À l’origine considéré comme » la version sudiste des Strokes » pour sa réinvention du rock & roll sudiste, le groupe Kings of Leon s’est progressivement transformé en ensemble rock expérimental au cours des années 2000. Le maxi Holy Roller Novocaine marque leur début en 2003, mélange de rock boogie cru et brut exploré davantage par la suite sur leur 1er opus, Youth & Young Manhood. Aha Shake Heartbreak, deuxième LP du groupe, laisse de côté les influences sudistes au profit d’un rock garage crasseux.
Élevés dans la plus stricte tradition religieuse, Caleb, Nathan et Jared Followill passent leur enfance sur les routes du Sud des États-Unis pour suivre leur père, prêcheur itinérant de l’Église Pentecôtiste Unie américaine, dans ses divers déplacements. Sur le plan relationnel, ce mode de vie particulier a laissé des traces :
Nous avons été éduqués dans un climat de peur et d’obscurantisme. De plus, nous bougions souvent et il nous était impossible d’investir dans des relations humaines extérieures. A quoi bon laisser son numéro de téléphone à une fille, si on sait qu’on ne la reverra jamais ? Nous avons donc appris à ne faire confiance qu’à nous-mêmes, si bien qu’en tant que musiciens, nous sommes très soudés, mais on doit veiller à ce que cette connivence ne soit pas trop exclusive.
Caleb Followill
Kings of Leon Aha Shake Heartbreak
Le chanteur-guitariste Caleb Followill et le batteur Nathan Followill, l’aîné et le cadet de la fratrie, quittent leur Oklahoma natal pour Nashville en 1997, avec l’espoir de se faire un nom dans l’industrie musicale. Entre deux jobs alimentaires, dont celui de peintre en bâtiment, le duo écume les bars sous le nom «The Followills» avec des chansons country et rock.
En 2000, rejoints par leur cousin Matthew Followill à la guitare et le benjamin de la fratrie, Jared Followill, à la basse (même si, âgé de 16 ans, il n’a alors jamais touché à cet instrument) la fratrie au complet décide de former un groupe, abandonnant la country pour le rock. Les Kings of Leon sont nés.
Quelques temps après sa formation, le groupe rencontre le producteur américain Angelo Petraglia (Patty Griffin, Be Your Own Pet) qui leur organise plusieurs auditions à New-York. Signés sur le label RCA Records, les Kings of Leon s’attèlent alors à l’écriture de leur premier EP, Holy Roller Novocaine.
Sorti en février 2003, ce cinq titres contient déjà la très érotique « Molly’s Chambers ». La fratrie publie dans la foulée son premier album produit par Ethan Cohen (Ryan Adams, Ben Kweller) et Petraglia – qui coécrit d’ailleurs tous les titres.
Profondément marqué par le timbre éraillé de Caleb et le duo de guitares qu’il forme avec son cousin Matthew, Youth AnD Young Manhood est directement influencé par les racines sudistes du groupe.
Tirant son nom de la nouvelle « Paris est une fête » d’Ernest Hemingway, cet album permet aux jeunes Kings of Leon d’entrer dans le cercle très fermé des groupe de rock indépendants les plus prometteurs du moment. Jared Followill, le benjamin du groupe, n’a alors que dix-sept ans, et ment sur son âge pour pouvoir partir en tournée en Europe avec ses frères.
Après une tournée aux côtés des Strokes, puis de U2, les Kings of Leon se lancent dans la création d’un second album. De nouveau aidé d’Ethan Cohen, leur producteur attitré, les trois frères et leur cousin livrent, au mois de novembre 2004, Aha Shake Heartbreak.
Plus nerveux que son prédécesseur, ce deuxième album voit Kings of Leon abandonner ses influences sudistes au profit d’un rock plus garage.
Concision (douze titres en 35 minutes), riffs coups de trique en phase avec des silhouettes émaciées, s’attachent à redonner au rock le goût de l’urgence et de l’élégance.
