Après ses trois premiers albums, Joni Mitchell éprouve le besoin de prendre de la distance vis-à-vis d’un succès aussi croissant qu’angoissant. Elle témoignera quelques années plus tard au sujet de ce sentiment d’insécurité : « A l’époque, je me sentais sans défenses, comme l’emballage de cellophane d’un paquet de cigarettes, comme si je n’avais plus aucun secret pour le monde. Je n’étais ni forte ni heureuse. »
Elle arrête alors les tournées pour entamer un périple à travers l’Europe durant lequel est composée la majorité des titres de son nouvel album Joni Mitchell Blue. Magnifiquement empreint de cette vulnérabilité émotionnelle et de ces escapades européennes, Blue contient des compositions d’une sincérité désarmante, des chansons hautement intimistes dont la portée se révèle paradoxalement universelle.
Joni Mitchell Blue
Jamais Joni Mitchell ne s’est autant mise à nu que sur cet album : elle demande que pour ses prises de chant, tous les musiciens quittent le studio hormis l’ingénieur du son.
Le disque, par son unité de ton et de thème, capte l’auditeur au point de lui donner l’impression d’être présent dans la même pièce que la chanteuse.
Cet état de grâce permet enfin à Joni Mitchell de dévoiler l’hommage à sa fille qu’elle a choisi de faire adopter quelques années plus tôt (« Little Green »). Le titre « Carey » témoigne de son escale en Crête au sein d’une communauté hippie.
« All I Want » est une déclaration de foi : elle y narre son désir d’aventure et d’épanouissement et son vœu d’être une amante aux petits soins.
Soutenue par Stephen Stills à la guitare, elle y joue pour la première fois du dulcimer, un instrument à cordes d’origine celte auquel elle s’est familiarisée pendant son voyage.
Joni Mitchell ouvre son univers à d’autres musiciens dont James Taylor, son amant du moment. La plupart des chansons traitent de leur relation passionnée avec véracité et acuité sans exclure tendresse et vulnérabilité.
Vocalement, Joni Mitchell s’inspire de James Taylor s’accordant plus de liberté dans ses inflexions en intégrant un phrasé proche du jazz. Ainsi, « Carey », « California », « River » et « Blue », sont écrit lors d’un séjour et d’une tournée en Europe avec Jackson Browne.
Joni Mitchell Blue déborde de mélancolie et de romantisme. Joni y aborde la plupart de ses relations amoureuses et sentimentales, à commencer par son premier mariage qu’elle revisite sur « The Last Time I Saw Richard » avec une certaine amertume, encore et toujours agrippée à ce sentiment de vulnérabilité.
Le somptueux « River », qui semble construit sur la base mélodique de « Jingle Bells », aborde l’une de ses rupture de façon métaphorique, à travers la thématique de Noël.
Les spéculations sont nombreuses en ce qui concerne l’attribution des chansons à leur prétendants respectifs. A la sortie de l’album, le magazine Rolling Stone publie une carte qui relie ses chansons à ses amants successifs : David Crosby et Stephen Stills (« Troubled Child »), Graham Nash (« Hey Willy »), Neil Young, James Taylor (« My Old Man »), Leonard Cohen et le batteur John Guerin. Elle n’aura qu’un commentaire, laconique : « J’ai le sentiment de n’être mariée qu’à mon art. »
Si ces amoureux sont aujourd’hui bien identifiés, Joni Mitchell reste ici évasive et entretient le mystère. Derrière une apparente ode à son pays natal sur « A Case of You » ou à travers une poésie maritime sur « Blue », il est encore et toujours question de rupture, de perte, de désillusion amoureuse.
Ce thème tant de fois abordé au sein de la scène folk n’a jamais trouvé de meilleure expression que chez Joni Mitchell. Potentialisé, décuplé par sa voix de sirène et ses instrumentations baroques, ce lyrisme prend sur Blue une dimension bouleversante.
Dépouillé jusqu’à l’extrême, Joni Mitchell Blue est un des sommets du folk des 70’s. Tout au long de ses dix thèmes, Joni Mitchell entraîne son art vers des harmonies virginales et une poésie désabusée. Joni pleine de grâce trouve ici le ton juste pour parler de solitude, de désillusion, de perte ou d’amour déçu.
La basse de Stephen Stills, la guitare et la voix de son complice d’alors, James Taylor, mais aussi la pedal steel impressionniste de Sneaky Pete Kleinow viennent enrichir avec beaucoup de finesse un opus qui laisse tout juste entrevoir les inflexions jazz vers lesquelles la «songwriteuse» canadienne tendra dans la suite de sa carrière.
« Dans « Blue », il n’y a pas une seule note de mon chant qui ne soit sincère, déclara Joni à Rolling Stone en 1979. À l’époque, toutes mes défenses étaient tombées. Je me sentais comme le film en cellophane d’un paquet de cigarettes. Comme si je n’avais aucun secret à protéger, comme si je ne pouvais pas faire semblant d’être forte. Ou d’être heureuse. »
Égrenant chanson après chanson ses regrets, ses remords, sa douleur, peut-être a-t-elle réalisé l’album de rupture final. Le minimalisme susurré de « Blue » reste également sa plus belle réussite musicale. Stephen Stills et James Taylor lui donnent un coup de main ça et là, mais, sur California, Carey et This Flight Tonight, on entend Joni seule, seule avec sa mélancolie déchirante.
Source : https://ultimateclassicrock.com – https://classicalbumsundays.com – https://en.wikipedia.org
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CREDITS :
Enregistré en 1971 – A&M Studios, Hollywood – Reprise Records
- Art Direction – Gary Burden
- Bass, Guitar – Stephen Stills (tracks: A4)
- Drums – Russ Kunkel (tracks: A4, B1, B4)
- Engineer – Henry Lewy
- Guitar – James Taylor (2) (tracks: A1, B1, B4)
- Lacquer Cut By – HL*
- Photography [Cover] – Tim Considine (tracks: A4, B1, B4)
- Steel Guitar [Pedal] – Sneaky Pete* (tracks: B1, B2)
- Written-By – Joni Mitchell (tracks: A1, B1, B4)