Melvin Van Peebles naît dans le South Side, un quartier noir de Chicago, le 21 aout 1932. Il vit de petits boulots : 3 ans dans l’US Air Force, conducteur de tramway à San Francisco…Mais la fibre artistique le travaille. Il sort en 1957 The Big Heart, un livre de photographies urbaines signées la photographe Ruth Bernahrd, dont il asssure la partie écrite.
La même année, Melvin Van Peebles débute sa carrière de réalisateur par trois court-métrages difficilement trouvables : A King, Sunlight et Three Pickup Men for Herrick.
Peu après, il émigre en Hollande (où il étudie l’astronomie) ; il est coupée dans ses études par un invitation pressante à présenter ces films à la Cinémathèque, à Paris. Il y prend ses quartiers et s’installe plusieurs années dans la capitale française. Ironie du sort, c’est là qu’il rencontre le grand romancier afro-américain Chester Himes ; les deux exilés nouent une réelle amitié.
En 1963, Van Peebles réalise un nouveau court, Cinq cent balles. On retiendra surtout sa collaboration à France Observateur puis à Hara-Kiri (les ancêtres respectifs du Nouvel Observateur et de Charlie Hebdo). Il devient un membre à part entière de l’équipe de l’hebdo satyrique pour lequel il écrit des contes (comLienme Le Chinois du XIVème, illustré par Topor) et assure la traduction de textes de Chester Himes, dont l’adaptation par Wolinsky de La Reine des pommes en BD. Les revenus qu’il tire de ses activités, il les investit dans le cinéma.
Ainsi, il réalise La permission (titré en anglais Story of a 3-Day Pass), son premier long métrage, l’histoire d’amour d’un GI noir et d’une française blanche, tourné en noir et blanc dans un style très « nouvelle vague ». Ironie du sort, le film est présenté à San Francisco, et les organisateurs se rendent compte qu’ils ont à faire à un Afro-Américain, alors qu’ils pensaient avoir invité un jeune réalisateur français.
Melvin Van Peebles aka Brer Soul
C’est sous ce pseudo que Melvin Van Peebles, parallèlement à ses travaux en France puis aux Etats-Unis, se lance dans la chanson. Entre 1969 et 1975, il livre 4 albums où l’on retrouve son appétence pour les titres à rallonge : « Brer Soul », « Ain’t Supposed to Die a Natural Death », »As Serious as a Heart-Attack » et « What the…You Mean I Can’t Sing? », ainsi que 4 OST, celles de Watermelon Man, Sweetback…, Don’t Play Us Cheap et Ain’t Supposed to Die a Natural Death (différente du LP éponyme).
Là encore, son talent est teinté d’amateurisme (ce qu’il reconnaît bien volontiers) mais aussi et surtout d’un avant-gardisme hallucinant. C’est bien en précurseur qu’il se positionne encore, devenant, si ce n’est le premier rappeur, au moins un père fondateur du rap. Ces albums se présentent comme des manifestes sonores où se mélangent textes politiques, free jazz échevelé, djembé façon Last Poets et diction théâtrale (qu’on appellerai aujourd’hui slam).
Le plus étonnant, c’est que c’est le folklore français qui l’amène à explorer les voies de la chanson et de la musique, déclarant à ce propos : « Les chansons réalistes, et celles de Bruant en particulier, sont tout à fait dans la ligne du rap. Saint-Lazare ou La Glacière, ça peut être des chansons rap pour parigots. » Malheureusement, il est difficile aujourd’hui de trouver tous ces titres…
Retour au pays
De retour à San Francisco qu’il avait quitté plus d’une décennie auparavant, Melvin se concentre sur la réalisation. Il tourne un épisode du Cosby Show, puis signe avec la Columbia un contrat pour trois films. Il n’en fera qu’un : Watermelon Man, une comédie satyrique où un blanc raciste se réveille noir. Non seulement l’acteur, Godfrey Cambridge, est Noir ; en plus, Melvin tourne une fin alternative – et plus progressiste – qu’il cache au studio et place au montage final. Cependant, comme Watermelon Man est un succès au box-office, la Columbia ne rompt pas son contrat, elle souhaite même le voir réaliser un biopic sur Malcolm X, sur la base de l’ « autobiographie » écrite par Alex Haley.
Melvin refuse ce projet, dans lequel il aurait été limité et contraint, et se lance dans une aventure cinématographie qui va l’éloigner définitivement des grands studios hollywoodiens.