Mais quand les New-Yorkais des Strokes lorgnent du côté du Velvet Underground et de Television, quand Jack White de Detroit se nourrit du souvenir des Stooges, les Kings de Nashville font racler leurs voix en écho d’une rudesse terrienne, réminiscence de Johnny Cash ou de Creedence Clearwater Revival.
S’il possède des titres plus puissants que Youth AnD Young Manhood (« Taper Jean Girls », « Four Kicks », « The Bucket »), Aha Shake Heartbreak voit cependant la fratrie s’adoucir sur les très beaux morceaux quasi-acoustiques « Milk » et « Day Old Blues ». Interviewé par une flopée de magazines à la sortie de l’album, les Kings of Leon déclareront à propos de ce dernier que « si Youth AnD Young Manhood était une fête, Aha Shake Heartbreak serait une bonne gueule de bois ». Le ton est donné.
Des fougueuses « Razz » et « Four Kicks » aux crâneuses « Taper Jean Girl » et « Where Nobody Knows », les Kings of Leon réussissent un subtil équilibre entre guitares tapageuses et rock léché.
Discrète sur le premier album, la basse prend une place de choix dans les compositions des trois frères et de leur cousin, annonçant son triomphe futur sur Because of the Times.
Plus sauvage que son prédécesseur, le nouvel album de la fratrie Followill parvient pourtant à accéder un certain degré de grâce – ceci malgré une production délibérément approximative.
Aha Shake Heartbreak voit en effet se développer le talent des Kings of Leon pour les mélodies mélancoliques. Epurée, presque acoustique et magnifiquement servie par la voix centenaire de Caleb, la sublime « Milk » révèle une facette obscure du groupe, tout comme « Day Old Blues », pourtant plus dans la veine de Youth and Young Manhood.
Écrite pour le benjamin de la bande, Jared, « The Bucket » annonce déjà le changement de cap radical qu’effectueront les Followill dans les années à venir.
Cette articulation entre sécheresse punk, savoir-faire pop et ruralité sudiste s’est encore bonifiée avec le temps. Guidées par des lignes de basse charnues et mélodiques, les ritournelles de Aha Shake Heartbreak retiennent de la country plus les secousses du rodéo que le spleen de la prairie.
Très habile pourvoyeuse de refrains, la famille Followill chevauche ses chansons (King of the Rodeo, Taper Jean Girl, Slow Night So Long ou The Bucket choisi comme single) avec une exemplaire efficacité.
Mais le yoddle des cow-boys peut aussi swinguer avec un panache écorché (Day Old Blues). A côté des rock tirés au cordeau, on trouve dans Aha Shake Heartbreak des ballades noircies (Rememo, le déchirant Milk) qui, toujours sur le mode rugueux, ajoutent un peu d’épaisseur émotive à l’énergie de ces jeunes coyotes.
Aha Shake Heartbreak prolonge l’état de grâce du quatuor du Tennessee. La formule qui a fait la signature du groupe n’a pas été bouleversée. L’instrumentation continue de suivre un régime pète-sec, adoptant l’esthétique « néo-garage » dictée par les Strokes et les White Stripes.
Sources : www.discogs.com – Music Story – https://pinkushion.com – www.liberation.fr – www.lemonde.fr – www.LinerNotes.com
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CREDITS :
Enregistré en Avril – Juin 2004 au Three Crows Studios & Sound Factory – Handmedown records
- Bass [Bass Man Boss Man], Written-By – Jared Followill
- Drums [Skins], Written-By – Nathan Followill
- Engineer [Assistant] – Robert Fulps
- Guitar [Licks], Written-By – Matthew Followill
- Mastered By – Greg Calbi
- Producer – Angelo*
- Producer, Mixed By – Ethan Johns
- Recorded By, Mixed By – Jacquire King
- Vocals [Pipes], Written-By – Caleb Followill