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En 1994, Play-Time éditait pour la première fois la bande originale de Peau d’âne dans son intégralité. L’album rencontra un vif succès, notamment auprès d’une génération dont le film avait marqué l’enfance et qui, avec lui, avait rencontré l’univers de Jacques Demy.

Depuis longtemps, Jacques Demy a envie de tourner une adaptation de Peau d’âne. Évidemment, l’un des obstacles réguliers à la concrétisation du projet est l’argent. Un film comme celui-là coûte cher. Dans les années soixante, le projet remonte à la surface une ou deux fois… A un moment donné, vers 1962, il est même question de le faire avec Brigitte Bardot et Anthony Perkins ! Ironie du sort, Michel Legrand retrouvera ce couple d’acteurs dans Une Ravissante Idiote d’Edouard Molinaro dont il composera la musique en 1964.


Michel Legrand Peau d’âne

Six ans plus tard, Peau d’âne a été le film de mes retrouvailles avec Demy. Car, après Les Demoiselles de Rochefort, en 1967, je suis parti à Hollywood. Jacques m’y a rejoint quelques mois plus tard. Avec sa femme, Agnès Varda, il a d’ailleurs habité chez moi pendant plusieurs semaines. Curieusement, nous nous sommes retrouvés aux États-Unis pour créer chacun de notre côté : pendant que j’écrivais la musique de L’Affaire Thomas Crown, lui réalisait Model Shop pour la Columbia. Il a fallu attendre nos retours respectifs en France, en 1970, pour que nous nous attelions ensemble à Peau d’âne. (Michel Legrand)

Ce projet correspond idéalement au monde de Jacques Demy. Le conte de Perrault semble avoir été écrit pour qu’il le mette en images. On est en plein dans un univers rose et bleu, de conte de fées, de rêve…

Au quotidien, Jacques vivait dans ce monde là. Il était beaucoup plus à l’aise dans Peau d’âne que dans ses films plus durs, plus sociaux comme Une Chambre en Ville. Une fois encore, on a travaillé dans une parfaite entente créatrice, en trouvant très vite la couleur musicale du film. Notre idée était d’aller vers des styles très variés, très différents les uns des autres. Pour que la féérie soit là, il fallait une partition oscillant entre le baroque, le jazz et la pop.

Michel Legrand Peau d’âne
Michel Legrand Peau d’âne

Comme d’habitude, j’ai lu très tôt le scénario. On en a parlé. Il est venu travailler chez moi, moi chez lui. Lorsque je cherche un thème, j’en écris environ une trentaine. Ensuite, je procède par élimination, pour bien cerner le style voulu. Sur les trente thèmes, j’en garde quinze, puis huit, puis cinq. Et quand il en restait deux ou trois, je les soumettais à Jacques.

Ensemble, nous choisissions celui qui paraissait le mieux convenir à la séquence destinataire… Dès l’apparition du magnétophone à cassette, Jacques enregistrait également nos séances de travail. Et, un jour pendant la préparation de Peau d’âne, il me dit : « Tiens j’ai retrouvé un thème que tu as composé et qu’on n’a jamais utilisé. Je crois qu’il aurait sa place dans ce nouveau film ! ». (Michel Legrand)

Michel Legrand Peau d’âne
Michel Legrand Peau d’âne

Effectivement, en réécoutant ses vieilles cassettes dans le calme de sa Bretagne, Jacques avait remis la main sur un thème écrit pour Les Demoiselles. Comme on ne l’avait finalement pas employé à l’époque, on s’est resservi dans Peau d’âne, où il s’est transformé en chanson des Insultes !

Pour Peau d’âne, il fallait que Jacques puisse tourner les séquences de chansons en diffusant celles-ci sur le plateau pour que les comédiens soient synchrones. Il y a donc eu deux séances d’enregistrement distinctes : l’une pour les chansons avant le tournage, l’autre après pour la musique additionnelle. Comme dans Les Demoiselles, on savait que Catherine Deneuve et Jacques Perrin seraient respectivement doublés par Anne Germain et Jacques Revaux, dont les phrasés sont absolument sublimes et correspondent impeccablement à leurs vraies voix. Or, Catherine a voulu interpréter elle-même ses chansons. On a fait des essais.

Michel Legrand Peau d’âne

Autant c’est une formidable comédienne, autant au niveau du chant, je pensais qu’elle n’y arriverait pas. Car en dépit de leur apparente simplicité, les mélodies de Peau d’âne sont assez tordues, alambiquées. Finalement, Catherine a accepté de se faire doubler. Ensuite, Delphine Seyrig a voulu chanter elle-même les Conseils de la Fée des Lilas ! Le résultat (qui figure d’ailleurs sur cet album) était satisfaisant…

Mais, à la réflexion, j’ai pensé que pour cette chanson, il fallait avoir une chanteuse avec une tessiture plus large, pouvant aller plus facilement dans le grave comme dans l’aigu. J’ai donc préféré utiliser ma sœur Christiane. Et puis, en guise de clin d’œil, comme dans Les Parapluies de Cherbourg, Jacques et moi nous sommes offerts une courte apparition vocale dans Les Insultes. Il a une phrase, j’en ai trois. Je laisse aux auditeurs attentifs le soin de nous identifier ! En allant sur les tournages de Jacques j’avais le plaisir de le retrouver lui, Catherine, Jacques Perrin et tous les copains.

