La Bossa nova est une histoire d’influence réciproque : le Jazz et la samba. Deux musiques noires, issues du même continent, d’une semblable tragédie tournée en poésie. En 1958, la chanteuse et actrice carioca Elizete Cardoso enregistre une chanson Chega de Saudade. Dans la cabine du studio, il y a Vinicius de Moraes, diplomate et parolier, qui s’enthousiasme auprès d’Antonio Carlos jobim et d’un musicien natif de l’État de Bahia, exilé à Rio de Janeiro en 1950 et qui tient la guitare : Joao Gilberto. De Moraes, Jobim, Gilberto, trinité de ce que l’on appellera bientôt la bossa nova (« nouvelle tendance »).
Ce genre musicale est en réalité une samba ralentie et complexifiée par un sens de l’harmonie qu’on croit tiré du jazz mais qui doit beaucoup aussi à l’impressionnisme français de Debussy. La bossa nova, c’est d’abord une ville. Rio, ses plages, Ipanema , Copacabana , dont la légende se fonde sur des chansons douces.
Cette musique nouvelle se popularise au cinéma, dans un portrait de la ville pendant le carnaval sur fond de mythe grec, quand en 1959, le réalisateur français Marcel Camus filme Orfeu Negro. Il y mêle les sambas festives, dansantes, cette musique d’esclavage et de liberté, aux compositions de Jobim et Moraes. Une musique de chambre mais populaire, c’est le défi lancé par cette jeune génération qui estime qu’un murmure suffit pour chambouler le monde.
À la fin des années 1950, le Brésil moderne s’invente. Le président Juscelino Kubitscheck fonde une nouvelle capitale à la mesure de ses ambitions avant-gardistes, Brasilia. Et Rio reste cette mégalopole bénie des eaux, où les intellectuels et les poètes fabriquent une mythologie afro-brésilienne.
Car si la chose est neuve, elle plonge ses racines jusqu’à Salvador de Bahia, dans la samba du compositeur Dorival Caymmi qui inspire les musiciens cariocas. Musique blanche, sophistiquée, mais qui aspire les éléments centraux de la culture noire, la bossa nova rencontre rapidement le « jazz west coast » de Los Angeles dont le cheminement est parallèle.
Le guitariste américain Charlie Byrd et le saxophoniste Stan Getz succombent immédiatement aux trouvailles du Brésil. En 1963, Getz enregistre avec Gilberto. Le disque est un tel succès que les chanteurs Ella Fitzgerald ou Frank Sinatra puisent dans le répertoire de Jobim.
Desafinado, Garota de Ipanema, Corcovado, Uma nota so sont érigés au rang de standards absolus du jazz moderne. De part et d’autre du canal de Panama, la musique fait des allers-retours. Même si les mélodies, les harmonies et les rythmes de la bossa nova semblent beaucoup plus ouvertes que celles du jazz à cette époque, l’influence américaine paraît indéniable.
Car le swing de Rio remonte aux années 1920. Antonio Carlos (dit « Tom ») Jobim pratique également le piano bar. Il côtoie nombre de musiciens de la scène jazz locale, dont son compère Newton Mendoça avec lequel il compose certains standards.
Le pianiste Joao Donato, mais aussi Sergio Mendes incarnent cette génération de jazzmen brésiliens qui choisissent de s’exiler aux États-Unis pour pratiquer leur art. Luiz Bonfà qui a participé à l’écriture de la bande originale du film Orfeu Negro est aussi un amateur forcené de jazz américain.
Mais aux États-Unis, la popularité de la bossa nova aboutit aussi à une prolifération de musiques d’ascenseur, dites « lounge », qui surfent sur l’exotisme facile, la nonchalance tropicale, les cordes doucereuses et le rythme tranquille du courant brésilien.
Quoi qu’il en soit, autour du duo Jobim Gilberto, qui compose en quelques années un répertoire que les cinq continents s’approprient, un groupe de jeunes musiciens émerge, partis à la conquête des valeurs nouvelles de la bossa. Génie de la guitare, avec Baden Powell. Invention d’une féminité vocale, sans fard, chez Astrud Gilberto, Nara Leao ou Elis Regina.
Même si le mouvement ne s’étend que sur une petite décennie, son influence sur la musique brésilienne ne se dément plus. Les tropicalistes bahianais Caetano Veloso, Maria Bethania ou Gilberto Gil s’en inspirent.
Le guitariste et pianiste Egberto Gismonti, lui aussi né à proximité de Rio en 1947, propose sa propre reformulation des éléments tirés du classique français, du jazz, de la musique amérindienne et de la bossa nova. De même que les compositeurs de musique populaire brésilienne Chico Buarque et Jorge Ben s’en sont remarquablement inspirés.
Les guitaristes Paulinho Nogueira, Toquinho et, plus tard, Joao Bosco poussent au plus loin l’art du doigté brésilien. Et une nouvelle vague de bossa nova, plus électronique, surgit dans les années 1990, dont la fille de Joao Gilberto Bebel Gilberto est le fer de lance. La bossa nova n’en a pas fini d’être renouvelée.
Et Johnny Alf ?????????