Un réveil salutaire. C’est cet album qui remit Ahmad Jamal au-devant de la scène. Lui qui l’avait quittée en devenant producteur. Ce jour de 1970, Il redevint un compositeur et interprète fondamental de l’histoire du jazz.
En 1970, le pianiste Ahmad Jamal est à la croisée des chemins. Depuis ses débuts, il n’a eu de cesse de faire évoluer sa musique au regard de courants musicaux tels que la pop ou la soul. Sans renier le format du trio qu’il a adopté en 1951 à Chicago, où il ouvrira son club, l’Alhambra. Il grave de nombreuses sessions jusqu’à son divorce en 1962.
Ahmad Jamal The Awakening
Installé à New York en 1963, il suit les cours de la Juilliard Music School. Avec le contrebassiste Jamil Nasser, il forme un nouveau trio qui, tout en restant fidèle à un jazz classique, explore d’autres formes musicales.
À l’opposé du free jazz, le trio reprend des morceaux de Stevie Wonder. Jamal monte alors son propre label mais, confronté à des difficultés croissantes et à une compétition intense, il est prêt à tout abandonner en 1969.
Il signe alors avec le label Impulse! pour un nouvel album salutaire : The Awakening paraît en 1970. Son titre même dit la renaissance et la prise de conscience de son art. Jamal est accompagné de Jamil Nasser et de Frank Gant à la batterie.
« Jamal savait absolument ce qu’il voulait…Nous enregistrions pendant le Ramadan. Il jeûnait pendant la journée, jusqu’au coucher du soleil. La seule contrainte était, disait-il, « A six heures quinze, on devra faire une pause, sans faute ! On meurt de faim ! » (Ed Michel)
En pleine période de fusion électrique et d’expérimentations, Jamal renoue avec son jeu acoustique et classique. Ce retour aux sources d’un jazz épuré est salué par la critique mais ne rencontre pas le succès commercial. La richesse des arrangements montre pourtant les musiciens à leur sommet.
Reprendre des pièces comme « Dolphin Dance » de Hancock et « Stolen Moments » de Nelson, une composition aussi mémorable que celle des années 1960, est plus délicat si l’on considère le drame que les cors – et quels cors!- ont fourni dans les originaux : George Coleman sur le premier, Nelson sur le second, avec Eric Dolphy à la flûte et Freddie Hubbard sur les deux. Les versions de Jamal sont tronquées et dépouillées, sa « Danse des dauphins » s’accélère elle aussi, mais elles parviennent quand même à bouger.
« You’re My Everything », le seul standard popularisé par Billy Eckstine, Nat Cole et Sarah Vaughan, est presque méconnaissable dans les mains de Jamal. Son interprétation enjouée, surtout à chaque extrémité du clavier, avec des coups profonds et parfaitement placés, sa main gauche répondant par des phrasés fantasques dans les aigus.
Le trio rayonne sur le morceau qui ouvre le disque et donne son nom à l’album. Il reprend le «Dolphin Dance» d’Herbie Hancock, s’approprie aussi le «Wave» d’Antonio Carlos Jobim.
Le hip-hop est encore loin mais dans les années 1980, les MCs commencèrent à sampler Jamal, The Awakening en particulier. L’irrésistible titre de Jamal, par exemple, est apparu dans « DJ Premier In Deep Concentration » de Gang Starr en 1989 et dans « Change » de Shadez Of Brooklyn.
Idem, Le morceau « I Love Music » (écrit par Hale Smith et Emil Boyd), est une performance solo presque totale pour Jamal. Il se retrouvera sur un enregistrement classique d’un autre genre, près d’un quart de siècle plus tard, Illmatic, où Nas, intimement lié au jazz, et le producteur Pete Rock utiliseront l’interprétation luxuriante de Jamal pour « The World Is Yours ».
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CREDITS :
Enregistré les 2-3 février 1970 au Plaza Sound Studios, New York City – ABC Records
- Bass – Jamil Nasser
- Design – George S. Whiteman*
- Drums – Frank Gant
- Engineer – George Sawtelle
- Piano – Ahmad Jamal
- Producer – Ed Michel