Sorti en 1974 et premier album cosigné avec Brian Jackson, Gil Scott Heron Winter In America enfonce le clou avec un portrait sans complaisance de la décadence économique américaine (la plage titre). Scott-Heron poursuit sa mue de poète des rues agressif en messager musical. Avec Winter In America, Gil Scott-Heron se fait connaître du grand public, en grande partie grâce à Brian Jackson, joueur de synthétiseur de talent qui l’accompagne.
En 1973, Gil Scott-Heron vient d’enregistrer deux albums pour Flying Dutchman, Pieces Of A Man et Free Will, qui comptent parmi ses plus réussis. Mais le torchon brûle avec Thiele. Après que le producteur a refusé de faire figurer à côté de son nom celui de son alter ego de toujours Brian Jackson, Gil prend ses cliques et ses claques et enregistre avec Brian un album pour Strata East, petit label indépendant fondé par Charles Tolliver et Stanley Cowell sur la côte Est.
Gil Scott Heron Winter In America
C’était le début d’une époque pessimiste. George Orwell a écrit « 1984 ». Tout ce qu’on voyait à l’époque c’était comme si 1984 était sur le point de devenir une réalité. En fait c’était déjà là. Mais ça nous a pris un certain temps pour en prendre conscience ! C’était une période dans laquelle il y avait tout de même de la positivité émanant des mouvements d’émancipation, les manifestations anti-guerre du Vietnam de la fin des années 60 et du début des années 70. Mais le gouvernement de Nixon a tout fait pour étouffer beaucoup de mouvements contestataires. Les choses ont changé. On sentait la rupture, le changement froid dans l’air. C’est de ça que « Winter in America » parle.
Brian Jackson
Des chansons telles que Rivers of my father et Very Precious Time, magnifiquement chantées par Scott-Heron, et accompagnées par les claviers subtils et discrets de Jackson possèdent une atmosphère décontractée et spirituelle.
Tous les arrangements sont de Brian Jackson. Il joue sur un Fender Rhodes. On avait découvert cet instrument cinq ans plus tôt dans Miles in the Sky de Miles Davis, mais quand Brian et moi avons débuté, on n’avait pas les moyens de se payer un Fender Rhodes. On avait eu un Farfisa, un Wurlitzer, on faisait comme on pouvait.
Gil Scott Heron
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Le duo offre ensuite deux morceaux rythmés, Back Home et The Bottle, description prophétique de l’aliénation croissante des plus défavorisés aux opiums généreusement fournis au peuple par les adeptes du Diviser pour mieux régner. Devenu un succès underground, il contient une contribution mémorable de Jackson à la flûte.
Brian et moi avons presque tout enregistré seuls. Je crois que c’est Bruce qui nous a proposé d’enregistrer au studio D&B Sound (Silver Springs). Le studio était minuscule mais l’atmosphère y était «cosy». La salle principale était si petite que quand nous devions enregistrer Brian et moi, l’un de nous deux devait sortir dans le couloir pour la prise. Ma voix sur « Bobby Smith » et « A Very Precious Time » ainsi que la flûte de Brian sur « The Bottle » et « Your Daddy Loves You » ont été enregistrés dans le couloir juste à coté de la fontaine à eau.
Gil Scott Heron
Ceci explique peut être pourquoi Winter In America est le plus intimiste des albums enregistrés par la paire, et aussi l’un de ses plus précieux.
