En cette fin d’années 1990, la France s’emballe. Un an avant qu’elle devienne championne du monde de foot, un groupe français réussit à atteindre une classe mondiale : Daft Punk, avec «Homework», un album qui marqua son époque et qui symbolisa le succès phénoménal de la french touch dans les discothèques européennes et au-delà. Ce renouveau dans le son électro-rock va permettre de jeter des ponts entre fans hardcore de disco-boule-à-facettes et amateurs de pop simple, élégante et dérangeante.
Daft punk Homework , sorti le 7 janvier 1997, s’est écoulé à un million d’exemplaires à travers le monde en deux ans. Joli score, pour un disque enregistré dans une chambre d’enfant de dix mètres carrés ! Sur les contreforts de la butte Montmartre, une avenue bordée de platanes. Une grille où l’on sonne pour accéder a un restaurant huppé. On repère la fenêtre que l’on cherchait, entourée de deux immenses frênes. Derrière cette lucarne, les Daft Punk, Guy Manuel de Homem-Christo, alors âgé de 22 ans, et Thomas Bangalter, 21 ans, ont conçu leur premier album.
«Thomas avait déménagé son lit dans la pièce voisine, se souvient Serge Nicolas, compagnon des premiers jours du tandem casqué.
Sur la moquette de la piaule, un enchevêtrement de câbles courait entre les synthétiseurs et les boîtes à rythmes. Le jeu consistait à ne pas s’y prendre les pieds. Daft punk Homework ou le triomphe du home studio, totem de la techno !
Daft punk Homework
Après cet album, noir, vengeur, sauvage, il en fut fini du fameux «complexe français» sur le terrain de la pop internationale. Des mégastars comme Janet Jackson, Madonna ou George Michael n’allaient pas tarder à se manifester pour solliciter – en vain – les petits Frenchies. Deux garçons plutôt timides qui s’étaient rencontrés sur les bancs du lycée Carnot, à Paris, et qui, après une tentative rock brouillonne, se sont passionnés de musique électronique et de sampling…
La photo d’un bureau d’écolier sur lequel ils ont méticuleusement disposé leurs grigris: un disque vinyle du combo funk Chic, un exemplaire de Playboy, un jeton du Rex Club, temple de la techno parisienne, une bible.
Mais, outre des autocollants de Led Zeppelin et des Who, c’est un poster de Kiss, le groupe de hard-rock américain grand-guignolesque, qui accroche l’œil. Pas très techno, ça…
«A l’époque, dans le petit milieu parisien de la musique, il était du dernier chic de dire que le rock était mort. Guy-Manuel et Thomas se réjouissaient à l’idée de prendre à contre-pied tous ces snobs. Ils étaient d’accord pour promouvoir la techno comme révolution musicale, mais sûrement pas prêts à enterrer le rock qui les avait nourris ! D’où la typo évoquant les Rolling Stones, Coca-Cola ou Heinz Tomato Ketchup.»
Déjà, l’ambition affichée d’être une marque. Et l’Amérique en ligne de mire…elle en abreuve chaque sillon.
Mais Daft punk Homework s’inspire d’une tout autre Amérique, plus secrète, méconnue. Celle des quartiers populaires de Chicago, où il ne fait pas bon traîner le soir.
Pas bégueules, les Daft Punk indiquent d’ailleurs clairement le sens de la visite: sur le morceau dédicace « Teachers » s’amusent à distordre les noms de leurs artistes préférés sous des tonnes d’effets. On reconnaît facilement les quatre premiers: «Paul Johnson ! DJFunk ! DJSneak ! DJRush !» Ces quatre-là figurent parmi les héros de la ghetto-house de Chicago, un sous-genre, cousin du hip-hop.
Une musique de danse aux paroles souvent salaces, enregistrée pour pas cher, grâce, notamment, à deux instruments de la firme Roland, vite bradés sur le marché : la basse synthétique TB303, méchamment cogneuse, et la boîte à rythmes TR909, aux sonorités stridentes.
