Signé chez Polydor sur la foi de trois démos enregistrées avec le DJ Jimmy Jay dans le sous-sol d’un labo de chimie à Noisy-le-Sec, Solaar est le pur produit de la culture rap telle qu’elle s’exprime au début des années 90 : le leader d’une bande de potes, le Posse 501, qui bricole ses musiques et ses lyrics sans se soucier d’argent, de gloire ou de disques d’or.
MC Solaar Prose Combat n’était pas un album préparé. C’était un album fait sur le moment. On avait très peu de maquettes de prêtes. J’écrivais, et j’enregistrais dix minutes après. Je partais d’un principe, qui était celui de l’écriture automatique et de la deadline. Je ne prenais aucune note quand j’étais dans la vie normale. L’écriture automatique, ça venait du chanteur Antoine dans Les Élucubrations. Ce côté « Allez c’est parti ! » où tu te laisses guider par ton stylo.
MC Solaar
MC Solaar Prose Combat
Une partie des textes est écrit dans un studio à Bagnolet, sorte de QG squat ou Démocrates D, Jimmy Jay, Ménélik, Sages Po, Sléo…s’y retrouvent. On peut y rester dormir, écrire, ou écouter de la musique. Alors que MC Solaar a une vision « rock alternatif » du lieu, Jimmy Jay, lui, a une vision plus « Berry Gordy » (fondateur du label Motown).
Petit budget donc petit studio, ce sera le numéro 3 de Plus XXX. Le studio se transforme vite en joyeux foutoir ou, tour à tour, les Sages Poètes, Soon E, Ménélik, Claude posent leur voix.
Le premier single, « Nouveau Western », basé sur un sample du « Bonnie & Clyde » de Serge Gainsbourg, est signé Boom Bass, ainsi que « Superstarr », « Dévotion », « Dieu ait son âme », « La fin justifie les moyens » et «Relations humaines ».
J’ai invité Boom Bass sur l’album car j’aimais bien son travail. Comme pour le premier album, on a fait Prose combat à la maison. J’avais rencontré Hubert par le biais de Philippe Ascoli, qui à l’époque recevait toutes les maquettes qu’on lui envoyait. J’écoutais un peu tout ce qui se faisait, et j’ai remarqué les instrus de Boom Bass. On essayait d’avoir un album cohérent avec des chansons qui s’enchaînent dans une même couleur. Si on avait mis un morceau rock ou un truc qui n’avait rien à voir en plein milieu, ça pouvait casser toute l’ambiance de l’album. On faisait très attention à ça.
Jimmy Jay
Le son Prose Combat est l’alchimie de trois musiciens : Christophe Viguier (Jimmy Jay), Hubert Blanc-Francard (Pigale Boom Bass) et Philippe Cerboneschi (Zdar). Les deux premiers composent les titres, le troisième les mixe, mais entre eux, l’émulation est constante.
Pendant l’enregistrement de l’album, Philippe Zdar, adepte de techno, mixe la nuit les premiers morceaux de Motorbass [duo formé avec Étienne de Crécy].
Je me cachais, j’avais honte de les faire écouter aux garçons. Un matin, Zoxea est venu plus tôt que tout le monde, il m’a surpris et m’a dit « Mais qu’est-ce que tu fais ? C’est génial, j’adore, on dirait de la musique hypnotique ! » Je lui ai dit « C’est exactement ça. » La façon dont j’utilisais la compression et les reverb pour faire de la house, ça se retrouve dans Prose Combat. Avec aussi ces ad libs un peu hypnotiques à la fin de morceaux : avant, nos morceaux faisaient 3 minutes 10, là ils faisaient 4 minutes 30. Tout ça, ça venait de cette nouvelle musique que je venais de découvrir.
