Idris Muhammad représente un cas à part dans l’histoire de la musique noire. Peu connu des amateurs de jazz jusqu’à sa collaboration avec Ahmad Jamal, il a mené une double carrière tant dans le jazz que dans la musique populaire. Sorti en 1977, Idris Muhammad Turn This Mutha Out est une de ces pépites oubliées des glorieuses 70’s totalement décomplexées et taillées pour la danse, ne négligeant pas pour autant le geste musicien à commencer par la friandise discoïde qui ouvre l’album, Could Heaven Ever Be Like This.
Tous ceux qui écoutent l’enregistrement original de «Blueberry Hill» par Fats Domino écoutent un jeune batteur de 16 ans, appelé Leo Morris ; tous ceux, qui ont vu Hair à New York lors d’une représentation de la comédie musicale originale, ont vu jouer le batteur qui allait bientôt changer de nom pour Idris Muhammad en se convertissant à l’islam.
Idris Muhammad Turn This Mutha Out
D’un père pakistanais et d’une mère française, Idris Muhammad né Leo Morris le 13 novembre 1939 à New Orleans, Louisiana. Il commence par jouer du banjo alors que ses quatre frères sont batteurs. Il ne peut travailler la batterie car il n’a pas d’instrument et ne joue à la maison que lorsque ses frères sont absents.
Dans la rue, il suit les orchestres qui défilent tout particulièrement les Indians dont le chef de son quartier est le père de Donald Harrison.
A 9 ans, par un concours de circonstance, il rejoint un orchestre de Dixieland pour le carnaval du Mardi Gras. Dès lors, il se consacre à la musique, apprend à lire la musique, préalable indispensable pour pouvoir intégrer un orchestre.
Avec son ami Art Neville, il enregistre à 15 ans ce qui deviendra l’hymne du mardi gras : «Mardi Gras Gumbo». L’année suivante, il apparaît sur l’enregistrement de «Blueberry Hill» de Fats Domino.
Toujours avec Art Neville, il accompagne les musiciens de passage tels Big Joe Turner ou Muddy Waters. Il va également écouter les batteurs de La Nouvelle-Orléans: Earl Palmer, Ed Blackwell, John Boudreaux et Smokey Johnson. Il avoue avoir payé une seule leçon auprès de Paul Barbarin qui a joué avec Louis Armstrong; celui-ci l’écoute et lui dit: «Tu deviendras batteur vedette, mais n’écoute pas ceux qui te le diront. Maintenant donne-moi mes deux dollars.»
Le jeune Idris retiendra la leçon. Dans ses interviews, le batteur se montrera toujours humble, ne s’avouant jamais batteur de jazz, mais plutôt batteur de rhythm and blues.
Il tourne avec Sam Cooke, le suit à New York et revient à La Nouvelle-Orléans. Puis il suit Curtis Mayfield et reste trois ans et demi avec lui à Chicago.
De retour à New York, étant le seul à jouer le funk New Orleans style, il est engagé dans des shows et travaille à l’Apollo. Il raconte, qu’intrigué par un saxophoniste qui joue de plusieurs instruments à la fois, il va voir Rahsaan Roland Kirk au Five Spot et demande au batteur de le laisser jouer sur un morceau, et Rashaan lui a demandé de finir le set avec lui!
Il joue au Town Hall avec Kenny Dorham: au même programme se produisent les orchestres de Freddie Hubbard et de Lee Morgan. Ils l’entendent et Idris Muhammad entre peu à peu dans le cercle des musiciens de jazz.
Commence alors une longue collaboration avec Lou Donaldson. Il enregistre souvent avec des organistes tels Charles Earland et Dr. Lonnie Smith. Puis, pendant 4 ans, il devient le batteur officiel de la comédie musicale Hair.
En 1966, il épouse Dolores Lala Brooks, une chanteuse du groupe les Crystals, se convertit à l’islam et change de nom pour devenir Idris Muhammad.
A partir de 1970, il enregistre quelques disques personnels qui se situent entre jazz et rhythm and blues.
En 1976, plusieurs sessions sont calées pour enregistrer chez CTI “Turn This Mutha Out”, pépite oubliée des glorieuses 70’s, totalement décomplexée et taillée pour la danse, ne négligeant pas pour autant le geste musicien.
Les voix angéliques se marient aux cuivres épicés, Michael Brecker (saxophone ténor) et Hiram Bullock (guitare électrique) échangent des bluesy licks, Cliff Carter claque un solo de synthé.
Le morceau d’ouverture « Could Heaven Ever Be Like This », est un voyage de 8 minutes à travers le disco cuivré, le rock psychédélique et le bongo funk (Samplé plus tard par Jamie xx sur « Loud Places »).