«Guy-Manuel et Thomas étaient des fans absolus du label Dance Mania, de Chicago, se souvient un autre compagnon des débuts, le DJ et patron de label Pedro Winter. Mais avec Homework, ils ont su emmener la house encore plus loin. Les Daft ont tout essayé avec leurs machines. Je me souviens de Thomas branchant une pédale de guitare sur un synthé et de m’être dit qu’il était devenu fou. Mais au final, ça fonctionnait si bien que le résultat était réellement dingue. Un titre comme Alive reste de la house, mais avec le son de batterie d’AC/DC !».
Un choc assuré, aujourd’hui encore, pour ceux qui ne se souviennent que du hit Around the world, obsédante scie disco-électro qui fait toujours un tabac dans les fêtes de mariage. Derrière, Alive et Révolution 909 enfonçaient le clou, préparant à Rollin’ & scratchin’, sommet bruitiste de l’album.
Car Homework n’est pas un disque aimable, plutôt une œuvre visionnaire, révolutionnaire, exaltée. Serge Nicolas se souvient de Guy-Manuel vers 1993, fêtard anonyme parmi les ravers, tard dans la nuit, lors d’une soirée en banlieue parisienne.
« Il hurlait comme un possédé sur le dancefloor, les bras levés au ciel. L’intensité de ces premières raves était incroyable. Peut-être parce que nous n’étions jamais sûrs de revoir nos amis. A l’époque, il n’existait encore aucun remède contre le sida ».
Les Daft Punk captaient dans le groove synthétique de Homework cette gravité mêlée d’une volonté inouïe : faire la fête malgré tout, faire la fête, surtout. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, allant toujours au bout de leurs idées, habillent de costumes de squelettes les danseurs du joyeux, mais macabre, clip de Around the world, réalisé par Michel Gondry.
Et dire que Daft punk Homework a bien failli ne pas être français ! «Ils m’ont mis une sacrée pression», se rappelle Emmanuel de Buretel, actuel patron du label Because. En 1996, celui-ci avait dû ferrailler dur pour signer les Daft Punk sur le label Virgin France.
«Lors d’un premier rendez-vous sur la butte Montmartre, ils avaient scotché aux murs tous les fax de propositions de labels étrangers. Toutes les maisons de disques s’étaient manifestées ».» Le résultat d’un buzz savamment orchestré par les Daft eux-mêmes.
«Ils ont imposé que le son d’une chanson – qui change et progresse par strates telle une fusée qui décolle – soit aussi essentiel à l’écriture d’un morceau que sa mélodie, analyse de Buretel. Hier encore, j’écoutais Rollin’ & scratchin’ dans ma voiture. Dix-sept ans après, ce morceau est toujours aussi phénoménal.»
Source : https://pitchfork.com – www.telerama.fr
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CREDITS :
Enregistré entre 1993 et 1996 à la Daft House (Paris) – Virgin
Daft Punk :
Réalisation :
- Thomas Bangalter : réalisateur artistique
- Guy-Manuel de Homem-Christo : réalisateur artistique
- Nilesh Patel : mastering
Design :
- Guy-Manuel de Homem-Christo : design
- Nicolas Hidiroglou : photographe
- Philippe Levy : photographe
- Serge Nicolas : artwork
Matériels :
- Sequencers : Alesis MMT-8 – Apple Macintosh + EMAGIC MicroLogic
- Samplers : AKAI S01 – E-MUE III – E-MU SP-1200 – ENSONIQ ASR-10 – ROLAND S-760
- Synthesizers : ROLAND Juno-106 – ROLAND MC-202 – ROLAND MKS-80 – ROLAND TB-303 – SEQUENTIAL Prophet-VS
- Drum Machines : LINN LinnDrum – ROLAND TR-707 – ROLAND TR-808 – ROLAND TR-909
- Effects : ALESIS Microverb III – ALESIS 3630 Compressor – BEHRINGER Compressor – BEHRINGER Parametric EQ – ENSONIQ DP/4+ – LEXICON Vortex – LEXICON JamMan – LA Audio Gate/Compressor – WALDORF MiniWorks 4-pole – YAMAHA Digital Delay
- Mixers/Recorders : MACKIE. MS-1202 – MACKIE. CR-1604 – PANASONIC SV-3700