Né à Rio de Janeiro le 19 janvier 1944, Francisco Buarque de Hollanda grandit à Sao Paulo et en Italie : son père, l’un des plus importants historiens et écrivains du Brésil moderne, tient table ouverte, accueillant chaque soir des amis – intellectuels progressistes – qui concourent au développement du jeune Chico.
Ecrivains, poètes et musiciens (comme le diplomate Vinicius de Moraes) l’initient aux nouvelles sonorités de la bossa (et de son maître du moment, Joao Gilberto). Chico Buarque se prédestine alors à une carrière d’architecte, et entame en ce sens des études d’urbanisme à l’université de Sao Paulo.
A l’instar du grand compositeur Antonio Carlos Jobim, ces velléités n’ont qu’un temps (il mènera néanmoins son cursus jusqu’en cinquième année de faculté), et le jeune Chico préfère bien vite écumer en compagnie de ses amis musiciens, maîtres ès bossa, les bars musicaux de la ville.
En 1965, alors qu’il ne peut revendiquer que quelques concerts balbutiants dans certains établissements scolaires de la cité, Chico Buarque enregistre son premier disque. Il s’agit de « Pedro Pedreiro », aimable rengaine composée pour le compte d’une pièce de théâtre.
De façon plus significative, trois de ses compositions sont interprétées par Nara Leao, impératrice de la nouvelle bossa. En 1966, alors âgé de 21 ans, il connaît son premier authentique triomphe, grâce à « A Banda », chanson lauréate du concours de la télévision TV Record. Le style journalistique de la rengaine (contant le passage d’une fanfare dans un village, à peine tiré de sa léthargie par le défilé éphémère des musiciens) emporte au moins autant l’adhésion du public, que les yeux verts et les mimiques enjôleuses de l’interprète. Ce dernier devient instantanément le gendre idéal dans le cœur des mères brésiliennes, et l’un des compositeurs les plus en vue du moment.
L’enfance de l’art
Sans mettre systématiquement en avant ses convictions politiques, Chico Buarque n’est pas le benêt que veulent faire croire certains de ses collègues, comme les peu charitables Gilberto Gil ou Os Mutantes, farouches tropicalistes, qui soulignent à l’envi ses options esthétiques supposées conservatrices. Alors, et nous sommes en 1968, Buarque prend des risques, mettant en musique « Roda Viva », pièce tournant en dérision l’aliénation des fans de musique populaire.
Dans le texte de cette pièce, les laudateurs énamourés déchiquètent la star, dévorent son foie, et jettent des lambeaux du corps (en fait, des morceaux de poulets !) dans le public. Les militaires, qui tiennent en coupe réglée le pays, se montrent naturellement particulièrement intéressés par ce spectacle subversif (des soldats sont envoyés sur site afin de perturber les représentations), ce qui vaut à Chico Buarque quelques jours d’emprisonnement. Le Brésilien y gagne une légitimité politique, une assise populaire, et la définitive reconnaissance de ses pairs.
L’enfant du pays
Chico Buarque décide toutefois de s’exiler en Italie, où il séjourne quelques mois. A son retour au pays, en 1971, il trouve un milieu de la chanson brésilienne totalement sinistré : les plus farouches opposants au régime militaire sont, soit emprisonnés, soit en exil, soit totalement muselés par la censure, les plus tendres se retrouvant sous le permanent contrôle du pouvoir dictatorial. Buarque parvient malgré tout à enregistrer quelques chansons qui, par la duplicité de leurs textes (« Apesar de você », ou « Calice, calice », certes, mais également tais-toi), parviennent à la fois à déjouer les pièges de la censure, et à la fois à devenir d’importants succès populaires.
La même année, il enregistre un album, Construção, conçu comme une rupture affirmée de ses années de jeunesse. L’écriture et la composition ont pris de l’ampleur, l’épaisseur, donc, la profondeur, sont venues avec les années, et le romantisme naturel du chanteur est désormais nourri de commentaires explicites sur la situation sociale, économique, et politique.
A cette époque, les militaires mettent un point d’honneur à débusquer toute création malvenue de l’artiste, déclaré alors interdit d’antenne. Afin de contourner l’ostracisme, Chico Buarque enregistre ainsi Sinal Fechado (Feu Rouge) des oeuvres d’autres compositeurs, comme Paulinho da Viola, ainsi que d’un certain Julinho da Adelaide, qui n’est que l’un de ses pseudonymes. Cela aura comme conséquence que la junte militaire exigera désormais que chaque dépôt d’œuvre se voie joindre la copie d’une pièce d’identité.
Même si le Brésilien met cette période à profit pour se réconcilier définitivement avec des compagnons de route comme Gil et Veloso (de retour au Brésil en 1972 – ils constituent désormais tous trois le brelan d’as de la chanson brésilienne), la situation économique de Chico Buarque devient délicate : la censure refuse en effet la majorité de ses œuvres.
L’enfant de la liberté
Dans les années 80, le Brésil se démocratise (un élan sanctionné par le départ des militaires du pouvoir en 1985). Chico Buarque n’est désormais plus bridé dans son inspiration, tant au niveau des textes (toujours d’une grande sensibilité) que de ses compositions (la marque de fabrique du compositeur restant une insatiable richesse harmonique). En 1989, « Essa moça ta diferente », chanson enregistrée en 1969, est utilisée dans la publicité d’une marque boisson gazeuse. Le succès est mondial, relancera la carrière de Buarque, et rejaillira sur l’ensemble de son œuvre.
En 1998, Mangueira, école de samba de Rio de Janeiro, remporte le premier prix du défilé du Carnaval, grâce à un hommage à Chico Buarque. En France, des chanteurs comme Claude Nougaro (l’immortel « O que serà »), Didier Sustrac ou Georges Moustaki, adaptant ses chansons, contribuent à sa renommée.
Chico Buarque s’autorise désormais des rencontres avec d’autres artistes (Edu Lobo, Gal Costa), des aventures inédites (comme l’enregistrement d’albums…instrumentaux), écrit des pièces, des romans (Budapest est lauréat de nombreux prix), et compose des musiques de films.
Il creuse sa fascination pour les racines musicales historiques du Brésil, et tente d’en percevoir l’évolution future, sans omettre sa propre remise en question. Il est entré dans l’histoire musicale du Brésil grâce à sa voix chaude son charisme naturel, et son écriture infiniment poétique.
© Christian Larrède