Disque d’or immédiat comme les deux précédents albums et numéro 1 des ventes en Amérique durant l’été 1971, ce double live est un couronnement posthume à son arrivée dans les bacs.
Tourmentés et paranoïaques, Crosby Stills Nash and Young, les quatre héros de la culture hippie n’ont pas supporté la seule promiscuité d’une tournée l’année passée. À guichets fermés. Et l’album, enregistré au Fillmore East de New York, puis à Chicago et à Los Angeles, est achevé sous la houlette de Bill Halverson accompagné des seuls Crosby et Nash. Stephen Stills leur reprochera longtemps de s’être accommodés de bandes sur lesquelles il n’était pas à son summum.
Crosby Stills Nash and Young « Four way street »
Quant à Neil Young, il hésite alors entre publier son concert solo au Massey Hall et le futur Harvest. Tous ces types sont trop occupés pour passer du temps à gérer une entreprise commune. Et, hormis Neil Young, ils n’ont jamais eu jusque-là le loisir de commencer une vraie carrière personnelle.
Stephen Stills prend cette opportunité d’autorité à l’époque. Et l’histoire ne lui donnera pas tort avec un premier disque agrémenté des performances de Hendrix et de Clapton. Crosby et Nash ne réussiront pas les mêmes exploits en studio, mais leur duo va récompenser longtemps tous les nostalgiques de cette ère lyrique inaugurée lorsque Nash décida de quitter enfin les Hollies et l’Angleterre, pour rejoindre Crosby et Stills à Laurel Canyon.
Neil Young arrive à la dernière minute pour les deux premiers concerts: le 16 août 1969 à Chicago, et le 18 dans la campagne de Bethel, pour le festival de Woodstock dont ils incarneront la fraîcheur utopiste jusque dans le film de Mike Wadleigh. La suite est plus exceptionnelle encore avec les succès de « Teach Your Children », « Almost Cut My Hair » et « Carry On » sur le second album Déjà vu – deux millions d’exemplaires vendus en pré-commande.
Sur scène, il n’y a que le temps d’accorder les guitares pour briser cette impression de communion et de perfection vocale – des harmonies à trois voix qui doivent beaucoup aux passions communes de Crosby et Nash, pour l’époque médiévale et la Renaissance de la vieille Europe.
Stephen Stills apporte le blues du Delta, son grain de voix éraillée et son éclatante virtuosité guitaristique. Neil Young incarne à lui seul la nouvelle génération folk. Stills et Young étaient les meilleurs ennemis du monde dans Buffalo Springfield, l’orchestre qui concurrença sur scène les Byrds de Crosby.
Tous ont de très forts caractères – y compris David Crosby qui fut le modèle hyper anxieux de Dennis Hopper dans la cavalcade d’Easy Rider. Pourtant, sur scène l’osmose est palpable. Chacun chante et présente des titres de manière très équitable. À tour de rôle, puis communément avant la seconde partie du show réservée aux décibels rock avec l’aide du batteur John Barbata et du bassiste Calvin Samuels.
Le répertoire est ici celui de quatre des plus grands compositeurs californiens des sixties. Et leur envergure collective prend une redoutable maestria dans « Southern Man », « Carry On », « Find The Cost Of Freedom » et « Ohio », sur lequel Neil Young attaque ouvertement les « soldats de Nixon » responsables de la tuerie de l’université de Kent.
Avec « On The Way Home », « Cowgirl In The Sand » et « Don’t Let It Bring You Down », il tient encore la dragée haute aux duettistes Crosby et Nash qui s adonnent à l’art de la fugue sur « The Lee Shore » et « Right Between The Eyes ».
Stills est plus en retrait, plus tendu que les autres – effrayé par le charisme de Neil Young qui lui conteste son leadership. Au printemps 1970, le groupe se désagrège en pleine gloire, emmêlé dans des querelles d’ego, de drogue et une pression bien trop forte.
Avec la réédition en compact dise de Four Way Street, en 1992, sont apparus quatre inédits acoustiques, mais toujours pas cette version en picking du « Blackbird » de McCartney revisité par Stills, ni son « As I Come Of Age ». Le triomphant « Woodstock », que Joni Mitchell composa pour eux, ne s’y trouve pas non plus.
Crosby Stills Nash and Young incarnent cette époque où la culture musicale californienne donnait la leçon au reste du monde. L’apogée hippie que reflète David Crosby lorsqu’il chante l’amour libre et le ménage à trois dans « Triad » ; lorsque Graham Nash suggère aux enfants d’élever leurs parents. Tout un pan du rêve générationnel des aquariens s’est écroulé à la dissolution de ce super groupe.
Et, seul, Neil Young anticipe l’avenir dans « The Needle And The Damage Done » : Stephen Stills saoul comme une barrique durant la décennie suivante, David Crosby héroïnomane soigné à la dure dans un pénitencier du Texas, et Graham Nash perdu à Hawaï avec ses désillusions de pacifiste démodé.
Le credo libertaire ne s’est pas relevé du glam rock. Pourtant, après des années d’hésitations, Crosby Stills Nash and Young sont repartis tambour battant et sans plus jamais lâcher leur ferveur militante, comme l’atteste leur tournée anti-Bush très musclée de 2006. S’ils sont fripés et ventripotents aujourd’hui, leur talent est encore là.
Sources : https://classicrock80.wordpress.com – www.fnac.com – www.qobuz.com – www.discogs.com – www.allmusic.com – www.lesinrocks.com
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CREDITS :
Enregistré live au Filmore East, New York, June 2-7, 1970; The Chicago Auditorium, Chicago, IL, July 5th, 1970; The Forum, Los Angeles, CA, June 26-28, 1970. – Atlantic records
- David Crosby : chant, guitare
- Stephen Stills : chant, guitare, piano, orgue
- Graham Nash : chant, guitare, piano, orgue
- Neil Young : chant, guitare
- Johnny Barbata : batterie
- Calvin « Fuzzy » Samuels : basse