Poète, compositeur, producteur, guitariste et chanteur, Curtis Mayfield est l’une des dernières grandes figures de la musique populaire noire de Chicago. Capable d’écrire des ballades poignantes comme des textes politiquement engagés, il a ouvert une voie médiane entre la soul commerciale « d’une firme comme! Motown et celle, proche du gospel, du label Stax.
Lorsqu’on parle de soul music, on pense plus volontiers à Détroit ou à Memphis qu’à Chicago, plutôt associé au blues. La Windy City a pourtant largement contribué au renom de la musique populaire noire des années 60 et 70, en grande partie grâce à Curtis Mayfield. Ses talents de chanteur, mais aussi d’auteur-compositeur et de producteur ont donné naissance à un style original, où la poésie voisine avec les revendications sociales.
Les barres de Cabrini Green
Né le 3 juin 1942, Curtis Mayfield a grandi au sein d’un milieu extrêmement défavorisé dans les barres d’immeubles de Cabrini Green – l’une des cités les plus sinistres de la capitale du Midwest américain. Parallèlement à une scolarité qui lui pèse, il se passionne pour la musique.
La mode est aux groupes de doo-wop, et il participe à l’aventure des Alphatones qui cherchent à se faire connaître en chantant pour les passants sur les trottoirs de leur quartier. Pour compléter sa formation, il monte, avec trois de ses cousins, les frères Hawkins, un ensemble, baptisé les Northern Jubt-lee Gospel Singers, qui se produit le week-end dans les églises du ghetto. Curtis en est le guitariste attitré et le leader n’est autre que Jerry Butler.
Test décisif pour Curtis Mayfield
La musique religieuse, sans doute satisfaisante d’un point de vue spirituel, n’apporte que rarement la gloire et la fortune. Le rhythm’n’blues s’annonce plus prometteur, d’autant que d’importantes compagnies locales sont à l’affut de nouveaux talents. Au centre social de Cabrini Green, Curtis et son ami Butler rencontrent les Roosters, un ensemble dont les membres, originaires du Tennessee, ont décidé de tenter leur chance à Chicago. L’entente est immédiate entre les jeunes gens qui donnent bientôt au groupe le nom d’Impressions.
C’est sous cette nouvelle identité qu’ils pénètrent un jour de 1958 dans les bureaux de Vee-Jay, dont la direction artistique est assurée par le Noir Calvin Carter : « ils sont venus nous voir un samedi et m’ont proposé cinq ou six titres, mais je n’étais pas vraiment convaincu. Je leur ai alors demandé d’interpréter quelque chose qu’ils n’avaient pas l’habitude de chanter et ils se sont lancés dans une très belle Me For Your Precious Love. En l’espace de quelques semaines, Vee-Jay en a vendu 900 000 exemplaires ! » Les présentateurs de radio attribuent trop souvent le succès initial au seul Jerry Butler, froissant certaines susceptibilité au sein des Impressions. Tandis que Butler poursuit une carrière i brillante chez Vee-Jay, ses amis ‘ retournent à l’anonymat Ils ne renoncent pas pour autant à faire carrière, et la voix frêle de Mayfield remplace celle de baryton de son prédécesseur.
La renaissance des impressions
Il faudra attendre 1961 pour que le groupe retrouve le chemin des hit-parades, cette fois pour le compte du géant ABC-Paramount qui s’intéresse au rhythm & blues depuis l’arrivée, un an plus tôt de Ray Charles dans son écurie.
Gypsy Woman, une composition de Curtis, ranime le nom des Impressions qui jouiront d’une popularité extra-ordinaire tout au long de la décennie. Ifs AU RigM, Keep Oh Pushing, People Get geady, We’re a Winner et Choice Of Colon, ces titres remarquables mettent en valeur la soft soul du groupe de Mayfield La sensibilité des textes écrits par le chanteur et les arrangements sophistiqués de Johnny Pâte confèrent au répertoire des Impressions une couleur qui va influencer la musique populaire noire de Chicago et la distinguer de celle des artistes de Motown ou de Stax.
Curtis Mayfield : Auteur, compositeur… et producteur
Les activités de Curtis Mayfield pendant les années 60 ne se limitent pas à son travail au sein des Impressions. Lorsqu’il n’est pas en tournée à travers les Etats-Unis, il trouve le temps d’écrire pour d’autres représentants de la soul de Chicago dont Major Lance (qu’il a connu dans le quartier de Cabrini Green), Wal-ter Jackson à qui il offre That’s What Mama Said, Gène Chandler pour qui il compose la ballade Rainbow, Billy Butler et surtout son frère Jerry avec lequel il a gardé des liens solides et dont il contribuera à enrichir le répertoire.
En studio, Curtis Mayfield devient le complice du producteur Carl Davis. Tous deux donneront un second souffle au prestigieux label OKeh – patrie, avant-guerre, de grands créateurs du blues comme Victoria Spivey, Lonnie Johnson et Blind Willie McTell. L’idée vient alors au jeune homme de fonder en 1966 ses propres labels, Mayfield Records et Windy C, qui accueillent le groupe féminin des Fascinations, ainsi que les Five Stairsteps – un ensemble familial qui préfigure celui des frères Jackson.
