Encontro com a Velha Guarda – Enregistré en 1976 au Phonogram Studios, Rio De Janeiro – Polygram
Durant les années 30, les jeunes créateurs de samba vont se constituer en écoles de samba créant ainsi un univers de songwriters que l’on appellera sambistes. N’ayant ni les moyens ni l’accès aux studios d’enregistrements, ils confient souvent l’interprétation de leurs chansons à d’autres, moyennant des droits cédés à bas prix.
Ces écoles de samba, créées autour de la Praça Onze, vont être contraintes par les autorités de déménager dans les favelas situées sur les collines aux abords de la ville, les morros. Leur musique prend alors le nom de « samba de Estàcio ». C’est là que ces écoles vont se révéler des émanations musicales des blocos, les groupes de défilés du carnaval.
Citons l’école emblématique de cette deuxième génération de sambistes appelée « Estàcio » : Deixa Falai; fondée en 1928 par Ismael Silva, qui ralentit alors le tempo du samba pour l’éloigner de l’influence du choro. C’est à cette époque et sous son impulsion que va se fixer le canon rythmique de cette musique.
Encontro com a Velha Guarda
Historiquement, le sambiste le plus significatif issu du quartier Vila Isabel est Noel Rosa, parolier et compositeur des années trente, redécouvert avec enthousiasme dans les années cinquante, dont les sambas classiques ont traversé les décennies.
Dans les années 50, le samba-canção perd de son intensité au contact des boleros, fox-trot et cha-cha-cha. La qualité musicale du genre décline, et quelques jeunes musiciens insatisfaits (la plupart issus des classes moyennes), font leur propre révolution : la bossa nova.
Mais en haut des morros, dans les favelas où la plupart des pauvres habitent désormais, la samba originelle d’Estacio a survécu et poursuit sa propre évolution, fidèle aux instruments traditionnels comme le cavaquinho, le pandeiro et le tamborim.
La samba devient une expression culturelle trop forte pour rester cantonnée au rang de simple phénomène de quartier… Elle envahit alors le reste de la ville, puis le pays entier. Des personnalités comme Cartola, Nelson Cavaquinho, Clementina de Jesus, Zé Keti, Elsa Soares, Monsueto, Silas de Oliveira et Mano Décio da Viola en sont les chefs de fil.
Enregistré en 1976, et produit par Marco Mazola, l’album « Encontro com a Velha Guarda » réunit des sambistes de légende dont le renom ne reflète pas le talent. À l’exception de Nelson Cavaquinho et Ismael Silva, peu sont connus du grand public. Si la plupart ont composé pour de grandes voix de l’ère des radios, ils n’ont rien interprété.
En cela, cet album est inédit. Une grande partie des artistes figurant sur ces enregistrements interprètent leur propre composition pour la première fois : Mano Décio da Viola, Alvarenga, Duduca do Salgueiro, Walter Rosa, Alvaiade, Carivaldo da Motta, Iracy Serra et Pelado da Mangueira.
La formation qui accompagne ces compositeurs/interprètes est de grande qualité, mais, comme c’est très courant à l’époque, n’est pas créditée.
Le premier titre Saudade do passado est interprété par Mano Décio da Viola. Le nombre de sambas qu’il a composé pour l’école Império serrano suffirait déjà à le placer parmi les plus grands sambistes. En plus de Saudade do Passado, Mano Décio a composé des centaines de sambas, dirigé des écoles de samba (Recreio de Ramos, Prazer da Serrinha et Império Serrano).
Sur Salário mínimo, c’est Hemani de Alvarenga qui est à l’œuvre. Ce dernier a déjà près de 70 ans lorsqu’il enregistre ce titre. Actif depuis les années 20 lorsque Paulo da Portela l’invite à défiler dans le Vai Como Pode.
Au carnaval de 1976, il remporte la première place d’un concours organisé à Rio de Janeiro. La samba présente sur ce disque a connu un grand succès à Portela dans les années 50.
Feliz é quem sabe esperar est une composition de Noel Rosa. Né au Morro do Salgueiro, fils de Pedro Rosa et portant son nom, Noel Rosa de Oliveira a signé parmi les plus grand titres de samba : « Chica da Silva », « Zumbi dos Palmares » et « Só Resta a Saudade ».
La samba Ingraditão, d’Ismael Silva, fondateur de la première école de samba – Deixa Falar – est sublime. Artisan de la samba de carnaval avec ses compagnons du quartier de Estácio de Sá, cette samba qui fait bouger les masses, sorte de samba pour fêtards puissent se déplacer dans le carnaval. Il était le partenaire de Noel Rosa.
