À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer aux armes et caetera, sa cote d’amour navigue à marée basse, ses derniers disques – Rock Around the Bunker, L’homme à tête de chou – étant autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.
L’année d’aux armes et caetera, en 1979, Serge Gainsbourg écoute du reggae et aime vraiment cette musique :
« C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. »
Aux armes et caetera (Serge Gainsbourg)
Lorsqu’il décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.
Aujourd’hui, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.
À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.
Pourtant lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée :
« Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : « Je dois te prévenir, je ne parle pas. » Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée.
Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »
J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux armes et caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme).,, (rires)… autrement, ça va pas.
Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston :
« faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »
Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille canaille », une chanson de 1931.
Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres comme « Les locataires », « Eau et gaz à tous les étages », sans oublier le texte « Brigade des stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs avant lui (« Des laids des laids », « Pas long feu » ou « Daisy Temple »).
Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album aux armes et caetera, c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » -, cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.
Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ».
On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé ! Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre par là même souvent le reggae.
Aux armes et caetera deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec Mauvaises nouvelles des étoiles.
Source : https://fr.wikipedia.org – www.lemonde.fr – https://pad.philharmoniedeparis.fr
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CREDITS :
Enregistré du 12 au 24 janvier 1979 – Dynamic Sounds Studio à Kingston, Jamaïque – Universal
- Chœurs : The I Threes, Marcia Griffiths, Rita Marley et Judy Mowatt
- Basse : Robbie Shakespeare
- Batterie : Sly Dunbar
- Guitare : Michael « Mao » Chung
- Guitare rythmique : Radcliffe « Dougie » Bryan
- Orgue : Ansel Collins
- Percussions : Isiah « Sticky » Thompson
- Piano acoustique : Michael Chung, Robbie Lyn
- Ingénieur son : Geoffrey Chung