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Quand il ne garde pas les zébus de son frère à Madagascar, D’Gary joue de la guitare. Magnifiquement. Son album Mbo loza sorti en 1997 en a fait le chef de file d’une tradition qui n’existait pas encore : celle d’un blues de l’océan Indien où la véhémence des propos n’altère jamais la luminosité harmonique.

Sa première guitare, D’Gary a 14 ans lorsqu’il l’a construit de ses mains avec une planche de contreplaqué et du fil en nylon pour canne à pêche en guise de cordes. Si cet épisode tisse un lien supplémentaire avec la biographie des bluesmen du Delta, dont les premiers instruments étaient généralement construits à l’aide de matériaux de récupération, son oreille en revanche n’a jamais été soumise à la moindre écoute des maîtres de la gamme pentatonique.

Autour de lui, il entend l’accordéon, le violon et tout un éventail d’instruments traditionnels servant à honorer les formes ancestrales du folklore bara, antandroy, vezo ou masikoro, ethnies les plus représentatives du Sud malgache.

Je suis originaire de Betroka dans la province de Toliara. À 8 ans, mon père ayant été muté, on s’est retrouvés en pleine ville de Toliara, avec tous ces sons incroyables qui arrivent de partout. Mon père «était trompettiste au sein de la fanfare de la gendarmerie. Dans la caserne, on passait notre temps libre à jouer de la guitare et à faire du sport. Je n’ai jamais vraiment aspiré à faire une carrière dans la musique, j’ai toujours joué pour le plaisir d’apprendre. Dans notre bâtiment, un gendarme faisait souvent la « cérémonie de la transe » (tsapiky) à sa femme. Je tendais l’oreille pour écouter comment il jouait du marovany (cithare), puis j’ai cherché à reproduire le son sur ma guitare.

D’Gary

Ayant atteint l’âge de la retraite, son gendarme de père souhaite regagner Betroka, village-souche de la famille, pour se consacrer à l’élevage de son troupeau de zébus. Quand il meurt, D’Gary est âgé de 17 ans.

Une coutume du bas pays, le havorila, exige que tous les membres de la famille se réunissent entre la fin de l’automne et le début de l’hiver pour pleurer une dernière fois ceux qui ne sont plus là.

Suivant la coutume des Bara Zafindravala, des mois après sa mort, lors de la récolte du riz, nous avons fait le havoria, un rituel pour pleurer une dernière fois le défunt. Nous avions fait appel à des shery, des chanteurs et musiciens de village qui accompagnent des pleureuses à la cithare, violon, mandoline, accordéon et percussions. J’ai remarqué que les pleureuses reprenaient les mélodies traditionnelles des shery, mais sans la rythmique. Cela a titillé ma curiosité, j’ai voulu reproduire cet effet et c’est comme ça je me suis mis à la guitare à temps plein.

D’Gary

D’Gary va réellement naître musicien à la mort de son père. La liberté formelle du technicien, qui ne se soumet à aucune tablature et invente ses propres modes pour accorder son instrument, va rencontrer la liberté, douloureuse celle-là, de l’enfant dépossédé de son plus sûr refuge.

A cela s’ajoute une autre forme d’aiguillon : la nécessité. A la mort du père fonctionnaire de la République, la mère doit toucher une pension que l’Etat malgache ne s’empresse nullement de verser. La mère demande alors à son fils de l’emmener à Tananarive, la capitale, où ils pourront s’acquitter des démarches administratives. Celles-ci vont durer quatre ans avant d’aboutir.

D'Gary Mbo loza
D’Gary Mbo Loza

Cette situation a deux incidences : elle lui fait prendre conscience du formidable pourrissement dont le système est atteint et le pousse à devenir musicien professionnel. Il joue dans les studios de la ville pour de modestes cachets, accompagne des chanteurs locaux dans des bals villageois, enregistre quelques 45t dont un avec l’Echo de Betroka.

En 1987, il fonde un trio à base de guitare, chants et percussions préfigurant la formule utilisée aujourd’hui avec la chanteuse Rataza. Son nom, Iraky Ny Vavarario, signifie « le messager du Sud ».

D’Gary dénonce la corruption avec une franchise qui lui vaut quelques désagréments. Sa chanson sur la justice, A la tsa ho balance, titre décrivant la manière dont la balance présente sur le fronton des palais penche dangereusement d’un côté, toujours le même, n’est diffusée qu’une seule fois à la radio nationale avant d’être rattrapée par la censure.

Depuis l’arrivée des socialistes, les choses se sont un peu ouvertes. Mais beaucoup d’artistes sont sous la coupe des politiques. Ils chantent les problèmes sans jamais désigner les vraies causes. Tout est magouille. Moi je suis resté indépendant. On m’a contacté pour devenir un allié du pouvoir. On me proposait de passer à la radio, à la télé. J’ai refusé. Je ne veux pas servir de caution aux politiques, je ne veux pas être utilisé par ceux qui maintiennent 80 % de la population dans l’illettrisme.

D’Gary
Jackson Browne, David Lindley, World out of time
Jackson Browne, David Lindley, World out of time

D’Gary n’accorde plus d’interview à la presse malgache depuis longtemps (« Tous corrompus, tous à la botte du pouvoir »), mais sa réputation aura grandi malgré l’ostracisme pour parvenir jusqu’aux oreilles de Henry Kaiser et de l’ancien guitariste de Jackson Browne, David Lindley, qui produiront en 1992, sur le label Sonaki, les albums Malagasy guitar et World out of time et favoriseront sa présence à l’affiche de festivals aux Etats-Unis.

