Artiste maudit, héro romantique à la gloire posthume, Nick Drake suscite volontiers la fascination pour des critères extra-musicaux qu’il partage notamment avec Syd Barrett, à savoir la souffrance psychique et le mystère entourant le personnage. La douleur morale irradie l’intégralité de sa musique et participe évidemment à son extraordinaire et sombre beauté.
Les chansons de Nick Drake, à la fois timides, élégantes et baroques constituent les plus belles splendeurs du mouvement folk britannique. Ses compositions, imprégnées de musique classique sont également le théâtre de réminiscences médiévales et parfois jazzy.
L’alliance envoutante de son jeu de guitare atypique, délicat, soyeux, et de son chant mélancolique, tourmenté, presque murmuré, reste sans équivalent dans le vaste monde de la musique populaire. Son catalogue, relativement maigre mais très consistant, se révèle en vitrine idéale de son génie maussade et torturé.
Nick Drake, né Nicholas Rodney Drake le 19 juin 1948 à Rangoon, passe les deux premières années de sa vie en Birmanie. Entouré de son père, Rodney Drake (1908-1988), ingénieur dans une compagnie anglaise, de sa mère, Molly (Mary Lloyd 1915-1993) qui compose des chansons en amatrice et de sa sœur Gabrielle, son aînée de 4 ans. En 1951, la famille décide de retourner dans le Comté du Warwickshire, en Angleterre. Ils habitent « Far Leys », une propriété dans le village de Tanworth-in-Arden.
Durant son adolescence, Nick Drake étudie au Marlborough College de 1962 à 1966. Par ailleurs, il apprend à jouer du piano, de la clarinette, du saxophone et finalement, de la guitare, en 1965.
En été 1966, Nick Drake prend des vacances en France. Il y retourne au début de l’année suivante pour un séjour de cinq mois à l’université d’Aix-en-Provence, entrecoupé d’un voyage au Maroc. En automne, il entre au Fitzwilliam College, l’un des plus prestigieux de l’université de Cambridge, afin de poursuivre des études littéraires.
Jusqu’alors d’un tempérament plutôt ouvert, il se révèle de plus en plus introverti. Grand admirateur des auteurs folk américains comme Bob Dylan, Randy Newman, Phil Ochs, il abandonne l’athlétisme au bout de quelques mois seulement ; il se distinguait dans la discipline mais préfère se consacrer à la composition de chansons.
En février 1968, à l’occasion d’un festival pour la paix, il chante pour la première fois sur une scène au Roundhouse de Londres, et retient l’attention de Ashley Hutchings, bassiste du groupe Fairport Convention, qui le présente au chanteur folk John Martyn et à leur producteur Joe Boyd. Après avoir écouté l’une de ses maquettes, ce dernier convainc le label Island Records de lui signer un contrat.
Une carrière abrégée par la dépression
Il entre en studio en juillet 1968 pour enregistrer les premières chansons de son futur premier album. Pour les orchestrations, il fait appel à Robert Kirby, un ami connu à l’université et arrangeur classique. L’idée d’un quatuor à cordes est retenue pour accompagner plusieurs morceaux de couleur intimiste et mélancolique.
En 1969, il chante dans des clubs et des pubs et fait sa première émission radio à la BBC 1 où il fait entendre quelques chansons de son futur album.
A LIRE : Five Leaves Left (Nick Drake), folk progressif aux atmosphères sombres et mystérieuses
Accueilli par des critiques enthousiastes, Five Leaves Left, sort le 1 septembre. Pour promouvoir le disque, il se produit une vingtaine de fois sur différentes scènes — du 24 septembre à mi 1970 — dans de brèves apparitions en première partie d’artistes folk comme John et Beverley Martyn, Fairport Convention, Genesis, Spencer Davis Group…
Victime d’un trac insurmontable, Nick Drake n’aime pas faire ces prestations. L’auditoire est souvent peu attentif et sa timidité n’arrange pas les choses. Ressenti comme un supplice, il mettra rapidement un terme définitif à cet aspect de la carrière artistique. Ceci explique en partie le peu d’intérêt que suscite son travail auprès du public car le succès commercial de l’album n’est pas au rendez-vous. Seuls les commentaires élogieux de la presse l’encouragent à continuer de composer.