Bob était déçu que le poème que je récitais comme un monologue en ouverture de mes concerts : « The H20gate Blues », ne figure pas sur l’album. Cette chanson était ma façon d’expliquer aux gens qui n’habitaient pas Washington l’enjeu réel du Watergate. Habiter Washington m’avait permis de beaucoup mieux comprendre la politique. Mais la raison pour laquelle je ne l’avais pas mise sur l’album était que personne en dehors de Washington ne semblait rien comprendre à ce que je racontais. Il a répondu que même si les gens ne comprenaient rien à la politique, c’était vachement marrant. Alors on a décidé de faire une prise, une improvisation parlée sur fond de blues. Ma description des couleurs, des trois mille nuances, m’est venue comme ça, et j’ai récité le poème en m’aidant de quelques fiches remplies de notes pour être sûr de me rappeler toutes les références sans hésiter. J’ai quand même hésité. Après l’avoir enregistré, on a écouté la bande en laissant un micro ouvert, comme si on était dans le public. Certains commentaires étaient formidables en fond sonore, en particulier pendant l’intro. Le poème fonctionnait bien ; il comblait un vide. Pas seulement pour l’aspect politique mais, comme avait dit Bob, pour faire rire. L’incident du Watergate n’était pas drôle en soi, ni rien de ce qu’il impliquait. Mais comme moment de décontraction, de relâchement de la tension sur Winter in America, il fut une conclusion idéale.
Gil Scott Heron
Sur H2O Gate Blues, Gil Scott-Heron dénonce pendant plus de 8 minutes l’aveuglement de l’Amérique en faisant le bilan du mandat de Richard Nixon : blanchiment d’argent pour financer sa réélection, écarts grandissants entre riches et pauvres, ségrégation raciale, intimidation de la presse… Gil Scott-Heron le fait avec une scansion qui plante les racines du hip-hop sans les travers rhétoriques du discours militant. Il garde les rires de ses musiciens pendant l’enregistrement.
Ce »H2O Gate Blues » pourrait être le brio d’un griot, qui parlerait accoudé au comptoir. Dans le morceau, le poète mime un appel téléphonique où il tombe sur le répondeur de la Maison Blanche. « Désolé, le gouvernement que vous avez élu est inopérant ».
Winter In America mélange critiques acerbes et mélodies pleines d’émotion : Gil Scott Heron est à la fois rude et tendre mais partage son point de vue. Colère Justifiée, agrémentée d’esprit, d’intelligence, et de jeux de mots bien construits : pas étonnant que les textes de Gil Scott Heron aient eu un effet aussi profond sur des rappeurs à la conscience politique comme Public Enemy ou Disposable Heroes of Hiphoprisy.
La parenthèse Strata East ne dure pas. Le label accorde la plus grande liberté de ton à ses artistes mais dispose d’un réseau de distribution insuffisant, et Gil refuse de se satisfaire d’un succès d’estime.
Lors d’un concert du Midnight Band, leur nouveau groupe, Gil et Brian sont approchés par Clive Davis, un jeune loup aux dents longues qui ne va pas tarder à se faire un nom dans l’industrie du disque. Il les accueille sur son tout nouveau label Arista. C’est le début d’une relation féconde, puisqu’en l’espace de huit ans ce n’est pas moins de dix albums qui sortiront.
Source : https://pitchfork.com – www.bbc.co.uk – Notes de pochette – www.gilscottheron.fr
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CREDITS :
Enregistré les 4-5 septembre et 15 octobre 1973 au D&B Sound, Silver Springs, Maryland – USA – Strata-East Records
- Artwork [Liner Collage] – Ms. Peggy Harris*
- Bass [Fender] – Danny Bowens
- Booking – Charisma Productions
- Drums [Traps] – Bob Adams
- Electric Piano, Piano [Acoustic], Vocals – Brian Jackson
- Electric Piano, Vocals – Gil Scott-Heron
- Engineer, Producer [Production Assistance] – Jose Williams
- Liner Notes – B. Jackson*, Gil*
- Management – Dan Henderson (2)
- Painting [Cover] – Eugene Coles
- Photography By [Liner Photos] – Gary Price, Tony Cerrante
- Producer – Perpis-Fall Music, Inc.
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PISTES :
1. Peace Go With You, My Brother (As-Salaam-Alaikum) 5:30
2. Rivers Of My Fathers 8:29
3. A Very Precious Time 5:13
4. Back Home (Scott-Heron) 2:50
5. The Bottle (Scott-Heron) 5:14
6. Song For Bobby Smith (Scott-Heron) 4:42
7. Your Daddy Loves You (Scott-Heron) – 2:57
8. H2O Gate Blues (Scott-Heron) – 8:23
9. Peace Go With You Brother (Scott-Heron / B. Jackson) 1:11