Clara de ovo est de Duduca, né dans le Minas Gerais en 1926, mais qui a enregistré à Rio de Janeiro, comme carioca. Il vit à Morro do Salgueiro depuis l’âge de sept ans et commence à 17 ans à se produire dans les écoles de samba (Salgueiro).
É por aqui est une composition de Walter Rosa, un monstre sacré de la samba de Rio de Janeiro depuis les années 50, lorsqu’il quitte les écoles d’Engenho da Rainha pour celles de Portela. Pour ses innombrables sambas-enredos et sambas de quadra, Walter Rosa est l’un des compositeurs les plus expressifs de Portela et de samba carioca.
Concurso para enfarte d’Oswaldo dos Santos, né le 21 décembre 1913 à Estrado do Portela. Alvaiade est impliqué dans la samba depuis 1928, lorsque Paulo da Portela l’emmène à l’Escola de Samba Vai Como Pode, plus tard Portela.
Déjà à cette époque, il révèle les qualités qui le caractérise en 1976 : excellent compositeur et habile orateur. A tel point qu’en ses absences, Paulo da Portela lui confie la tâche de recevoir les illustres invités ou de représenter l’école dans les visites des autres bastions de la samba. Son plus grand succès est « O que vier eu traço », interprété par Ademilde Fonseca, mais il a réussi à faire connaître d’autres de ses chansons au public, comme « Marinheiro de primeira viagem », un enregistrement du duo Tom Zé et Zilda.
Eu vou sorrir d’Iracy Serra à la voix/guitare est l’accompagnateur officiel des compositeurs de Salgueiro et l’un des plus anciens compositeurs des favellas, compagnon du légendaire Antenor Gargalhada et partenaire de Pindonga dans de nombreuses sambas de terreiro et sambas-enredo, comme la célèbre « Casa do Pequeno Jomaleiro », que l’Escola de Samba Depois eu Digo a chanté en 1940, en l’honneur de la première dame du pays, Dona Darcy Vargas.
Enfin, Relíquias da Bahia de Pelado (Jorge Alves de Oliveira), compositeur de l’école de Mangueira est entré dans l’Avenue en chantant des sambas composées par Pelado (l’une d’entre elles, Relíquias da Bahia, 1963). Né à Mangueira, dans le Morro de Santo Antonio, Pelado participe à la samba (tant dans Unidos da Mangueira que dans Estação Primeira) depuis son enfance, en y jouant de la batterie.
Ces chansons sont une façon de marquer le temps aussi immuable que les lignes de vie d’un tronc d’arbre. La poésie du quotidien remplit neuf des dix titres, qu’il s’agisse de nous parler de l’absurdité d’essayer de s’en sortir avec le salaire minimum brésilien, ou de nous raconter des histoires de cœurs brisés, de mágoas, d’être maltraité mais de le supporter quand même parce qu’on adore quelqu’un, et bien sûr de vengeance réelle ou imaginaire.
De nombreux morceaux font preuve de ce qu’on pourrait appeler une mélancolie pragmatique, triste mais jamais larmoyante, et souvent avec une dose d’humour noir comme la contribution d’Alvaiade.
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TITRES :
- 1 – Saudade do passado – Mano Decio da Viola (Mano Decio da Viola – Rubens da Silva)
- 2 – Salário mínimo – Hernani de Alvarenga (Alvarenga O samba falado)
- 3 – Feliz é quem sabe esperar – Noel Rosa de Oliveira (Jota Palmeira – Noel Rosa de Oliveira)
- 4 – Ingratidão – Ismael Silva (Ismael Silva)
- 5 – Clara de ovo – Duduca (Duduca – Pompeu – Noel Rosa de Oliveira)
- 6 – É por aqui – Walter Rosa (Walter Rosa)
- 7 – Juizo Final – Nelson Cavaquinho (Nelson Cavaquinho – Élcio Soares)
- 8 – Concurso para enfarte – Oswaldo dos Santos (Alvaiade)
- 9 – Eu vou sorrir – Iracy Serra (Carivaldo da Motta – Iracy Serra)
- 10 – Relíquias da Bahia – Pelado da Mangueira (Pelado da Mangueira)
CREDITS :
- Marco Mazola : producteur
- Jairo Gualberto : ingénieur du son
- Aldo Luiz : Directeur artistique
Très bel album en effet et très méconnu. Bravo au passage pour toutes vos belles chroniques de musique brésilienne. Super sélection et super chroniques bien fouillées!