La suite en surprendra plus d’un : Randy Brecker et Jeremy Steig brillent de mille feux dans le minimaliste et percussif Camby Bolongo (Idris Muhammad et Sue Evans s’éclatent aux percussions). Digne d’une bande sonore de films Blaxploitation, le son de jazz africain a un rythme magnifiquement chaotique.
Le morceau titre du disque, un disco funk, comporte des solos de guitare tout droit sortis d’un album de rock psychédélique avec une touche de Herbie Hancock. Turn This Mutha Out » est un album qui aurait pu sortir tout droit de l’esprit de Marvin Gaye… sous acide.
Les choristes, ici et sur tout l’album, ont des harmonies qui sonnent parfaitement et sont très sexy. Ce n’est pas le seul morceau sexy, car « Tasty Cakes » est sans doute le morceau le plus vilain de l’album, avec des paroles comme « goodness sakes, shake those tasty cakes » ou « keep your sweet thing moving ».
Sur les trois derniers titres de Turn This Mutha Out, on retrouve les racines jazz d’Idris Muhammad, « Crab Apple » étant l’exemple de jazz funk par excellence. Wilbur Bascomb, basse électrique, se distingue dans le morceau titre et dans Crab Apple (un bijou, où maître Idris, use de sa science du less is more, tout pour le groove, rien que le groove, sans fioritures).
L’onirique Moon Hymn, où notre batteur fait délicatement rouler ses toms, s’éloigne des rythmes endiablés et produit un cool jazz, avec un saxophone mélodique omniprésent.
Muhammad clos cet album avec « Say What », qui mêle flûtes jazz et cornemuses dansant sur une ligne de basse façon « Chameleon » d’Herbie Hancock, et des enchevêtrement de guitares d’Eric Gale.
Comme tout album de batteur jazz, Turn This Mutha Out est truffé de crescendos et rythmes groovy navigant entre musique de film funky et extase disco dance-floor, une de ces raretés où chaque morceau a quelque chose à offrir.
Durant cette période prolifique, ce batteur de studio très prisé enregistrera pas moins de 136 albums. A côté de sa longue collaboration avec Lou Donaldson, et Ahmad Jamal pendant près de 15 ans, il a collaboré avec Grant Green, Andrew Hill, Bobbi Humphrey, Joe Lovano, Pharoah Sanders, Randy Weston.
Source : www.muziq.fr – www.jazzhot.net – www.trouvelagroove.com
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CREDITS :
Enregistré entre décembre 1976 et février 1977 aux studios Mediasound et Electric Lady NYC – USA – CTI / Kudu records
1. Could Heaven Ever Be Like This
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Hiram Bullock — guitar solo
- Charlie Brown — guitar
- Rubens Bassini — percussion
- Sue Evans — percussion
- Michael Brecker — tenor saxophone solo
- Ronnie Cuber — baritone saxophone
- David Tofani — soprano saxophone
- Clifford Carter — synthesizer solo
- Randy Brecker — trumpet
- Jon Faddis — trumpet
- Margaret Ross — harp
- Frank Floyd — vocal solo
- Bill Eaton — background vocals
- Zachary Sanders — background vocals
- Ray Simpson — background vocals
2. Camby Bolongo
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Charlie Brown — guitar
- Hugh McCracken — guitar
- Sue Evans — percussion
- Randy Brecker — trumpet solo
- Jeremy Steig — flute solo
3. Turn This Mutha Out
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Clifford Carter — keyboards
- Hiram Bullock — guitar solo
- Sue Evans — percussion
- Bill Eaton — background vocals
- Zachary Sanders — background vocals
- Ray Simpson — background vocals
4. Tasty Cakes
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Clifford Carter — keyboards
- Hiram Bullock — guitar solo
- Sue Evans — percussion
- Bill Eaton — background vocals
- Zachary Sanders — background vocals
- Ray Simpson — background vocals
5. Crab Apple
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Charlie Brown — guitar
- Hiram Bullock — guitar solo
- Sue Evans — percussion
- Ronnie Cuber — baritone saxophone
- David Tofani — soprano saxophone
- Clifford Carter — synthesizer solo
- Michael Brecker — tenor saxophone solo
6. Moon Hymn
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb —bass
- Charlie Brown —guitar
- Sue Evans —percussion
- Ronnie Cuber —baritone saxophone
- David Tofani —soprano saxophone
- Clifford Carter — synthesizer
7. Say What
- Idris Muhammad — drums, tom tom
- Wilbur Bascomb — bass
- Charlie Brown — guitar
- Hugh McCracken — guitar
- Eric Gale — guitar solo
- Jeremy Steig — flute solo
- Engineer [Electric Lady] – Dave Palmer (2), Dave Whitman*
- Engineer [Mediasound] – Joe Jorgensen
- Photography By [Album] – White Gate
- Producer, Arranged By – David Matthews*
- Written-By – David Matthews*, Tony Sarafino (tracks: A1, A3, B1)