Alors qu’il ne lui reste plus qu’un an à faire pour achever ses études, Nick Drake quitte Cambridge contre l’avis de ses parents et s’installe à Londres pour se consacrer entièrement à l’élaboration d’un nouvel album.
Bryter Layter sort le 1 novembre 1970. Il regroupe des morceaux aux rythmes plus enlevés, aux sonorités jazz. Confiés à John Cale du Velvet Underground, les arrangements sont enrichis par la présence de cuivres, clavecin, orgue et célesta. Comme le premier, ce nouvel opus, encensé par la presse, n’obtient pas l’adhésion du public. Profondément affecté par ce manque de reconnaissance, Nick Drake le ressent comme un échec personnel. C’est alors que Joe Boyd, son producteur, décide de s’installer à Los Angeles. Ce départ ajoute encore à sa déprime. Il se replie sur lui-même. Incapable d’écrire, il revient à « Far Leys », parmi les siens.
En été 1971, pour l’aider à se sortir de cette mauvaise passe, le président d’Island, Chris Blackwell met à sa disposition la villa qu’il possède sur la côte espagnole, près de Gibraltar. Progressivement, Nick Drake retrouve l’envie de composer et, de retour à Londres, envisage d’enregistrer à nouveau.
Vers la fin de l’année, il effectue en milieu de nuits, deux séances studio de deux heures, avec l’ingénieur du son John Wood. Onze titres, sobrement accompagnés à la guitare et au piano, sont enregistrés. Après avoir remis les bandes à son label, Nick Drake exige qu’elles soient éditées sans autres arrangements.
A LIRE : Pink Moon (Nick Drake), l’album dépouillé qui tire le rideau
Composé de chansons et de morceau de musique courts (le disque ne dure que 28 minutes), Pink Moon sort le 25 février 1972 et se révèle plus difficile d’accès que ses précédents disques. Il passe inaperçu. Découragé par ce nouvel échec commercial, Nick Drake se prend à douter de ses qualités d’auteur et de musicien et décide de mettre un terme à sa carrière et s’enfonce dans un état dépressif.
Résolu à suivre un traitement, Nick Drake est hospitalisé cinq semaines en avril. Après avoir songé à s’engager dans l’armée et s’être consacré sans conviction au métier d’informaticien dans l’entreprise où travaille son père, il envisage l’avenir en songeant à composer des chansons pour d’autres interprètes.
En février 1974, projetant un éventuel nouvel album, Nick Drake trouve la force d’enregistrer quatre chansons écrites dans la douleur : Rider On The Wheel, Black Eyed Dog, Hanging On A Star et Voice From The Mountain.
Persuadé qu’il n’a plus rien à dire, il glisse à nouveau dans la dépression, gardant le contact uniquement avec ses plus proches amis, comme le chanteur John Martyn, ou Françoise Hardy, qu’il revoit lors d’un séjour en France où il semble, apparemment, reprendre goût à la vie.
Revenu dans la maison familiale, le soir du 24 novembre 1974, il absorbe (par mégarde ?) une surdose d’antidépresseur qu’il prend régulièrement. Il est retrouvé mort dans son lit le lendemain matin. Les autorités concluent au suicide bien que sa famille et ses proches contestent la thèse. Il est enterré dans le cimetière de l’église St Mary of Magdalene, à Tanworth-in-Arden dans l’indifférence médiatique.
Une reconnaissance post mortem
La popularité de Nick Drake est toujours vivace aujourd’hui. Ceci grâce à son écriture méticuleuse, sa prosodie et son jeu de guitare. Son travail a été régulièrement cité par Kate Bush, Tom Verlaine du groupe Television, Lou Barlow, Peter Buck du groupe R.E.M., plus récemment Graham Coxon, ou encore Elliott Smith. Robert Smith, chanteur de The Cure, de même que Perry Blake lui vouent une admiration sans limite.
Le pianiste de Jazz Brad Mehldau a notamment repris et adapté Day is Done et River man en trio, mais également Things Behind The Sun et une fois de plus River Man lors d’une prestation magistrale en solo et en live à Tokyo. Le groupe de rock progressif américain The Mars Volta a également repris Things Behind The Sun. Nous pouvons enfin citer Johan Asherton, auteur folk français, qui est un des plus grands admirateurs contemporains de Nick Drake.