Dire que le producteur new-yorkais est un pionnier serait un rien convenu – c’est pourtant ce qui lui correspond le mieux. Ce natif de Houston a été aux commandes des albums les plus légendaires du rap, de Illmatic à Ready To Die en passant par Reasonable Doubt, s’imposant comme l’architecte du son rap new-yorkais des années 90. C’est d’ailleurs pour ça que des types aussi divers que Dr Dre, D’Angelo ou Joey Bada$$ veulent bosser avec lui.
Bien avant qu’il soit à l’origine de tous ces albums cultes, Christopher Edward Martin de son vrai nom bravait les frontières connues en devenant le premier producteur de rap à sampler du jazz, un tournant qui a permis de tracer un lien spirituel évident entre les différentes périodes de la black music.
« Manifest », son premier single en tant que moitié de Gang Starr utilisait le groove de Charlie Parker et le fameux « A Night In Tunisia » de Miles Davis, et le titre finit par tomber entre les oreilles de Spike Lee, qui réquisitionna le duo sur la bande-son du film Mo’ Better Blues en 1990. Ils ont enregistré pour l’occasion une nouvelle version de « Jazz Thing » issu de leur album No More Mr. Nice Guy. C’est au cours du tournage que Spike Lee leur présenta le directeur musical du film, Branford Marsalis, et, comme on dit, the rest is history.
S’en suivit une série de morceaux classiques et de projets divers qui mettaient en pratique la connaissance poussée de Premier en matière de jazz, sans pour autant sonner comme des leçons rébarbatives. Il a produit l’album Buckshot Lefonque de Marsalis (titre en référence à un des alias du musicien Cannonball Adderley) et contribué aux fameux Jazzmatazz de Guru, qui se nourrissait des mêmes inspirations que ses incartades plus mainstream – « N.Y. State of Mind » par exemple, était construite sur un sample de Donald Byrd et « Ten Crack Commandments » sur un groove de Les McCann.
C’était révolutionnaire pour l’époque. A Tribe Called Quest et De La Soul exploraient des sources similaires mais ils le faisaient pour s’opposer au rap de la rue, sans complètement embrasser le style. Pour Premier, le lien entre les deux genres est évident, « le jazz vient de la rue, le hip-hop vient de la rue » affirme t-il, « c’est juste un langage différent, c’est une musique née de la galère, de la lutte et du combat pour l’égalité et pour un avenir meilleur.
Pour parler des trucs pétés qui arrivent à notre communauté, en tant que minorités. » Pour un bon moment daron, on a donc demandé à DJ Premier de nous parler des 8 albums de jazz que tout fan de rap devrait impérativement posséder.
Miles Davis – Bitches Brew (1970)
« Ma mère l’avait, elle l’écoutait tout le temps à la maison. Elle était prof d’art, elle peignait beaucoup et est vraiment branché par l’art africain – mes parents ont des statues africaines partout autour de leur maison au Texas.
La pochette de Bitches Brew, avec ce noir à la peau très sombre – et je précise bien parce qu’on a tous des teintes différentes, mais nos frères à la peau sombre ne sont pas autant exposés que ceux qui ont la peau claire. Bref, elle peignait tout, mais était surtout intéressée par l’iconographie africaine, et cette pochette symbolise exactement tout ça. C’est ça qui a a attiré mon attention. Et après, tu écoutes la musique et tu réalises qu’elle est en adéquation parfaite avec l’artwork. »
John Coltrane – A Love Supreme (1965)
« C’est un classique, tout le monde devrai l’avoir, point. Si tu n’as aucun disque de Coltrane, A Love Supreme fera le taf. Il t’expliquera tout. Même si tu ne captes pas le truc, ça t’expliquera quand même où il veut en venir. Voilà à quel point cet album est profond. »
Weather Report – Heavy Weather (1977)
« Je suis un bassiste et batteur —et donc un grand fan des joueurs de basse. J’adore Stanley Clarke. J’aime Rocks, Pebbles and Sand, un de mes albums préférés. Et aussi School Days – qu’est ce que je l’ai saigné School Days. Je pourrais écouter ce disque toute la journée. J’adore Jaco Pastorius, qui était membre du groupe.
