Son nom est pratiquement inconnu du grand public et pourtant, Alain Goraguer est une figure majeure de la musique française des années 1960-1970. Brillant compositeur, arrangeur, pianiste, très prisé par des personnalités majeures de la chanson française comme Boris Vian, Serge Gainsbourg, Boby Lapointe, Jean Ferrat, France Gall ou Juliette Gréco, il est aussi l’auteur d’une œuvre purement instrumentale, partagée entre albums jazz et musiques de films.
C’est à Nice qu’Alain Goraguer commence le piano. Il abandonne sans remords le violon, passe, peu après, ses bacs, et fait, à vingt ans, une rencontre décisive : celle du pianiste Jack Diéval, de passage à Nice, et qui lui conseille fermement de tout lâcher pour le piano… dans le même temps, Alain étudie l’harmonie avec Julien Falk, se classant bientôt second au tournoi de jazz amateur… ».
Si le directeur artistique et critique Boris Vian parle si bien de son ami Alain Goraguer, c’est aussi qu’en tant que compositeur, il vient alors d’écrire moult succès avec celui-ci. Car notre pianiste de jazz, passionné d’Errol Garner et Art Tatum, doit très vite gagner sa vie : il accompagne alors la chanteuse Simone Alma, qui le présente à Vian, et entre eux, c’est immédiatement le « coup de foudre ».
Vian lui propose de l’accompagner en alternance avec Jimmy Walter, puis aux Trois Baudets de Jacques Canetti, où il jouera aussi dans « Les carnets du Major Thompson » et « Nouvelles têtes ». Il enregistre alors chez Philips en trio piano-jazz son premier album déjà cité, « Go… Go… Goraguer », sous la direction artistique de Vian.
Mais ce sont surtout leurs chansons communes qui passeront à la postérité : « La java des bombes atomiques », « La complainte du progrès », « Le petit commerce », « Je bois », « La java martienne », « Fais-moi mal, Johnny » (avec Magali Noël), « Bourrée de complexes », « Ne vous mariez pas les filles », « La valse carrée », « La valse jaune », « La cantate des boîtes » (9 minutes !), insolentes et festives à souhait, plus une série de rocks pour la fougueuse Magali Noël : « Fais-moi mal Johnny », « Alhambra rock », « Strip Rock », « Le rock des petits cailloux »…
Alain Goraguer se trouve bientôt confronté à deux carrières parallèles : arrangeur-orchestrateur et compositeur.
C’est ainsi qu’il rencontre un jour par l’intermédiaire de Denis Bourgeois un « pianiste de standards » déjà croisé au Touquet, Serge Gainsbourg : « Entre nous, le flash a été instantané ». Son premier arrangement est un classique : « Le poinçonneur des lilas », suivi de beaucoup d’autres (« La recette de l’amour fou », « Du jazz dans le ravin », « Ce mortel ennui » etc), mais il composera aussi avec lui la musique du film « L’eau à la bouche » en 1960 et l’arrangement mémorable de « Poupée de cire, poupée de son », Grand Prix de l’Eurovision 1965 avec France Gall.
Car Alain Goraguer va devenir, dans les années 60/70, l’« arrangeur » par excellence : retenons ainsi parmi des centaines de titres, « Inch’Allah » (Adamo), « Le métèque » (Georges Moustaki), « Virages » (Yves Duteil)…
Mais le sommet de son œuvre d’arrangeur-orchestrateur reste son travail pour Jean Ferrat, rencontré par l’intermédiaire de son ami Gérard Meys : il habillera musicalement l’intégrale de son répertoire, avec de superbes fleurons comme « Potemkine », « La montagne », « Deux enfants au soleil », « Raconte moi la mer » etc qui tiennent parfois de véritables poèmes symphoniques.
Alain travaille également, en tant qu’arrangeur et/ou compositeur, pour des dizaines d’artistes, parmi lesquels France Gall (« Jazz à gogo », « Le cœur qui jazze »), Joe Dassin (« La première femme de ma vie »), Maurice Chevalier (une publicité pour… un potage, sur des paroles de Boris Vian !), Claude Nougaro, Sacha Distel, Mireille Darc, Francis Lemarque, Bobby Lapointe, Juliette Gréco, Dalida, Régine, Brigitte Bardot, Nana Mouskouri, Adamo, Michel Delpech, Hugues Aufray, Mireille Mathieu, Serge Lama, Bernard Lavilliers, Claudia Cardinale, Jean-Claude Brialy, Robert Hossein… et surtout Serge Reggiani, pour lequel il compose et arrange beaucoup de chansons, principalement sur des textes de l’ami Lemesle : « Le souffleur », « Le zouave du Pont de l’Alma », « Les petits destins », « Boulevard Aragon », « Pablo » .
Il compose également des musiques de films (« J’irai cracher sur vos tombes », « Les loups dans la bergerie », « L’eau à la bouche » déjà citée, « L’affaire Dominici », « La planète sauvage », « Le silencieux », « Sur un arbre perché »…), et un générique TV resté dans toutes les mémoires (« Gym Tonic », l’émission de Véronique et Davina).
Un homme-orchestre, donc, dont la modestie légendaire n’a d’égal que les multiples talents, l’humour acidulé (joueur de mots dans l’âme, il eût fait un excellent pataphysicien), la sympathie naturelle, la jeunesse d’esprit et de cœur qui le tient toujours à l’écoute des nouveaux courants musicaux comme de son époque, témoin discret mais lucide d’un monde qu’il a depuis un demi-siècle coloré de ses musiques toutes en finesse et tendresse.