Here, my dear, double album sorti en 1978 et enregistré sur une période de deux ans dans le studio hollywoodien Marvins Room, représente le « cadeau de rupture » du chanteur dépressif à sa femme Anna Gordy, sœur aînée du boss de la Motown. Gaye conçoit un cycle de chansons sur la désintégration de son couple. Si les fins de relations amoureuses ont toujours produit une musique exceptionnelle transformant la douleur en beauté, cela n’a jamais été plus vrai qu’avec Here, my dear.
Après s’être attardé sur les drames qui secouèrent la société américaine pendant la guerre du Vietnam avec What’s Going On, Marvin Gaye se consacre entre 1972 et 1976 à la réalisation de disques plus ouvertement dance, qui font la part belle à sa voix sensuellement expressive. Let’s Get It On, Trouble Man et I Want You sont les sommets de cette période où il s’associera à Diana Ross le temps d’un album.
Marvin Gaye Here my dear
Si la tonalité globale de ces disques semble insouciante, le chanteur n’en traverse pas moins une période agitée où il sombre dans l’alcoolisme et la drogue, avant que son épouse, Anna Gordy, sœur du patron de Tamla Motown, lassée par ses déboires, ne demande le divorce pour infidélité.
S’en suit une longue procédure qui achève d’user Marvin Gaye et le laisse sur la paille. Son avocat le convainc d’accepter, en guise de solde de tout compte, d’offrir la moitié des royalties de son prochain album à son ex-femme. Cet album ce sera Here, My Dear.
Au départ, Marvin pense sortir un album guimauve rapidement exécuté. Finalement, le projet devient son obsession :
Je me suis dit que je ferais juste un disque rapide – rien de lourd, rien de bon. Pourquoi me casser alors qu’Anna allait récupérer l’argent. Mais plus je vivais avec l’idée de faire un album pour Anna, plus cela me fascinait. Finalement, j’ai fait ce disque par passion. C’est devenu une obligation. Je devais me libérer d’Anna, et je voyais cet album comme le moyen d’y parvenir. Toutes ces séances chez le juge, ces assertions, ces mensonges éhontés…Je me suis vite rendu compte que j’allais exploser si je n’évacuais pas tout cela de mon système… Alors j’ai dit à mon vieil ami ingénieur, Art Stewart : ‘Branche les micros’ et j’ai tout balancé, tout ce junk. » Cela m’a pris trois mois. Ensuite j’ai attendu plus d’un an. J’avais peur de m’en défaire.
Marvin Gaye
Durant cette période et sans trop d’explication, Marvin évite souvent le studio. Il part courir à la plage, joue au basket au coin de la rue du studio hollywoodien qu’il s’est fait construire sur mesure en 1975, un luxueux complexe comprenant un appartement privé, un water bed king-size, jacuzzi, etc…
A Hollywood, Marvin est souvent entouré : admirateurs, proxénètes, prêcheurs. Il lui arrive aussi de s’isoler, travaillant seulement accompagné de l’ingé son Art Stewart.
En studio, Marvin vient rarement préparé et dépend souvent des autres pour initier le mouvement créatif initial. Le processus est fascinant. Il y a des musiciens qui griffonnent des chansons sur des bouts de papier. Gaye va plus loin. Il n’écrit rien. Il marmonne sur des morceaux préenregistrés ou sur son propre accompagnement. Les marmonnements sont des embryons de mélodies qui, à leur tour, évoluent comme par magie, après deux, trois ou quatre prises, en paroles.
Le processus semble métaphysique, transcendantal. Ses overdubs qui s’harmonisent à sa propre voix sont spontanés. L’artiste a cette capacité de transformer sa rage en beauté, d’apprivoiser ses démons.
Here My Dear se révèle en grande partie être une chronique de la vie maritale du couple : des premières rencontres (I Met A Little Girl) jusqu’au divorce (You Can Leave, But It’s Going to Cost You) en passant par les hauts et les bas de la vie du couple (Anna’s Song, When Did You Stop Loving Me, When Did I Stop Loving You). Le tout souvent à charge envers Anna Ruby Gordy, même si Marvin Gaye ne s’exonère pas.
Le film « Star Wars » vient de sortir sur les écrans et toute l’Amérique se passionne pour la science-fiction. Marvin a l’idée du titre « A Funky Space Reincarnation » qui aurait pu être un concept de Funkadelic.
Bouclé en trois mois, le projet sera encore bloqué plusieurs mois par le chanteur hésitant. A sa parution, en décembre 1978, le disque est un échec commercial et ne trouve guère de soutien critique. Indisponible pendant des années, Here, My Dear est désormais classé dans les classiques du répertoire de Marvin Gaye.
Écrit, produit et arrangé par Marvin Gaye, cette œuvre qui relate sans pudeur tous les épisodes de la séparation, sans s’apitoyer une seconde dans cet autoportrait au vitriol qui ne cache rien de sa dépendance à la cocaïne et de sa fréquentation régulière de prostituées. Musicalement, Here, My Dear, chaud comme la braise, suinte la soul par tous ses pores. Déchiré et déchirant.
Sources : http://albumlinernotes.com – https://vinylcollector.store – www.rollingstone.com – www.qobuz.com – www.pitchfork.com – www.discogs.com – www.allmusic.com
###
CREDITS :
Enregistré entre le 24 mars 1977 et le 9 juillet 1978 au Marvin Gaye Studio, Hollywood, Californie. Masterisé au Motown Recording Studio, Hollywood, California. – Motown Records
- Marvin Gaye – vocals, piano, Rhodes, Roland bass, synth and horns; tape box percussion
- Charles Owens – tenor saxophone
- Wali Ali – guitar
- Gordon Banks – guitar
- Spencer Bean – guitar (« Time to Get It Together »)
- Cal Green – guitar (« Sparrow »)
- Frank Blair – bass
- Eric Ward – bass (« Sparrow »)
- Elmira Collins – percussion
- Ernie Fields, Jr. – alto saxophone
- Fernando Harkless – tenor saxophone (« When Did You Stop Loving Me… », « Time to Get It Together »)
- Gary Jones – congas
- Nolan Andrew Smith – trumpet
- Bugsy Wilcox – drums
- Melvin Webb – drums, congas, cowbell (« When Did You Stop Loving Me… », « Time to Get It Together »)
- Eddie « Bongo » Brown – congas, bongos (« A Funky Space »)
- Jack Ashford – percussion (« Ain’t It Funny »)
- Odell Brown – RMI
- Daniel LeMelle – saxophone (« A Funky Space » 12 inch instrumental overdubs)
- Mike McGloiry – guitar (« A Funky Space » 12 inch instrumental overdubs)
- Michael Bryant – illustrations
- David Stewart – handclaps (on « A Funky Space »)
- Richard « Do Dirty » Bethune – handclaps (on « A Funky Space »)
- Art Stewart – engineer, mixer, handclaps (on « A Funky Space »)
- Fred Ross – engineer
- Tony Houston – engineer
- Bill Ravencraft – engineer