Le second album de Bill Withers reste l’un de ses plus grands chefs d’œuvre. Sorti en 1972, Still Bill est porté par de véritables joyaux de soul/folk tels « Lean on me », « Use Me » ou « Kissing My Love ». Le reste des titres, tout autant séduisant, va de ballades lancinantes à des rythmes plus funky sur lesquels la voix tantôt veloutée tantôt râpeuse du chanteur vient se poser. L’habillage musical dressé par Benorce Blackmon (guitare), Melvin Dunlap (basse), James Gadson (percussions) et Raymond Jackson (claviers et arrangements) donne au disque un charme supplémentaire.
Après une enfance aride près des mines de charbon de Virginie à Slab Fork, il s’engage dans l’US Navy et y passe neuf ans avant de travailler dans l’aéronautique (il installe des toilettes en série dans les avions pour Weber Aircraft).
Durant les heures creuses, Bill Withers compose, joue, chante et réussit finalement à emballer le producteur Clarence Avant et son label Sussex qui lui fait enregistrer son premier album Just As I Am avec l’organiste Booker T. à la production, sa rythmique des MG’s (le batteur Al Jackson et le bassiste Duck Dunn) et même en guest Stephen Stills à la guitare !
Bill Withers Still Bill
Un baptême discographique propulsé vers le sommet des charts grâce à son single Ain’t No Sunshine qui se place en troisième position au Billboard ! En un claquement de doigts, le Withers ouvrier qui pose sur la pochette de cet album qui paraît en mai 1971 avec sa lunch box devient un acteur majeur de la soul music.
Bill Withers, prudent, guère impressionné par ce succès – une constante chez lui – hésite plusieurs mois avant de quitter son travail de mécanicien. Il finit par accepter de partir en tournée et est récompensé par un Grammy Award pour sa composition Ain’t no Sunshine.
L’art de Bill Withers se démarque vite de celui de ses confrères en abordant le genre par son versant folk. Chez lui, les cuivres ne sont pas chaud bouillants et la rythmique n’est pas un enchaînement d’uppercuts. Tout est plus subtil avec Bill Withers, plus profond, plus dépouillé et épuré aussi. Ses contemporains choisiront leur camp, Stax ou Motown, mais lui se positionnera toujours ailleurs.
La saison suivante est plus fertile encore avec Still Bill sorti en 1972. Entouré d’anciens membres du Watts 103rd Street Rhythm Band (Ray Jackson au claviers, James Gadson à la batterie et Melvin Dunlap à la basse), Withers grave dix compositions à l’accessibilité immédiate.
Les sonorités dépouillées de la guitare acoustique du chanteur et d’occasionnelles touches de clavinet et piano Wurlitzer constituent l’épine dorsale de l’album. Le riff pentatonique de Use Me et le leitmotiv télégraphique de Who Is He (And What Is He To You) ?, chansons cruelles sur la jalousie et la paranoïa, entraînent Still Bill en terrain syncopé.
Use me est une chanson sur le fait d’être un peu enjoué, un peu arrogant et un peu cool. A moins que vous ne fassiez partie de ces gens qui sont nés populaires, j’étais un bègue chronique jusqu’à l’âge de vingt-huit ans. J’évitais le téléphone. Donc je n’étais pas ce gars populaire. Je me souviens qu’étant jeune, les filles me disaient : « Tu es trop gentil. » Je ne comprenais pas. Dans quel genre de monde tordu sommes-nous ? Les femmes aiment les mauvais garçons, je suppose. Il n’y a pas de forme de rejet plus déroutante que lorsque quelqu’un vous dit que vous n’êtes pas intéressant parce que vous êtes trop gentil. Alors avec le temps on se dit : « OK, tu veux jouer ? ». « Use Me » fait appel à ça. J’ai essayé d’être gentil, maintenant soyons méchants.
Bill Withers
Les whacka- whackas du superfunky Kissing My Love annoncent déjà le superlatif Rejuvenation des Meters, et I Dont Want You On My Mind déroule un blues poisseux traversé d’éclairs saturés.
Pourtant, c’est une nouvelle fois grâce à une ballade intimiste que Bill Withers va toucher le grand public, une simple progression d’accords, une simple ode à l’amitié appelée « Lean on Me ». Withers n’en fait pas grand cas mais sa maison de disques est persuadé qu’elle tient un single.
J’avais gagné un peu d’argent et je me suis dit que je pouvais m’offrir un petit piano. J’ai donc acheté un de ces pianos Wurlitzer. J’ai vissé les pieds dessus, je me suis assis et ai commencé à pianoter. Je ne changeais pas de doigts. Je faisais simplement un, deux, trois, quatre, de haut en bas du piano. C’est la première chose que j’ai appris à jouer. Même un gosse peut le jouer.
Bill Withers
Still Bill se retrouve en tête des meilleures ventes d’album notamment grâce à « Lean On Me ». Cette ode gospel-folk à la solidarité porte le nom de Bill Withers tout en haut des charts Pop pendant trois semaines. « Use Me » et « Kissing My Love » prendront plus modestement le relais.
Tout s’enchaînera pour l’ex-OS à la chaîne qui s’offre un Live At Carnegie Hall en 1973, l’un de ces lives que tout amateur de soul se doit de posséder. Il y reprend notamment Grandma’s Hands, un titre repris quelques années plus tard par Gil Scott-Heron où Bill Withers dépeint à travers ses mains celle qui lui a transmis des valeurs de solidarité et tolérance.
Suivra en 1974 Justments, toujours dans une esthétique à la croisée de Bob Dylan et Curtis Mayfield, toujours sur le même label, toujours avec la même équipe, rare fidélité dans un monde qui incline à partir vers ceux qui promettent d’autres lendemains.
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CREDITS :
Enregistré en 1972 au Record Plant, Los Angeles – Sussex records
- Arranged By [Strings & Horns] – Ray Jackson
- Art Direction – Maurer Productions, Michael Mendel
- Bass – Melvin Dunlap
- Design [Packaging] – Milton Sincoff
- Drums, Percussion – James Gadson
- Engineer – Bob Hughes, Phil Sheer*
- Engineer [Re-mix] – Phil Shier*
- Guitar – Benorce Blackman*
- Photography By – Hal Wilson
- Piano, Clavinet, Electric Piano – Ray Jackson
- Producer – Bill Withers
- Producer [With] – Benorce Blackman*, James Gadson, Melvin Dunlap, Ray Jackson
- Vocals, Guitar – Bill Withers
- Written-By – Bill Withers