Si les Beastie Boys n’avaient sorti qu’un seul album, leur premier, «License To ill» (1986), ils seraient sans doute passés à la postérité comme de vilains garnements blancs agités du bulbe capables de glapir un rap tendance punk super efficace, vendu à millions grâce à son refrain crétin « You got to fight for your right to paaaaarty…
Sauf que les trois garçons de Brooklyn valaient mieux que ça ! Et ils décident de passer le fameux cap du « difficile deuxième album» en détricotant méthodiquement tout ce qui avait fait leur succès et leur fortune trois ans plus tôt. Bienvenue dans Beastie Boys Paul’s Boutique, disque bric-à-brac où les Beasties décident de laisser libre cours à toutes leurs envies, entre rap pur et dur, instruments «organiques» et réminiscences jazzy, notamment dans le jeu de batterie.
Beastie Boys Paul’s Boutique
En 1989, Ad-Rock, Mike D et MCA quittent donc l’écurie de référence Def Jam et délaissent leur fief de Brooklyn le temps de l’enregistrement de Pauls Boutique.
Seuls deux morceaux y seront enregistrés (sur vingt-trois], mais Manhattan sera représenté sur la pochette avec un panoramique d’un carrefour du Lower East Side qui connaît là son quart d’heure de gloire.
L’enseigne Paul’s Boutique a été accrochée Le temps de la photo, représentant un magasin qui n’est juste qu’une illusion, comme cette musique, vaste assemblage de samples.
Embarqués à Los Angeles dans le studio du producteur Mario Caldato Jr., les trois compères veulent inventer une nage à contre-courant du flot de décibels et de riffs lâché par Rick Rubin sur Licensed to ill.
A Los Angeles, l’histoire bascule lorsque le trio rencontre les Dust Brothers. Le groupe choisit de confier le son et la direction de l’album à ces deux producteurs-bidouilleurs de génie, qu’on retrouvera plus tard aux côtés de Beck sur «Odelay».
Une réelle alchimie s’opère entre les Frères Poussière et les Garçons Bestiaux, au point de transformer cet album en laboratoire où toutes les expériences sont permises. L’obsession de changement amène les Beastie Boys à lire les notices de ses samplers pour en presser un maximum de jus. Ils utiliseront un nombre stupéfiant de samples (rien que sur Shake Your Rump on entend un bout du Good Times Bad Times de Led Zeppelin, une rythmique de James Brown, des emprunts à Rose Royce et quelques bricoles piquées à des collègues rappeurs).
De la prouesse technique, l’exercice va virer à un grand n’importe quoi où toutes les influences revendiquées directement ou non se trouvent citées, rassemblées façon puzzle pour constituer l’ossature musicale de ta bête.
Si l’interlude 5-Piece Chicken Dinner reprend directement les banjos rednecks en diable de Délivrance, d’autres empruntent avec plus de finesse à la banque mondiale de la musique.
En moins de trois minutes, Egg Man réunit Sly and the Family Stone, Public Enemy, Funkadelic, Curtis Mayfield, Bernard Herrmann et Kool & the Gang.
La musique blanche est elle aussi honorée ou pillée (tout dépend si on se place du côté du fan ou de l’avocat), et les Beatles sont pour la première fois cités, comme sur The Sounds of Science, où passent l’avion de Back in the U.S.S.R, la batterie de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, la guitare de The End et le hautbois de When I’m Sixty-Four, au milieu d’une ligne de basse de Shaft et de citations de James Brown ou Boogie Down Productions.
Côté textes. Les trois s’amusent tout autant à jouer des références avec des allusions plus ou moins fines, de la Fureur de vivre à Taxi Driver en passant par tout un name dropping infernal. Ce grand bouillonnement, l’histoire s’en souviendra lorsque le sample se paiera et deviendra la clé de voûte d’une branche de la musique des années 1990, de l’abstract hip-hop de DJ Shadow à Amon Tobin puis des manipulateurs en tous genres, de 2 Many DJ’s à GirL TaLk.
Aucun single tubesque sur ce disque mais plein de titres qui d’emblée retiennent l’attention, comme Egg Man, The Sound Of Science et l’hilarant 5-Piece Chicken Dinner, interlude inattendu, graisseux et jouissif entre Hey Ladies et Looking Down The Barrel Of A Gun!
Au moment de sa sortie à l’été 1989, malgré les critiques dithyrambiques, Beastie Boys Paul’s Boutique mettra des années à s’imposer, sa réputation passant par le bouche à oreille, comme un bon plan qu’on se refile entre amis.
Devenu culte, considéré comme un album référence, il sera la première borne dans la nouvelle direction musicale des Beastie Boys, qui se consolidera par la suite sur «Check Your Head» (1992) ou «Ill Communication » (1994).
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CREDITS :
Enregistré entre 1988 et 1989 au Mario C’s, Los Angeles – The Opium Den et The Record Plant, New York – Capitol Records
- Beastie Boys – producer
- Allen Abrahamson – assistant engineer
- Mario Caldato Jr. – engineer
- Mike Simpson – producer, turntables, ensemble
- The Dust Brothers – producer
- Matt Dike – ensemble