Près de 10 ans après sa disparition voici enfin venue l’heure d’une reconnaissance tardive mais amplement méritée pour un compositeur et arrangeur aussi discret qu’essentiel. Tout au long de son existence Karl-Heinz Schäfer aura préféré l’intimité des coulisses à la futilité des paillettes, l’être au paraître. Une démarche élégante qui prend racine dans une enfance allemande.
Né le 17 mars 1932 à Francfort dans une famille juive, Karl apprend vite la flûte et le piano. La guerre éclate et sa mère préfère l’envoyer aux États-Unis où il apprend parfaitement l’anglais. De retour en Allemagne après le conflit il étudie la Philosophie et la Linguistique à l’université de Heidelberg et découvre la direction d’orchestre en étant l’assistant d’un grand chef. Au début des années 50, il arrive à Paris et rejoint en tant qu’élève étranger la fameuse classe d’analyse d’Olivier Messiaen au Conservatoire. Parallèlement il commence à faire du piano jazz en travaillant dans des cabarets parisiens, notamment au Blue Note où il jouera à l’occasion avec Stan Getz ou le pianiste Samson François.
S’ensuivra une période nomade où il fera l’impresario et tournera énormément avec des orchestres de bases en bases américaines, jusqu’à entamer sa santé. Ces nombreux voyages ouvrent en lui un appétit pour les musiques traditionnelles, et plus particulièrement les musiques arabes et indiennes. Alors en pleine possession de son métier, il intègre l’industrie du disque et commence à faire des arrangements pour des chanteurs comme Adamo ou Aznavour.
Il s’attaque également à la musique de film dans les années 60 en travaillant comme nègre pour Michel Magne. Artisan de l’ombre il travaille avec acharnement et commence à se faire progressivement une réputation. C’est véritablement dans les années 70 qu’il s’épanouit artistiquement et qu’il s’impose comme un arrangeur et un compositeur indispensable. Son écriture élégante et racée s’impose avec une série de disques incontournables qui marqueront leur époque de façon subtile mais néanmoins indiscutable. Son nom est tout d’abord lié à l’acteur réalisateur Laszlo Szabo pour qui il composera 2 de ses plus belles B.O : l’insurpassé Les Gants Blancs du Diable (1973) et le séduisant Zig Zig (1975).
Entre ses 2 disques il compose la BO du curieux film La Grande Trouille ou Tendre Dracula (1974) avec une délicieuse chanson interprétée par Miou-Miou. Ces 3 disques sortent sur le label Eden Roc fraîchement créé par Francis Dreyfus.
Tout au long des années 70 on retrouve la trace de ses somptueux arrangements sur les albums de Bernard Lavilliers, Christophe, Claude Ciari, Les Rockets et de nombreux disques d’illustration musicale. En 1980, il compose une musique fortement influencée par le tango pour le film L’Empreinte des Géants de Robert Enrico. L’orchestration met en valeur le Bandonéon de Juan José Mosalini, instrument au timbre nostalgique également très présent sur la musique plus urbaine du film de Jacques Bral Extérieur Nuit, également composée par Schäfer en 1980. Pour cette dernière il déploie tous ses talents à travers des tapis de cordes somptueux et des schémas mélodiques parfaits.
A partir de 1980 il commence une longue collaboration avec le cinéaste Patrick Schulmann, lui-même musicien, pour élaborer les arrangements et orchestrations des musiques de ses films. Pour cela il est aidé de son ami et collaborateur régulier Jean-Louis Bucchi qu’il rencontre au Studio Ferber en 1978 et qui lui sera fidèle jusqu’au bout. Il retrouve Jacques Bral en 1984 pour la musique du film Polar, fortement influencée par Schönberg et l’École de Vienne.
A cette époque il tourne également beaucoup avec Saint-Preux pour qui il joue du synthétiseur remplaçant les parties de cordes. Habitué du Studio Ferber, Schäfer travaille régulièrement avec la crème des musiciens de studio français : André Ceccarelli, Slim Pezin, Tony Bonfils, Patrice Tison. En 1989 sa musique pour l’ultime film de Samuel Fuller Sans Espoir de Retour restera son dernier travail important pour le cinéma. Les années 90 n’apportent rien de plus à Schäfer qui travaille alors largement en dessous de ses compétences fautes de propositions ou d’opportunités intéressantes.
D’une érudition rare (il parlait 6 langues) et d’une curiosité intarissable Karl-Heinz Schäfer se définissait comme un éternel étudiant. Passionné par les nouvelles technologies il se met ainsi aux synthétiseurs et aux ordinateurs dès les années 80. A la fin de sa vie il recherche le contact de la jeunesse dans le but d’y puiser énergie et nouveauté, tout en ayant la pédagogie nécessaire pour lui transmettre son savoir. Malgré tout cet homme de l’ombre à la nature discrète aura sans doute souffert de sa position de repli dans les dernières années de sa vie et des ego destructeurs de certaines personnes avec qui il a pu travailler. A tel point que son ami Jean-Louis Bucchi me confia : « Je trouve qu’il est mort comme un homme seul ».
Disparu en 1996, Karl-Heinz Schäfer restera comme un homme charismatique et passionné, un jouisseur, dont la triple formation intellectuelle, philosophique et musicale lui apporta une élégance rare et une exigence de tous les instants. Que ça soit pour un projet léger ou plus ambitieux, Schäfer aimait penser les choses en profondeur, leur apportant ainsi une dimension et une beauté supplémentaire. Puisse cette réédition rendre enfin justice à un très grand disque et à un grand Monsieur.
© Le Chiffre – Septembre 2007
J’ai bien connu Karl dans les années 80. Une rencontre marquante pour le tout jeune musicien que j’étais. Nous lui confions alors des arrangements , il excellait pour écrire des cordes. Il faisait à cette époque l’album de Christophe avec des tapis de cordes jazz d’une élégance rare pour Dreyfus chez Ferber. Ensuite nous l’avions choisi pour un morceau plus rock. Karl était une vraie personnalité drôle, attachant. Il avait son univers musical très personnel mais était adoré des mélodistes autodidactes à qui il apportait ses harmonies, contrepoints et sa grande expérience. Il m’avait impressionné quand il m’avait dit avoir produit les Beatles en Allemagne pour l’US army. Sa voix grave, son accent allemand, sa grande gentillesse m’ont touché. Je me souviens de sa petite épouse si dévouée qui le soutenait même dans les moments difficiles. Puis je l’ai perdu de vue. Les vie d’artistes qui se croisent… good bye Karl …
Bonjour Jean Pierre. Simone, sont Épouse, Simone aussi gentille que Karl. Nous travaillons chez lui dans sa maison à Pontault Combault, dans son studio donnant sur son jardin , ou chez René à Ferber. Karl-Heinz avait une autre très grande passion, la plongée et en particulier l’apnée sous-marine. Plusieurs fois il s’y était mis en danger, s’oubliant dans les abysses. L’apnée avait sur Kerl-Heinz l’effet d’une drogue. Une personnalité touchante, intelligente, curieuse, Aimante et très HUMBLE. Tout comme Simone son Épouse.