• Post category:ALBUM
  • Auteur/autrice de la publication :
  • Temps de lecture :9 min de lecture

Le succès est la dernière chose à laquelle s’attend le pianiste Dave Brubeck lorsqu’il entre en studio en 1959, avec une liasse de partitions au tempo déroutant. Ce pianiste à lunettes a déjà accumulé un public de fans enviable, grâce à ses concerts novateurs sur les campus américains. Musicien expérimental qui n’a jamais laissé sa popularité affecter sa muse, Brubeck enregistre ici l’un des albums de jazz les plus populaires de tous les temps – Dave Brubeck Time out – avec un programme pour le moins inattendu.

Le 17 août 1959 sort l’album phare de Miles Davis, Kind of Blue. Le lendemain, le pianiste Dave Brubeck boucle le Blue Rondo a la Turk, premier titre de son album Time Out. Même label (la Columbia), même studio de la 30e Rue (une église désaffectée qu’adorent les musiciens) ; même producteur, Teo Macero ; même graphiste, Neil Fujita. Deux couleurs du ciel, deux trajectoires divergentes.


Dave Brubeck Time out

Blue rondo a la turk, composé par Dave Brubeck, sous une triple influence: le classique (Rondo), le blues, bien sûr, et le folklore turc et grec auquel Brubeck emprunte une métrique irrégulière dans son thème, trois mesures de trois fois 2 temps puis une fois 3, suivies d’une mesure de 3 fois 3…

Bartok a beaucoup influencé Brubeck, par son utilisation de rythmes irréguliers inspirés du folklore Bulgare, mais une fois le thème passé, c’est à travers une métrique de blues en 4/4 très classique que Paul Desmond, puis Dave Brubeck improvisent.

Strange meadowlark, de Brubeck, joue sur le contraste entre une intro au piano solo rubato, c’est à dire impliquant une irrégularité dans l’expression, et une séquence de solos (Là encore, le sax alto et le piano) en 4/4.

Dave Brubeck Time out
Dave Brubeck Time out

Dans Take five, au rythme en 5/4 jusque-là hermétique au swing, il maintient au piano une improvisation percutante et constante, tandis que Paul Desmond, au saxo alto, y entremêle un motif harmonique sinueux.

Pour les néophytes, 5/4 signifie qu’une mesure ne contient pas 4 noires, comme cela est habituel dans la musique pop, mais bel et bien 5. Après des années de matraquage en 4/4, l’exercice devient une manipulation de l’esprit, surtout pour l’instrument non mélodique mais uniquement rythmique qu’est la batterie.

C’est certainement la signature rythmique de Joe, en 5/4, qui a fait cette chanson, reconnaît Brubeck. Paul devait écrire ce solo pour Joe, mais il n’y parvenait pas. Il a donc mis des idées sur papier et je les ai assemblées. C’est moi qui lui ai donné le titre Take Five. Le morceau n’a pas pris forme en studio, mais plutôt dans la pièce avant de ma maison, pendant qu’on répétait. C’est la contribution de chacun des membres du vieux quartette (dont faisait également partie le contrebassiste Eugene Wright) qui a permis cela. Le public nous l’a réclamée à chaque concert depuis.

Dave Brubeck

Il faut remettre les choses dans leur contexte, nous sommes en 1959, et le jazz modal et les expérimentations rythmiques ne sont pas légion mais commencent tout juste à apparaître. La légende voudrait que le morceau ait été composé pour décourager le public de taper dans leurs mains, ne comprenant pas le 5/4, ils n’auraient pu suivre un tel rythme.

Dave Brubeck Time out

Three to get ready alterne le 3/4 et le 4/4, à travers des séquences très courtes, qui alternent aussi entre l’inspiration presque classique de la valse, et le swing. Les deux principaux solistes sont Desmond et Brubeck, mais Wright et Morello se font beaucoup entendre dans des échanges inspirés.

Kathy’s waltz, sous ses allures de ballade alterne les métriques (3/4 et 4/4). Brubeck en est le premier soliste, sur le thème suivi d’une improvisation exemplaire de Desmond (3/4). Dans son solo, Brubeck s’amuse à mélanger les deux, en improvisant parfois en 3/4, en décalage volontaire avec la rythmique à quatre temps.

Everybody’s jumpin’ est un thème important dans la carrière de Brubeck, car le morceau sera utilisé comme thème principal dans l’œuvre The real ambassadors.

Dave Brubeck Time out

Pick up sticks, en 6/4, repose sur une assise rythmique due au talent de Joe Morello pour donner vie d’une manière tangible et reconnaissable à ces changements inattendus de métriques, comme la rythmique de Take five. Il faut dire que plutôt qu’un thème, le morceau repose sur une figure rythmique d’une mesure… Brubeck improvise le premier sur l’introduction, en jouant sur les pleins et les déliés comme il savait si bien le faire.

Puis Desmond, qui se laisse aller à quelques orientalismes bien dans son style, avant que Brubeck ne revienne et ne s’approprie le théâtre des opérations en accords plaqués, en jouant une fois de plus avec gourmandise sur le décalage entre lui et la rythmique…

Cependant, sur Dave Brubeck Time out, Brubeck n’est pas la vedette. On oublie souvent que c’est Desmond, dont le style fluide et aéré a joué un rôle important dans le succès du quartette, qui a composé ce succès durable.

Dave Brubeck Time out
Dave Brubeck Time out

La batterie de Joe Morello et la contrebasse d’Eugene Wright sont tout aussi importantes, car elles transforment en standards de jazz un morceau aussi délicat que Blue rondo à la turk, en 9/8, et Three to get ready, qui oscille entre un rythme en 3/4 et en 4/4.

Dave Brubeck avait une obsession du temps. Nombre de ses albums contiennent le mot “time”. Time Out, donc, Time Further Out en 1961, Time changes en 1964 et Time In 1966.

Time out, titre mythique du Dave Brubeck Quartet inaugurait une série de 5 albums au travers desquels, le compositeur Brubeck allait s’amuser avec le temps (Time), superposant des mesures à 5/4 et 3/4 par exemple, expérimentations sur le temps qui s’avéreront payantes car novatrices.

Sources : https://anotherwhiskyformisterbukowski.com – http://papyblues.com – www.lapresse.ca – www.citizenjazz.com

###

CREDITS :

Enregistré les 25 juin, 1er juillet, 18 août 1959 au Columbia’s 30th Street Studio, New York City – Columbia Records

Laisser un commentaire