Succès « hollywoodien »
Des problèmes de distribution contraignent Curtis Mayfield à fermer les portes de ses deux premiers labels. Mais il persiste dans ses ambitions et se lance dans une nouvelle aventure avec la marque Curtom, qu’il fonde en 1968. Il en prend la direction artistique, se faisant assister pour les arrangements par le vétéran Johnny Pâte, mais aussi par un jeune pianiste qui fera bientôt parler de lui, Donny Hathaway. A ses débuts, la marque se consacre essentiellement aux Impressions, dont la carrière semblait s’enliser chez ABC. Mais Curtom deviendra vite la terre d’accueil de son fondateur qui décide d’entamer une carrière solo en 1970. Les plages souvent longues et élaborées de son premier 33 tours, intitulé « Curtis », caractérisent fort bien son style : sur une trame instrumentale se mêlent guitare wah-wah, lignes de basse solides et cuivres sonores soutenant des textes engagés.
Le véritable succès survient deux ans plus tard avec l’album Superfly – la bande originale d’un polar mettant en scène un pourvoyeur de drogue macho dans l’univers violent du ghetto. Les ventes considérables du disque et la popularité du film ne se limitent pas à l’Amérique noire. Alors, Curtis Mayfield sera sollicité par les studios de Hollywood : les albums Lefs Do It Again, Claudine et Sparkle (qui présentent respectivement les Staple Singers, Gladys Knight et Aretha Franklin) se vendent chacun à plus d’un million d’exemplaires.
Le label Curtom
Jusqu’en 1980, Curtis Mayfield produira sous son nom de nombreux albums, avec des fortunes commerciales et artistiques inégales. Si Back To The World et Sweet Exorcist sont presque aussi inspirés que Superfly, en revanche, Got To Find a Way et There’s No Place Like America Today apparaissent assez décevants. Curtis Mayfield semble réserver le meilleur de lui-même à d’autres, notamment à Leroy Hutson, qui lui avait succédé à la tête des Impressions et qui mènera une solide carrière de soliste sous sa direction. Les Staple Singers, un ensemble de gospel dirigé par Pop Staples et ses trois filles, auront aussi les faveurs de sa marque. Plus tard, de vieux amis comme Major Lance, Billy Butler et Gene Chandler s’appuie sur Curtis.
L’avènement du disco l’amène bientôt à s’adapter. Il y réussit avec Linda Clifford, un top model qui enregistre une série de succès, dont certains en duo avec Mayfield lui-même.
La décennie suivante est marquée par une rupture importante dans la vie de Curtis Mayfield, qui décide brusquement, en 1980, de quitter la Windy City pour s’établir en Géorgie où il possédait une maison. «J’ai déménagé entièrement le studio Curtom pour l’installer chez moi, à Atlanta. La scène musicale était moribonde à Chicago, et même si c’est là que j’ai grandi et que j’ai toujours vécu, j’ai préféré le confort et l’espace dont je pouvais disposer dans le Sud, sans parler du climat », explique-t-il.
Les mutations de la musique noire
L’univers musical noir est alors en pleine mutation. Le disco avait mis un terme à l’ère de la musique soul. Il est à son tour détrôné par le funk, le rap et le hip-hop qui s’attirent les faveurs du public des ghettos. Les chansons pleines d’espoir que Curtis Mayfield avait pu écrire au moment des luttes pour les droits civiques correspondent mal aux aspirations d’une jeunesse troublée par le conservatisme de la période reaganienne. Curtis Mayfield met à profit cette période pour faire le point sur sa vie et pour se consacrer davantage à sa famille.
Le retour de la soul au début des années 90 le fait sortir de son isolement Un accord de distribution avec le label Ichiban lui permet de rééditer la plupart de ses anciens albums et même de reprendre du service en studio. C’est le moment que choisit le destin pour le frapper de manière tragique. Alors qu’il donne un concert à Brooklyn le 13 aout 1990, une rampe d’éclairage s’effondre sur lui. Entièrement paralysé depuis, s’exprimant avec beaucoup de difficulté, Curtis Mayfield a du renoncer à toute activité. Il trouvera une source de réconfort dans la solidarité de ses amis musiciens qui lui ont rendu un bel hommage en lui consacrant « All Men Are Brothers : a Tribute To Curtis Mayfield ».
Curtis Mayfield a été mon phare musical. Une inspiration poétique, humaine, spirituelle, musicale.
Vous l’aurez compris, je le place au sommet de ma pyramide musicale.
Il y a tellement d’autres formidables artistes. Je me rends compte que d’une personne à l’autre, tout est relatif. Je ne citerai pas les autres géants de la soul, la liste serait trop longue.
Toujours, à titre personnel, en deuxième position, je place Prefab Sprout, un groupe de pop anglaise dont le leader est Paddy Mac Aloon.