Pionnier tout-terrain de la basse électrique, ce musicien précoce a connu les grandes heures du R’n’B et du funk dans les années 60. Également compositeur, producteur et arrangeur, il a collaboré avec Frank Sinatra, Michael Jackson, Aretha Franklin, Miles Davis, Elton John et bien d’autres légendes du jazz, de la pop et des musiques du monde.
Au-delà du groove en barre et de la formidable coolitude incarnée sous l’éternel chapeau noir, il y a tant à dire : le bassiste américain peut se targuer d’avoir eu un parcours de géant. Celui d’un enfant de la Big Apple cosmopolite qui a appris la musique sur les trottoirs du Queens comme sur les bancs fameux de la High School of Music and Art (l’école de Fame), à Manhattan. L’homme au chapeau noir remonte le temps de ses influences musicales :
Mon premier souvenir musical
Ray Charles, What’d I say (1959) – Ray Charles en concert à São Paulo, Brésil, 1963.
Je devais avoir environ 5 ans : ma mère adorait Ray Charles et on l’écoutait beaucoup à la maison. De façon générale, j’ai grandi dans un environnement très musical. Mon père jouait de l’orgue à l’église, et Mozart, Beethoven ou du jazz à la maison. Mon cousin Wynton Kelly, pianiste, avait accompagné Miles Davis dans les années 50 ; il tenait aussi un magasin de disques : c’est là que j’ai acheté mon premier enregistrement, à l’âge de 7 ans : Say it loud (I’m black and I’m proud), de James Brown.
La musique de mes 10 ans
The Jackson Five, The love you save (1970)
Je dansais dans le salon en regardant les Jackson Five à la télévision. C’était incroyable : Michael avait à peu près le même âge que moi, je l’adorais ! C’est à cette époque que j’ai décidé d’être musicien. J’ai commencé avec la clarinette, le seul instrument proposé à l’école avec la batterie. Or on venait d’emménager dans le Queens, dans un petit appartement, et la batterie n’était pas envisageable. C’est grâce aux Jackson Five que j’ai découvert le R’n’B. Mais pour jouer cette musique, c’est la basse qui s’imposait…
La musique de mes premiers pas à la basse
Sly and the Family Stone, Thank you (Falletinme be mice elf agin) (1974)
Germaine, le frère de Michael, jouait de la basse électrique. Je m’y suis mis à 12 ans : c’était l’instrument idéal pour rejouer tous les tubes de la Motown, comme cette chanson très funk, à la fois cool et puissante, de Sly and the Family Stone. La basse était aussi un instrument tout nouveau à l’époque [elle est née en 1959], qui s’apprenait dans la rue. Dans mon quartier de Jamaïca Queens, les groupes répétaient dans les caves : on les espionnait par le soupirail au ras du trottoir et on les imitait.
Le premier artiste africain que j’ai découvert
Manu Dibango, Soul Makossa (1972)
A New York, toutes les musiques se mélangeaient, aussi bien dans la rue, où je côtoyais des musiciens africains et caribéens, qu’au lycée, la fameuse La Guardia High School of Music and Art, qui a servi de décor au film Fame, où je côtoyais des Blancs, des Portoricains, des Noirs. Aux talent shows, tous les styles étaient représentés, du rock à la musique classique, c’était une période tellement cool ! Résultat, j’ai appris tous les styles, R’n’B, soul, funk, reggae, et j’ai écouté très tôt des musiques venues d’ailleurs. Mais Manu Dibango a été mon premier vrai contact avec la musique d’un continent vers lequel j’ai toujours cherché à aller.
Mon bassiste préféré
Stanley Clarke, School Days (1976)
Il venait de Philadelphie et il était mon idole : j’adorais son jeu rock-funk et j’ai écouté son premier 33-tours un millier de fois. Je l’imitais, encore et encore, tout comme Robert « Kool » Bell (de Kool & the Gang) ou Gary King : c’était le seul moyen de perfectionner ma technique.
La musique de mes années de studio
Tom Browne, Funkin’ for Jamaica (1980)
La première fois qu’on a fait appel à moi pour un enregistrement en studio, j’avais 17 ans. J’ai enchaîné les sessions pendant les années 80, jusqu’à trois ou quatre séances par jour. J’étais très sollicité parce que, à la différence de la plupart des bassistes, j’avais une formation de musique classique grâce à la clarinette et je savais donc lire la musique. Résultat : j’ai collaboré avec des centaines d’artistes, Grover Washington Jr (la fameuse chanson Just the two of us), Frank Sinatra, Quincy Jones, Michael Jackson, Aretha Franklin… Ce morceau de Tom Browne est si funky, si puissant ! C’était une époque incroyable : le studio d’enregistrement était une étape obligatoire, on ne faisait pas encore de la musique par ordinateur.