Boom Bass était un mec super intransigeant qui n’aimait pas la variété. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il avait déjà bossé dans une maison de disques. Alors que Solaar veut mettre des échos dans ses chansons, des trucs entendus dans son enfance à la radio, Boom Bass s’y oppose sous prétexte que ça fait variét’. Alors les échos, il ne les met pas en cadence. Si François Feldman dit « Parfum de vanille-nille-nille… », lui va faire « Parfum de van-n-ni-n-nille-nille-n-nille ». Tout et n’importe quoi, mais pas variété.
Philippe Zdar
Alors que Jimmy Jay produit des gros sons, simples, efficaces, Blanc-Francard [Boom Bass] apporte le truc jazz plus londonien, avec des boucles un peu raffinées.
Tout mon argent passait dans les samples. J’allais acheter mes disques à Londres, au magasin Soul Jazz. Mais mon plus grand souvenir, c’est le Japon. À Tokyo, j’ai trouvé un magasin au sous-sol d’un grand centre commercial, rempli de raretés. Au mur, il y avait des photos de Dr. Dre, Q-Tip, Pete Rock… Tous les producteurs américains s’y approvisionnaient. J’ai trouvé 80% des samples de Prose Combat dans ce magasin.
Jimmy Jay
Adorateur d’onomatopées en tous genres, MC Solaar n’a pas pu passer à côté du « Rat-Tat-Tat-Tat » de Dr. Dre, sorti fin 1992. Solaar dégaine ces quatre syllabes pour faire feu sur la « tarte aux thunes » Madonna dans « À la claire fontaine ». Pour désamorcer le propos, il emploie un peu plus loin une autre onomatopée, moins sanglante celle-là : le « Hulahup barbatruc » des Barbapapa.
Intimiste et politisé, toujours bardé de références pop-littéraires, Prose Combat fait la synthèse du style Solaar : une oscillation élégante entre commentaire social et tranches de vie, portée par un amour éternel pour la mélodie des mots.
Je prenais toujours des chemins de traverse pour parler de ce dont tout le monde parlait à l’époque. C’est une chose que j’avais apprise avec l’ethnologue Georges Lapassade : il ne fallait jamais répéter les mêmes choses. Je lisais beaucoup la presse, donc plein de sujets étaient dans ma tête : la lutte, l’exception culturelle française, l’OMC… Dans Libé, j’avais lu un argument qui m’avait beaucoup plu sur l’égalité face à la culture. C’est de ça dont je parle dans « Nouveau Western.
MC Solaar
Avec MC Solaar Prose Combat, Claude et son équipe franchissent un cap. Le disque s’écoule à près d’un million d’exemplaires et connaît une belle carrière internationale.
Longtemps indisponible, ni en magasin, ni sur les plateformes de streaming à cause d’un conflit entre MC Solaar et PolyGram, sa maison de disques de l’époque, l’album est à nouveau accessible et réédité depuis 2021.
Source : http://mcsolaar.lemouv.fr – www.fakeforreal.net – www.abcdrduson.com – http://fp.nightfall.fr
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CREDITS :
Enregistré entre 1993 et 1994 – Studio Plus XXX (Paris) – Cohiba records
- Co-producer – Zdar* (tracks: 1 to 4, 6 to 10, 12 to 15)
- Mastered By – Tom Coyne
- Producer – Boom Bass (tracks: A3, B1, B3, C1, C3 to D2), Jimmy Jay (tracks: A2, A4, B2, B4, C1, C2, D3)
- Scratches – Jimmy Jay (tracks: A1 to A4, B2, B4, C2, C4, D3)
- Engineer [Assistant Engineer] – Alf*
- Engineer, Mixed By – Simon Cotsworth (tracks: 5)
- Producer – Boom Bass (tracks: 1 to 4, 6 to 10, 12 to 15), Gran Niggaz* (tracks: 12), Jimmy Jay (tracks: 1 to 4, 6 to 10, 12 to 15)
- Producer, Mixed By – JP « Bluey » Maunick* (tracks: 5)