« A Baadasssss Nigger is Coming Back to Collect Some Dues »
Van Peebles se lance dans un projet ambitieux : « Je voulais faire un film victorieux. Un film où les Noirs peuvent sortir du cinoche la tête haute », explique-il dans le journal de tournage. « Le film ne pourra pas se contenter d’être un simple discours didactique projeté […] dans un cinéma vide, à l’exception de dix ou vingt frères déjà convaincus qui me taperont sur l’épaule en me disant que le film dit vraiment la vérité. […] Il doit être capable d’exister comme un produit commercial viable sinon il n’aura aucun pouvoir ».
Ainsi naît Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. Le film est un succès sur tout les plans : financier d’abord (il rapporte cent fois son budget de production), symbolique (il impose le premier héros afro-américain qui s’en sort malgré ses déboires contre la police, ainsi qu’une équipe technique mixte), artistique (par une réalisation inédite très inspirée, façon « nouvelle vague ») et d’estime (il rencontre un succès auprès de la communauté et est plébiscité par Huey Newton et le Black Panther Party).
Mais cela marque aussi le début des ennuis pour Van Peebles : il est black-listé à jamais par l’industrie du cinéma. Alors que dans le même temps les producteurs hollywoodiens ont compris les profits potentiels qu’offraient les films mettant en vedette des Afro-Américains : se succèdent les Shaft, Coffy, Black Caesar et autre Truck Turner ; mais rares sont les films qui retrouveront la puissance contestataire qu’avait insufflé Van Peebles (citons tout de même The Spook Who Sat by the Door ou The Final Comedown)
De Broadway à Wall Street…
Black-listé par les producteurs et distributeurs, il se tourne alors vers Broadway et les comédies musicales. Il en fera deux en 71 et 72 : Ain’t Supposed to Die a Natural Death (encore joué de nos jours) et Don’t Play Us Cheap (originellement un film, invisible jusque dans les années 90). Ces deux comédies musicales sont d’ailleurs reconnus par la profession, récoltant de nombreux prix et autres nominations aux Tony Award.
S’ensuit une absence de 16 ans sur les écrans (il est tout de même crédité comme scénariste de Greased Lightning, de Michael Schultz avec Richard Pryor). Melvin en profite pour explorer d’autres horizons. Fidèle à lui-même, on le retrouve là où on ne l’attend pas : à Wall Street, où il devient le premier trader afro-américain. Il publie même un best seller sur la bourse et les recettes pour devenir riche intitulé Bold Money: A New Way to Play the Options Market.
Il réapparaît au cinéma en 1989 avec la réalisation d’Identity Crisis, un produit ultra-bis à la limite du mauvais goût dont son fils, Mario Van Peebles, écrit le scénario et interprète le rôle principal.
En tant qu’acteur, il fait de très brèves apparitions dans les années 80 et 90 : The Sophisticated Gents, O.C. and Stiggs de Robert Altman, America de Robert Downey Sr., Les dents de la mer 4 (aux cotés de Mario), True Identity, Boomerang, et même dans Antilles sur Seine de Pascal Légitimus.
Il tourne aussi dans les premières réalisations, qui remportent un franc succès, de son fiston Mario : la série Sonny Spoon, le western Posse (avec d’autres gloires du cinéma soul tels que Pam Grier et Isaac Hayes), la fresque politique Panther, le téléfilm Gang in Blue (où le père et le fils partage l’affiche comme co-réalisateurs et acteurs).
Sa présence semble plus incongrue dans des gros blockbusters comme Fist of the North Star (la version film de Ken le survivant), Terminal Velocity, Last Action Hero avec Schwarzenegger…
La renaissance d’une icône
A la fin des années 90, il y a un incontestable regain pour Melvin Van Peebles et l’épopée de Sweet Sweetback…D’une part, le succès des films de Spike Lee, Reginald Hudlin, Mario Van Peebles et tant d’autres propulsent à nouveau des personnages noirs au devant de la scène. D’autre part, le Jacky Brown de Tarantino fait naître un intérêt nostalgique pour la blaxploitation. Or, dans les deux cas, on évoque forcément Sweetback et Melvin Van Peebles. Ainsi, une série de documentaires (et le film-hommage de son fils : Baadasssss !) viennent populariser et contribuer à mythifier -à raison à mon sens- l’incroyable génie de ce film et de son artisan touche-à-tout.
Comme réalisateur, Melvin Van Peebles reste le trublion iconoclaste qu’il a toujours été : il livre un court métrage érotique : Vrooom Vroom Vrooom, un film sur un couple dans la France profonde des années 60 : Le conte du ventre plein, puis ses Confessionsofa Ex-Doofus-ItchyFooted Mutha en 2008, qu’il présenta à St Denis dans le cadre du festival « Black Revolution ». Là encore, il est fort regrettable que ces œuvres, en particulier les deux dernières, ne soient disponibles en DVD, faute de distributeurs probablement.