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Formé à la musique classique au Conservatoire de Paris, fan de jazz, accompagnateur dans les années 50 et 60 de quelques cadors de la chanson française (Sauvage, Ferré, Aznavour, …), Jacques Loussier n’a eu de cesse de faire se croiser les genres, faire swinguer à la sauce jazz le répertoire de Bach, Beethoven. Dans les années 90, le label américain Telarc Jazz lui propose de poursuivre le chantier de ses improvisations jazz sur du classique. Sur son opus consacré à Erik Satie, Loussier reprend ce qui constitue la référence pour le public, à savoir les Gnossiennes et les Gymnopédies.

Avec Jean-Jacques Perrey et Michel Colombier, Jacques Loussier partage cette singulière situation d’être français et de beaucoup plus travailler à l’étranger qu’en France. Perrey et Colombier comptent parmi les précurseurs de la musique électronique. L’Amérique leur a ouvert les bras dans les années 60-70 pour la publicité, les films de science-fiction et des LP avant-gardistes. Jacques Loussier, à la même époque, est peut-être le premier grand nom du crossover.

Jacques Loussier – Gnossiennes et Gymnopédies de Erik Satie

En 1959, avec le disque Play Bach, Jacques Loussier donne à la musique de Jean-Sébastien Bach des couleurs et des libertés empruntées au jazz.

Les vieilles barbes de la critique classique comme les intégristes de la critique jazz ronchonnent mais le public suit : le premier 33-tours Play Bach, puis celui qui sort l’année suivante, vont être d’énormes succès dans le monde entier.

Curieusement, alors que partout on demande à Loussier de jouer sur scène ses novatrices variations sur la musique de Bach, personne ne semble y songer en France, à part quelques concerts çà et là. Alors le trio Play Bach va courir le monde, d’Europe en Amérique, d’Asie au Moyen-Orient, donnant jusqu’à 150 concerts par an.

Jacques Loussier
Jacques Loussier

Si Loussier ne se revendique pas comme musicien de jazz, il a une expérience de l’improvisation contemporaine de sa découverte de Bach : à dix ans, il se passionne pour le premier thème qu’il étudie dans Le Cahier d’Anna Magdalena Bach, un court prélude en sol mineur qu’il joue des dizaines de fois chaque jour.

À force, il y rajoute quelques variations, quelques harmonisations timides mais résolues. Il ne perdra jamais l’habitude d’improviser sur Bach, pour amuser ses condisciples des classes de piano du Conservatoire ou lorsqu’il passe une audition comme pianiste pour les disques Decca. Une petite improvisation distraite enthousiasme les dirigeants de la maison de disques qui domine le marché de la musique classique et instrumentale, mais personne n’imagine l’ampleur du succès de Play Bach, et surtout pas le pianiste :

Quand j’ai fait le premier disque, je croyais en donner une vingtaine à mes amis et à ma famille, et que ça s’arrêterait là. J’ai été le premier surpris par ce succès brutal, inattendu et violent.

Jacques Loussier
Christian Garros, Jacques Loussier, Pierre Michelot

Un autre succès viendra : Loussier écrit la musique du feuilleton Thierry la Fronde, en 1965, dont le générique va marquer toute une génération. Suivront des dizaines d’autres musiques pour la télévision (dont Rocambole et Noëlle aux Quatre vents) et pour le cinéma.

Comme son confrère Michel Magne, il crée un grand studio d’enregistrement, en Provence, où viennent travailler Pink Floyd (pour une partie de l’album The Wall), Yes, Elton John, Sting, et où il enregistre ses musiques de film.

Il a plus de soixante ans quand, dans les années 90, un label de disques lui propose de reprendre le chantier de ses improvisations jazz sur du classique. Une fois de plus, c’est à l’étranger : Jacques Loussier devient recording artist chez Telarc, à Cleveland aux États-Unis.

Ce qui peut paraître comme une évidence avec le répertoire de Bach, dont le « swing sous-jacent » a souvent accaparé l’attention de nombreux musiciens de jazz et même de rock, trouve avec le compositeur Erik Satie un écho totalement différent.

Jacques Loussier
Jacques Loussier

Chez Satie, l’écriture parfois tortueuse, bien éloigné des constructions « mathématiques » de Bach, se joue avec délectation de l’espace temps en produisant ici ou là quelques brèves histoires d’accords suspendus et d’arpèges redondants.