En 1989, j’ai fait la rencontre à Mada de deux grands professionnels américains Henry Kaiser et David Lindley (qu’on entend notamment sur la bande-son du film Zabriskie Point et plus tard a fait partie du groupe de Jackson Browne). Ils se sont beaucoup intéressés à ma technique et m’ont enregistré pendant une heure 13 morceaux, dont 11 en open tuning. Cela a abouti à la réalisation de mon premier album international Malagasy Guitar, The music from Madagascar, en 1991.

D’Gary

En Louisiane, il croise le manche avec Sonny Landreth et confronte sa technique à celle de bluesmen invités sur le site… qui n’en reviennent toujours pas. S’ils se reconnaissent un lien de parenté avec ce colosse débonnaire, sa technique les laisse perplexes.

D’Gary appartient sans doute à la famille du blues, mais sa musique n’en possède pas l’âpreté et ne se soumet à aucune forme de codification répertoriée. La tristesse y subit l’influence apaisante des embruns de l’océan Indien et son langage préfère le sens propre et l’expression directe à la métaphore et au style allusif des vieux éperviers noirs du Mississippi.

Pas de paroles secrètes ou d’intentions cachées, tout est dit avec une déraisonnable franchise (« Eh toi, l’homme tiré à quatre épingles ! J’en ai assez de payer tes impôts »), un refus de l’ombre qui offre à l’ensemble une luminosité musicale contrastant salement avec le propos.

Sur « Mbo Loza » sorti en 1997, la formation est réduite à un trio guitare-percussions-voix et c’est Rataza, danseuse irrésistible, qui prend le rôle de chanteuse principale. D’Gary commence à se faire entendre timidement, il n’a pas encore confiance en sa voix qu’il n’a jamais jugée bonne. Il faudra attendre les sessions d’ »Ataka Meso » en 2000 (sorti en 2001) pour qu’il se lance sans retenue.

Le plaisir limpide que l’on rencontre à l’écoute de Mbo loza (« C’est toujours le malheur »), second album édité par Indigo après Horombe en 1994, tient en partie à cette façon inouïe de préserver la fragilité harmonique, à maintenir le souci du beau, quand tout, à commencer par le thème des chansons, devrait requérir rage, ironie ou cynisme.

D'Gary Mbo Loza
D’Gary Mbo Loza

Sur le titre « Asmine », D’Gary s’adresse directement à une femme adorant la « full life », obnubilée par l’argent en oubliant sa dignité. Alors, il lui dit « Asmine, c’est l’heure », le moment de mettre un frein à cette vie. Sans être moraliste, la chanson démontre toute la panoplie de maître de la guitare du génie.

Les paroles paraissent venir à la poésie, mais non l’inverse. Sans traduire en vers les tournures de l’âme, ni user de belles strophes. La combinaison des textes, des mélodies, des rythmes, des tensions… est nécessaire pour faire éclater ce « spleen poétique ». Ainsi, Asmine n’est pas jugée, elle est plutôt accompagnée dans sa folle ronde. 

Entre les doigts de D’Gary, la guitare n’est pas une machine à tuer des fascistes, ni à empaler les corrompus, mais l’instrument de ceux qui sont désarmés, le dernier outil à créer du bien quand plus rien ne semble pouvoir endiguer la progression du mal.

D'Gary Mbo loza
D’Gary Mbo loza

Sa guitare qu’il accorde de onze manières différentes et qu’il joue en open tuning à la manière des bluesmen exprime le fruit d’un long travail de recherche harmonique. Virtuose du picking, cette technique le pousse à un époustouflant niveau de vélocité et une technique de jeu très personnelle :

Je joue en open tuning. Sur le plan technique, cela signifie que les cordes de ma guitare sont accordées de manière différente de l’accordage standard. Ces « déréglages » rappellent les sonorités d’autres instruments comme la cithare et le violon traditionnels, voire la mandoline et l’accordéon.

Je frappe trois cordes à la fois comme dans le marovany, je modifie les réglages pour obtenir un jeu plus ou moins rapide. Je frappe à l’aide du pouce et de l’index de la main droite. Le pouce qui joue les notes mi/la/ré, c’est le peuple et l’index qui s’occupe des trois autres, c’est le gouvernement, c’est lui qui donne les ordres.

D’Gary

Quand il ne joue pas de guitare, D’Gary fait de l’utilitaire dans sa province. Il sert d’intermédiaire entre les paysans et les administrations, remplit les papiers, fait les démarches, informe ces gens majoritairement illettrés des mesures à prendre contre les épizooties frappant les troupeaux de zébus ou sur les produits à asperger afin d’éviter que les sauterelles ne dévorent toute la récolte.

Gratuitement. Il s’occupe aussi des jeunes musiciens talentueux qu’il amène dans les studios en ville. Quand il rentre au village, c’est pour aider les siens à la ferme où l’on cultive le riz et le manioc.

Sources : www.discogs.com – https://www.nocomment.mg/ – www.midi-madagasikara.mg – www.afrisson.com – www.lesinrocks.com – https://musique.rfi.fr

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CREDITS :

Enregistré en juin 1996 au Studio Gil Evans – Amiens, France – Indigo records

TITRES :

1 Gofo Libre 2:44
2 Atahora Fabiby 2:53
3 Mibaby Diavolana 3:47
4 Mare Rano 5:42
5 Lehibeny 3:21
6 Te-Beheloky 2:30
7 Ragnandria 2:44
8 Kinanga 3:33
9 Mbo Loza 3:39
10 Asmine 4:12
11 Manoro 4:08

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