Le morceau qui m’a le plus séduit sur ce disque a été ‘Teen Town’, et une fois que j’ai plongé dedans je me suis mis à écouter tous les albums de Weather Report, de Black Market à Mysterious Traveler. J’étais vraiment fan de leur musique, et puis Jaco a commencé à faire des trucs en solo, j’ai suivi aussi, tout comme le pianiste Joe Zawinul dont j’étais fan. »
The Crusaders – Those Southern Knights (1976)
« ‘Keep That Same Old Feeling’ était un morceau hyper populaire – c’est un des morceaux les plus durs à apprendre à la basse. C’est une chanson qui m’a donner envie de maîtriser cette façon de jouer. Voilà pourquoi j’aimais autant ce titre. Et c’est pareil pour tous les disques des Crusaders —Southern Comfort, Chain Reaction, Second Crusade, et surtout Street Life.
Mais si j’aime à ce point Those Southern Knights, c’est vraiment pour ce titre là, ‘Keep That Same Old Feeling’, les mesures, leur façon de jouer… Ça a énormément influencé ma façon de poser une ligne de basse, de reprendre un sample et de jouer par dessus. Je ne l’ai jamais samplé directement, je ne le ferai pas non plus, mais cette chanson a définitivement influencé ma façon de produire et de jouer. »
Cannonball Adderley – Country Preacher (1969)
« Ce morceau, ‘Walk Tall’, avec Jesse Jackson qui parle en intro — on trouvait ça énorme à l’époque. Genre, wow, les mecs ont réussi à avoir Jesse Jackson sur leur disque. D’ailleurs, A Tribe Called Quest l’ont réutilisé plus tard— mais j’en dirais pas plus, ils n’avaient peut-être pas les droits ! »
Herbie Hancock – Head Hunters (1973)
« J’écoute Herbie Hancock depuis toujours. Il est passé par tellement de phases, avant de mettre le hip-hop au premier plan grâce à ‘Rock It’ et tout ça. Nous, on écoutait déjà Head Hunters, et Thrust et Manchild.
Future Shock avait ‘Rock It’ dans sa tracklist et ça a été un passage déterminant dans la manière dont les groupes ont ensuite rendu hommage au hip-hop, même dans la vidéo. Même en live aux Grammys ! Tous ses disques —Secrets, etc… Il a pris tellement de direction différentes. Il a emprunté tellement de genres et a su rester lui-même. Et jamais il n’a eu peur d’expérimenter, tu vois ? »
Branford Marsalis – Random Abstract (1987)
« Branford m’a beaucoup appris quand on a travaillé ensemble sur le projet Buckshot LeFonque —notamment sur sa manière d’envisager sa musique. Même si on se disputait souvent à propos du hip-hop ; il n’a jamais aimé les lyrics de rap. Tout ça ne l’a jamais intéressé, c’est le son en lui-même qui l’intéressait. Il revenait toujours sur ce débat, mais un truc que j’aime chez lui, c’est son honnêteté, et son respect pour ce que j’avais fait. Il voyait comment je manipulais la musique.
Random Abstract est sorti en 87 —quand Guru et moi avons rencontré Branford, Random Abstract était son album du moment. Je kiffais aussi l’artwork, parce que ça me renvoyait directement à ma mère – tous les trucs abstraits qu’elle avait dans la maison, et tous les gens du quartier qui avaient des tableaux de ma mère accrochés chez eux. C’est vraiment en partie grâce à Branford Marsalis, et à Spike Lee, qu’on a pu signer sur une major avec Gang Starr. Je lui dois beaucoup. Beaucoup. »
Source : www.vice.com