Le petit orgue de poche a goûté tous les styles en commençant par les musicales folkloriques puis, importé en masse aux Etats-Unis, il va participer à la naissance du blues. De Johnny Cash à Lee Brilleaux, en passant par Van Morrison et Steven Tyler, le Hohner Marine Band a toujours œuvré pour le rock’n’roll…
Depuis la nuit des temps, il existe en Chine un instrument appelé Sheng composé de plusieurs pipes en bambou dont la base est munie d’une anche libre (fine lamelle métallique rectangulaire) qui vibre lorsqu’on souffle dans l’embouchure de l’instrument tout en obturant le trou situé sur le côté du tuyau placé sous l’anche. Cet instrument est un des ancêtres des harmoniums, accordéons, harmonicas, etc.
Avec la route de la Soie et les expéditions de Marco Polo, les instruments à anches libres sont connus des occidentaux. C’est à un missionnaire jésuite, Joseph-Marie Amiot (1718-1793) qu’on doit la première description précise d’un sheng en Europe publiée dans son « Mémoire Sur La Musique Des Chinois » en 1779.
L’invention de l’harmonica moderne est parfois attribuée à Christian-Friedrich Ludwig Buschmann (1805-1864) dont le père invente en 1816 une sorte d’orgue dont les marteaux des touches viennent frotter une roue en bois tournant grâce à un pédalier actionné par le musicien : le terpodion.
Le son produit, qui dure aussi longtemps qu’on appuie sur la touche, évoque un peu celui d’instruments à anches libres qui n’existent pas encore à l’époque, comme l’accordéon, l’harmonium ou l’harmonica. Formé au métier par son père et travaillant avec lui, Christian-Friedrich bricole un petit instrument constitué au départ de 15 anches libres en métal serties sur un morceau de bois, le tout étant logé dans une boite d’environ 10 cm munie de chambres permettant de faire vibrer les lamelles en soufflant dedans.
Il baptise son invention Aura et la destine uniquement à l’accordage, à la manière des pitch pipes actuels pour les guitares. Mais on trouve également la trace d’harmonicas dès 1825 à Vienne ainsi qu’en Bavière vers les années 1830, avec des instruments
à huit ou dix trous au revêtement d’embouchure en ivoire, dont l’aspect extérieur est très proche de ce qui existe toujours aujourd’hui.
En Bohème, au milieu du 19e siècle, un certain Richter emprunte aux accordéons l’idée de faire vibrer dans la même chambre une lamelle en soufflant l’air et une autre en aspirant, créant ainsi la base de l’harmonica diatonique dont le principe porte son nom. D’autres améliorations seront apportées par d’autres constructeurs et petit à petit, deux pôles spécialisés s’établissent, l’un à Trossingen (petite ville située à une centaine de kilomètres du Rhin à l’est de la Forêt-Noire), l’autre à Klingenthal en Bohème.
Mais celui qui va faire de l’harmonica l’instrument de musique le plus vendu dans le monde, c’est Matthias Hohner (1833-1902) qui ouvre en 1857 une petite usine à Trossingen où la fabrication est encore entièrement manuelle.
Dix ans plus tard, après avoir racheté plusieurs petites sociétés et investi dans de nouvelles machines- outils, Hohner commence à exporter ses harmonicas aux Etats-Unis et vers 1880, une véritable production industrielle est mise en place.
En 1887, la production annuelle atteint un million d’exemplaires et, à la fin du siècle, 80 % des instruments sont exportés. En 1896, sort le plus célèbre de tous les harmonicas diatoniques jamais fabriqués : le Hohner Marine Band. Grâce à la création d’une succursale Hohner à New York en 1901, ce petit instrument à dix trous va s’avérer le compagnon des folk singers mais surtout des Afro-Américains qui vont s’en emparer et en faire, grâce à des techniques caractéristiques de jeu comme le train ivhistle, un des piliers du blues encore balbutiant en ce début de 20e siècle.
Les premiers field recordings 6e John Lomax pour la Bibliothèque du Congrès témoignent de l’extraordinaire popularité de l’harmonica à travers tous les Etats-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, les pionniers du Chicago blues comme Sonny Boy Williamson ou Little Walter vont créer une grande vogue en Grande-Bretagne où s’engouffrent Alexis Komer, John Mayall, John Lennon, Mick Jagger ou Robert Plant.
D’un autre côté, le début des années 60 voit le renouveau de la folk music, notamment dans le quartier du Village à New York, où un jeune Bob Dylan, avec sa guitare et son porte-harmonica autour du cou, va bientôt influencer les Byrds, Donovan ou Neil Young.
Doté d’un timbre plutôt puissant pour sa taille, l’harmonica Hohner Marine Band doit néanmoins suivre la voie de l’amplification et on lui a même trouvé un petit micro initialement utilisé par les radio-taxis qui fonctionne parfaitement pour le rock’n’roll avec un son saturé reconnaissable entre tous…