Le morceau qui illustre mes débuts de compositeur
Aretha Franklin, Jump to it (1982)
Bets Version of This Song. Song Was Written And Produced BY Luther Vandross
Ce morceau a relancé la carrière d’Aretha Franklin, qui n’avait pas sorti un tube depuis 1971. Je l’ai composé et produit avec le chanteur et compositeur R’n’B Luther Vandross, mon vieux complice avec qui nous avons écrit de très nombreux titres pour d’autres artistes. Cette année a marqué la fin de mes années de studio et mes débuts de producteur.
Miles Davis, Desmond Tutu et moi !
Miles Davis, Tutu (1986)
Quand Miles Davis m’a contacté, en 1981, il vivait reclus dans son appartement, déprimé, drogué, sans inspiration. Mais pour moi, petit bassiste funky de 21 ans, il restait une légende : à 56 ans, il avait déjà révolutionné quatre fois la musique, avec le be-bop, le cool jazz, le jazz progressif puis la fusion ! Et il a fait son come-back… Tourner deux ans dans le monde avec lui m’a fait connaître. Un jour, je lui ai proposé un morceau de ma composition, Tutu, en hommage à Desmond Tutu. Il a aimé et je l’ai produit pour lui. Par la suite, il y en a eu beaucoup d’autres, comme Mr Pastorius ou Catembe, souvent des thèmes africains.
Les musiques africaines que j’aime
Oumou Sangaré, Yala (1988)
J’ai rencontré la chanteuse malienne Oumou Sangaré en 2014 à Osaka, lors de la Journée internationale du jazz, et elle est devenue mon amie. J’aime sa voix au point que je dois avoir presque tous ses disques. Je l’ai croisée récemment en Pologne et elle m’a présenté son bassiste, le Sénégalais Alune Wade : il chante sur le premier morceau de Afrodeezia, un disque que j’ai voulu comme un retour aux sources africaines des rythmes que je pratique depuis toujours et pour lequel j’ai convié des artistes maliens, burkinabés, mais aussi brésiliens et trinidadiens.
Fela, Water no get enemy (1975)
J’ai découvert l’Afrique de l’Ouest il y a cinq ans, invité par un festival de jazz au Sénégal, sur l’île de Gorée. Quand j’ai visité la Maison des esclaves, j’ai ressenti quelque chose de très fort. C’est comme ça qu’est venue l’idée de refaire, en quelque sorte, la route des esclaves sur Afrodeezia. Concrètement, j’ai beaucoup voyage, y compris au Nigeria où j’ai découvert, au contact de musiciens locaux, l’influence encore actuelle du highlife, notamment. Sur un morceau du disque, Hylife, je le mélange avec de l’afrobeat et du jazz, comme un hommage.
Mon apprentissage du guembri
Mustapha Bakbou et Marcus Miller, Jam Session (2014)
J’ai rencontré le maître Bakbou lors du festival d’Essaouira, consacré aux musiques gnaouies. Il jouait du guembri de façon très percussive, dans un style que je croyais avoir été inventé dans les années 60 par Larry Graham ! Décidément, l’Afrique est à la source de tout. J’ai d’ailleurs retrouvé le même rythme un peu plus tard à São Paulo : écoutez des karkabous gnaouas et le tambourin dans la samba, c’est très similaire. Toujours est-il que, près le concert, on m’a offert un guembri et j’ai pas mal pratiqué depuis. J’en joue sur Afrodeezia : pas sûr que Bakbou apprécierait s’il entendait…
Mon amour pour la musique sud-américaine
Djavan, Asa (1985)
Djavan cantando « Asa » no programa « Sunday Night » de David Sanborn. Marcus Miller no baixo, Omar Hakin na bateria, Hiram Bullock na guitarra, Phillipe Saisse no teclado, Don Alias na percussão.
J’ai collaboré avec pas mal d’artistes brésiliens, comme Milton Nascimento, Gilberto Gil et Dori Caymmi, mais aussi Djavan, quand il avait 56 ans : à l’époque, il était moins connu que les précédents, mais plus moderne. Lui aussi a chanté sur l’un de mes disques.
Source : www.telerama.fr