ’créativité’ était banni. Mais pour moi déjà, c’était la musique ou rien. Pendant des années, je me suis recroquevillé dans ma chambre avec mes ordinateurs et mes instruments. Mais comment un pauvre gosse, perdu à Portishead, pourrait-il un jour toucher ce monde inaccessible de la musique et en vivre ?
Portishead dummy
Ingénieur du son, Barrow a déjà travaillé sur Blue Lines, le premier disque de Massive Attack, ainsi qu’avec Neneh Cherry. Éprise de folk et de blues, Gibbons est, elle, fascinée par Billie Holiday et Karen Dalton. Le duo est bientôt rejoint par le guitariste Adrian Utley.
Portishead signe avec le label Go ! Disc Records et commence par réaliser un court métrage, «To Kill a Dead Man», dont l’affiche figure au dos de la pochette de Dummy. Annoncé par les singles « Glory Box» et «Sour Times», ce disque paraît en 1994, inventant le trip hop à lui seul.
Geoff Barlow, la moitié musicale de Portishead, raconte l’album Dummy :
Beth n’aime pas chanter en studio. C’est un véritable calvaire pour elle, je suis obligé de la soutenir, de lui parler tout doucement. Lorsque je suis trop concentré sur la production, j’oublie d’être diplomate avec elle. Alors on se chamaille, elle fait la tête… Parfois, j’arrive à enregistrer sa voix en quelques prises, en quinze ou vingt minutes : c’est terriblement jouissif. Sinon, il faut attendre une heure ou deux avant un résultat satisfaisant, le labeur prenant alors le pas sur la spontanéité.
Le résultat est un mélange de basses sourdes, de rythmes hip hop lents, d’orgue Hammond ronronnant et de samples obscurs. Le trip hop trouve ses lettres de noblesse avec Portishead. Le chant plaintif et cinématographique de Gibbons donne une ambiance irréelle au disque.
J’écris les musiques toujours en premier, le plus souvent à partir d’un clavier. Ensuite, Beth et moi discutons des mélodies : on se met d’accord sur un climat, une ambiance générale, et deux ou trois jours plus tard, Beth me propose une mélodie de chant. Je n’ai jamais fait un seul commentaire sur ses textes.
Dans le studio, nous avons un grand tableau noir sur lequel nous inscrivons le titre des chansons et leur style : lent, très lent, triste, soul, mélancolique… Le tableau noir est un outil essentiel pour organiser un disque comme Dummy, pour éviter les répétitions, les redites inutiles.
Ma méthode d’enregistrement est assez étrange, mais elle convient parfaitement à Portishead. Je fais la plus grosse partie du travail au studio State Of Art un petit seize-pistes dans une zone industrielle, près de Bristol. J’installe tout le matériel dans une seule pièce, avec quelques micros d’ambiance.
Nous jouons à trois, en prise directe : batterie, basse et guitare. Ce qui devrait normalement constituer une maquette devient alors la base du morceau. Je sample ce que nous avons joué et concentre l’ensemble sur quelques pistes. Je trafique le son, j’ajoute des effets, d’autres échantillons. Ça donne ce son écrasé, intime. Enfin, au tout dernier moment, nous louons un vrai studio professionnel pour y enregistrer la voix de Beth et mixer l’ensemble.
Les pros de la technique ne comprennent pas cette méthode, ils me traitent de gugusse, me disent que je devrais accorder plus de soin à la batterie et à la basse mais moi, je me sens parfaitement à l’aise comme ça.
Portishead remporte tous les suffrages et le disque décroche le prestigieux Mercury Music Prize devant Oasis, Pulp et PJ Harvey !
Il faut attendre 1997 et les singles «Cowboys» et «All Mine» pour le retour du groupe. L’album Portishead, en octobre 1997, reçoit un bon accueil, bien que la formule commence à se répéter.
Un album live, Roseland NY Live, paraît l’année suivante. Il permet de comprendre la dimension scénique du trio, qui joue alors avec un orchestre d’une trentaine de musiciens, et donne libre cours à ses fantasmes musicaux.
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CREDITS :
Enregistré 1993–1994 au State of Art and Coach House Studios, Bristol, England
- Bass – Adrian Utley (tracks: B1 to B3)
- Drums – Clive Deamer (tracks: A1, A3, A5, B1 to B4)
- Electric Piano [Rhodes] – Geoff Barrow (tracks: A1, A3, A4, B4)
- Engineer – Dave Mc Donald*
- Guitar – Adrian Utley (tracks: A1 to A3, A5, B2, B5)
- Management – Fruit (8)
- Producer – A Utley*, Portishead
- Programmed By – Geoff Barrow (tracks: A5, B1 to B3, B5)
- Vocals – Beth Gibbons
- Written-By – A Utley* (tracks: A1 to A3, B1 to B3, B5), B Gibbons*, G Barrow*
Samples
Johnnie Ray – sample of « I’ll Never Fall in Love Again » on « Biscuit »
Isaac Hayes – sample of « Ike’s Rap II » on « Glory Box »
Lalo Schifrin – sample of « The Danube Incident » on « Sour Times »
Smokey Brooks – sample of « Spin It Jig » on « Sour Times »
Weather Report – sample of « Elegant People » on « Strangers »
War – samples of Magic Mountain on « Wandering Star »