Côté jazz, la place pour une musique qui se voudrait swinguante est de toute évidence absente, sauf bien sûr à cadencer d’une façon plus ou moins métronomique les quelques accords qui habillent le répertoire du compositeur. Le challenge se révèle encore plus périlleux que l’adaptation de la musique baroque de Vivaldi parue l’année précédente (Jacques Loussier plays Vivaldi – 1997).

Erik Satie
Erik Satie

Je me suis aperçu à cette occasion, après plus de trente ans de fidélité à Bach, que je suis un compositeur qui aime faire de la musique en m’appuyant sur un matériel déjà composé, mais que je n’aime pas suivre ce qui est déjà écrit. Je peux très bien écouter Vivaldi, Schumann ou Satie joués tels que les partitions l’exigent, ça me plait aussi, mais j’ai un vice : en faire autre chose… Satie est un musicien un peu marginal du début du siècle, dont la plupart des œuvres sont tombés dans l’oubli, mais dont on parle beaucoup.

Jacques Loussier

Sur son disque consacré à Satie, Loussier reprend ce qui constitue la référence pour le public, à savoir les Gnossiennes et les Gymnopédies. Le choix est délibéré.

Je me suis plus intéressé aux morceaux connus du grand public. Pour cet album, je me suis limité à la première Gymnopédie – les deux autres n’en étant que des déclinaisons, harmoniquement et métriquement.

Jacques Loussier
Jacques Loussier
Jacques Loussier

À l’intérieur du disque Satie on trouve quatre variantes de la première Gymnopédie en plus des Gnossiennes et des Nouvelles Gnossiennes composées plus tard.

Jamais dans l’imitation pure, les variantes imaginées par Jacques Loussier sont de réelles reconstructions au même titre que celles que l’on trouve en musique classique.

Si l’ensemble du disque possède une énergie totalement différente de ses enregistrements consacrés à Bach, le phrasé jazz, la réharmonisation ne cessent de courir de plage en plage (Jacques Loussier ne cache pas ses références à Debussy ou à John Lewis).

J’ai travaillé de la même façon que pour les Quatre saisons. Tout était sur le papier. Une fois le mixage fini, je me suis retrouvé avec un objet bizarre ; je ne m’attendais pas du tout à ce résultat, à vrai dire ! Je trouvais ça un peu trop évanescent, léger, loin de ce que j’obtiens d’habitude avec Bach ou Vivaldi, et surtout parfaitement contraire à mon éthique et mon approche habituelle de la musique, fondée sur l’énergie, la percussion, les cassures du rythme… Telle quelle, la bande a pourtant plu aux américains, et j’ai donc laissé sortir le CD.

Jacques Loussier

Les deux musiciens accompagnateurs, André Arpino à la batterie et Benoît Dunoyer de Ségonzac à la contrebasse, intègrent parfaitement l’esprit musical voulu par le pianiste, tout en nuance, finesse et retenu.

Jacques Loussier - Gnossiennes et Gymnopédies de Erik Satie
Jacques Loussier – Gnossiennes et Gymnopédies de Erik Satie

Les re-créations jazz des œuvres célèbres d’Erik Satie respectent autant que possible la ligne mélodique originelle, même si sur certains passages la métrique est détournée à l’avantage de la libre adaptation en passant d’un trois temps à quatre temps.

Ce qui peut sembler étonnant chez un musicien comme Jacques Loussier, c’est sa fidélité au répertoire classique. Jamais lassé, toujours prêt à affronter des concerts qui le conduisent un peu partout sur la planète, l’octogénaire ne s’est pas contenté d’asseoir sa carrière sur de simples adaptations d’œuvres classiques en jazz.

Il enregistrera par la suite des variations sur le Boléro de Ravel, les Variations Goldberg de Bach, Claude Debussy, une sélection de grands airs baroques, Haendel, Beethoven, les Nocturnes de Chopin : au moins un album par an, une performance en ces temps de sinistrose sur le marché du disque classique. Mais, là encore, la France tourne le dos à Loussier, dont les nouveaux enregistrements ne sont disponibles qu’en chiches contingents d’imports.

Sources : www.pianoweb.fr – https://musique.rfi.fr/ – www.telerama.fr – www.radioclassique.fr – www.lemonde.fr – www.discogs.com

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CREDITS :

Enregistré les 4-12 octobre 1997 au Studio Miraval – France – Telarc Jazz

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