Michel Legrand Peau d’âne

On mangeait ensemble, je respirais un peu le parfum du film. Ce n’était jamais très loin car Peau d’âne a été tourné en région parisienne. Il y a même plusieurs plans qui on été mis en boîte à quelques mètres de l’endroit où j’habitais à l’époque, dans l’Eure et Loir.

Un beau matin, j’ai vu Jacques et toute l’équipe débarquer en face de mes fenêtres ! C’était pour la séquence des Rêves secrets d’un Prince et d’une Princesses, avec le fameux plan des galipettes dans l’herbe ! Je suis allé en voisin à Gambais, dans cette merveilleuse ferme où ont été tournées les Insultes. (Michel Legrand)

Michel Legrand Peau d’âne

Dès le départ, l’idée de Michel Legrand est de toujours garder les thèmes des chansons dans la musique additionnelle. Pour créer une unité thématique, une homogénéité dans le score. Toutes les musiques d’ambiance, de merveilleux, les quelques musiques de danse, les fugues sont donc basées sur des rappels mélodiques des chansons. Le compositeur souhaite donner au film une espèce de symétrie, en l’encadrant avec deux grandes fugues, l’une en ouverture, l’autre en clôture : la première sur le motif de la recherche de l’amour (Amour, Amour), la seconde sur celui de l’amour trouvé (Rêves secrets). Ainsi, quand Peau d’âne se termine, on a l’impression que la boucle est bouclée…

Michel Legrand travaille beaucoup les atmosphères fantastiques que l’on fait naître par l’écriture, par l’orchestration, par une utilisation précise de la pâte de l’orchestre. Avec les cordes, les bois, les harpes, il est possible d’obtenir de très beaux climats et effets merveilleux. Les apparitions de la fée, par exemple, sont soulignées par des glissandos de harpes, à la façon du dessin animé. Des ambiances, à la Fauré, à la Debussy viennent également renforcer la grâce poétique de l’image.

Michel Legrand Peau d’âne

Dès que j’ai vu le premier montage de Peau d’âne, je me suis immédiatement aperçu des références à la Belle et la Bête de Cocteau : les statues vivantes, les miroirs, les ralentis, les plans à l’envers… Tout cela m’a donné l’idée de rendre hommage à Georges Auric, le compositeur fétiche de Cocteau, sans que cela soit trop appuyé. Dans le thème des Trois Robes, j’ai donc ressuscité ces voix extraordinaires que l’on entend quand Josette Day pénètre dans le château de la Bête… (Michel Legrand)

1970, l’année de Peau d’âne, marque le retour en France de Michel Legrand, ses retrouvailles avec le cinéma français, avec Jacques Demy. C’est aussi l’année de la naissance de sa fille. Le maestro passe son brevet de pilote d’avion. Jacques et lui sont tout deux passionnés par l’aviation.

Quelques mois après la sortie de Peau d’âne, nous avons pris mon petit avion pour aller au dessus de Chambord, où Jacques avait tourné plusieurs séquences du film. Pour s’amuser, nous avons fait des piqués sur le château, en chantant à tue-tête les fugues de Peau d’âne ! C’était un moment grisant, extraordinaire ; on hurlait en essayant de couvrir le bruit du moteur ! On était comme des gosses. (Michel Legrand)

Michel Legrand Peau d’âne

Des années après, Peau d’âne est un film que je n’essaye pas de situer. Je ne cherche jamais à placer, ni à positionner les choses. Elles s’inscrivent d’elles-mêmes dans une hiérarchie dont on n’est pas responsable. Pour moi, le temps, les années n’ont pas de grande valeur. Peu importe l’ordre dans lequel j’ai composé telle musique pour tel film. Il ne faut pas considérer le temps dans sa continuité d’horloge. Car on peut le tordre, le faire reculer. Comme dans Peau d’âne ! On effectue parfois des bons de vingt ans en arrière ou de cinquante ans en avant. En ce qui me concerne, la continuité de la création n’est absolument pas liée au temps. (Michel Legrand)

Dans la création, Michel Legrand a besoin de gens qui soient ses alliés. Il essaye donc de s’entourer de collaborateurs qui appartiennent à la même famille que lui.

Entre les deux hommes, le lien est encore plus fort. Michel et Jacques ne sont pas seulement collaborateurs mais amis. Dans Peau d’âne, la musique est très importante. Michel Legrand part du classique, d’une fugue pour introduire du moderne, du jazz, de la guitare électrique. Le baroque du conte permet de jouer sur plusieurs époques.

Entre eux, il existe une sorte de communion d’esprit, sincère et rare à la fois. Sur chaque nouveau film, les deux hommes éprouvent le plaisir qu’ont deux frères à se retrouver. La notion de travail n’existe pas. Cette façon de créer dans la joie est sans doute l’une des plus belles réussites communes.

Source : https://fr.wikipedia.org – notes de pochette – www.rtbf.be

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CREDITS :

Enregistré en 1970 – Warner Chappell

Paroles de Jacques Demy, Musique de Michel Legrand,Voix Anne Germain (tracks: 4, 12, 18, 20), Christiane Legrand (tracks: 6), Jacques Revaux (tracks:15, 20)

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