Le monterey pop festival, en juin 1967, constitue le premier véritable festival de musique tel qu’on les conçoit aujourd’hui avec une billetterie, la vente de produits dérivés (alimentation macrobiotique à l’époque, achat de fripes) et la succession des groupes sur scène.
Pour les observateurs de l’époque, deux ans avant Woodstock, le monterey pop festival s’avère bien supérieur musicalement au premier, malgré une notoriété moindre. Pendant trois jours, du 16 au 18 juin 1967, il réunit 40 000 personnes dans un champ à 180 km au sud de San Francisco. Les images de Pennebaker, qui filme le festival, révèlent une atmosphère bon enfant entre les participants, souvent défoncés à l’acide.
Le producteur et un des membres du groupe californien des Mama’s and the Papa’s sont à l’origine du projet*, organisé pour aider des associations caritatives. Il n’en coûte qu’un dollar pour écouter de la musique debout. L’affiche rassemble de nombreux groupes phares du moment : les Mama’s and the Papa’s bien sûr ; les folkeux Simon and Garfunkel ; le sitariste indien Ravi Shankar, seul musicien payé, qui demande à une assistance médusée de ne pas fumer pendant ses 3 heures de raga ; les Who qui fracassent leurs instruments sur scène au grand dam du public ; le Canned Heat et les Byrds, tous deux dans un jour sans ; Scott Mckenzie, auteur de l’hymne hippie « San Francisco ».
Surtout, le festival consacre le triomphe du Frisco sound, la scène rock psychédélique de San Francisco en plein essor, avec la présence de quatre groupes phares :
Country Joe and the Fish menés par le “hippie rouge” Country Joe. Ce provocateur né, qui fait scander FUCK aux foules présentes à Woodstock, afin de protester contre l’envoi toujours plus massif de GI’s au Vietnam, doit son surnom à Joseph Staline. En effet, les Américains surnommait ce dernier « country Joe » durant la seconde guerre mondiale. Il milite très tôt dans les milieux contestataires de Berkeley et Oakland. On lui doit une des chansons les plus caustiques sur la guerre du Vietnam: « I feel like i’m fixin’ to die rag ».
Le Grateful Dead (« Le mort reconnaissant ») de Jerry Garcia qui se lance dans des improvisations planantes qui subjuguent l’auditoire. Groupe emblématique de cette période qui est de tous les grands festivals, dans lesquels il joue généralement gratuitement et presque toujours dans un état second.
Le Jefferson Airplane (le nom désigne des allumettes en carton destinées à allumer des joints), auteur d’un White rabbit d’anthologie, compte rendu musical d’un trip digne d’ « Alice au pays des merveilles » de Carroll. Tandis que Somebody to love reste un de leurs plus grands succès.
La chanteuse du groupe, Grace Slick, s’impose rapidement comme la figure clef de la bande. Engagée, elle se noircit le visage pour marquer son soutien aux Noirs du sud des EU toujours victimes de discriminations. Provocatrice, elle n’hésite pas à chanter torse nu et à proférer des obscénités sur scène, comportements inadmissibles dans une Amérique toujours très puritaine.
Lors du festival, elle crève l’écran. Pennebaker, le réalisateur du film sur le festival, braque presque exclusivement sa caméra sur Slick, ce qui suscite des tensions ausein du groupe.
Quoi qu’il en soit, l’Airplane reste incontestablement un groupe phare du Frisco sound.
Enfin, le Big Brother and the Holding company mené par Janis Joplin, une jeune texane écorchée vive qui hurle le blues et entre en communion avec le public auquel elle se livre totalement, comme l’atteste le Ball and Chain d’exception qu’elle interprète à Monterey. La prestation de Joplin représente un des sommets du rassemblement.
L’audience du Big Brother et de sa chanteuse reste plutôt confidentiel. Ils ne font pas partie des stars et ne sont programmés que le samedi après-midi. Le concert remporte un immense succès et le groupe se voit proposer un second concert, le dimanche soir, en clôture du festival. C’est ce concert qui est filmé par Pennebaker. Moins réussi que le précédent, il prouve cependant à quel point Janis constitue la clef de voûte de la formation.
Sur scène, elle donne le meilleur d’elle même. Complètement libérée, elle se livre totalement au public, s’abandonne à lui.
Deux autres quasi-inconnus (en tout cas pour un public blanc californien) sont consacrés à Monterey.
Jimi Hendrix, un guitariste originaire de Seattle, est parfait inconnu dans son pays. Brian Jones des Rolling stones l’introduit sur scène par ces mots: « le guitariste le plus excitant que j’aie jamais vu ».
D’emblée, il livre une leçon de guitare. Sa présence magnétique captive le public. Il tire de sa guitare des sons inconnus jusqu’alors, maîtrisant distorsions et larsens. Il joue au dessus de sa tête, dans son dos, avec ses dents et termine son show en embrasant sa guitare stratocaster, avant de la fracasser. Le public, médusé, se souviendra longtemps de ce concert inouï.
Otis Redding, l’immense soulman de l’écurie STAX de Memphis, livre un concert remarquable, dont l’énergie se communique à un public déchaîné, peu habitué aux sonorités chaudes de la soul sudiste. Après cette prestation Redding pense avoir conquis ce public blanc qui le boudait jusque là. De fait, il remportera un immense succès avec son Sittin on the dock of the bay, mais un succès posthume, puisqu’il trouve la mort avec son groupe, les Bar-Kays, dans un accident d’avion.
Bien qu’une majorité des spectateurs fût blanche, il y avait une réelle mixité ethnique et raciale, ainsi qu’un mélange musical riche et atypique, associant musique folk, blues, jazz, soul, R&B, rock, rock psychédélique, pop et musiques traditionnelles, permettant à de jeunes artistes novateurs et avant-gardistes arrivant tout droit du Royaume-Uni, des États-Unis, d’Afrique du Sud et d’Inde de jouer aux côtés de stars connues et reconnues tels que The Mamas and the Papas, Simon & Garfunkel et The Byrds.
Au bout du compte, le festival est une grande réussite en plein Summer of love. Succès commercial, artistique, le festival ouvre une longue série d’autres rassemblements musicaux. Il place sur la carte du rock deux figures centrales qui accèdent au rang de mythe: Janis Joplin et Jimi Hendrix. Les excès et le désenchantement n’ont pas encore atteint le mouvement qui se délitera deux ans plus tard.
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Le festival a par la suite été acclamé et salué comme un prodige d’organisation et de coopération, devenant une norme que bien peu de grands festivals parvinrent à respecter par la suite. Lou Adler déclara par la suite : « …Notre idée pour Monterey était de proposer le meilleur possible, dans tous les domaines — l’équipement sonore, l’hébergement, le ravitaillement, le transport — des services qui n’avaient jusqu’alors jamais été proposés aux artistes avant Monterey…Nous avions installé un centre de premiers secours sur le site, car nous avions bien imaginé qu’une surveillance médicale serait nécessaire et que nous devrions nous occuper des problèmes liés à la drogue qui y circulerait. Nous ne voulions pas que les gens ayant des problèmes de drogue soient laissés sans soins et sans l’appui d’une équipe médicale. Comme nous ne voulions pas que ce type de problème ne gâche ou ne perturbe les autres spectateurs ou les artistes…Nos services de sécurité travaillaient avec la police locale de Monterey. Les forces de sécurité locales ne s’attendaient pas à s’entendre aussi bien avec les personnes venues sur place et avec les organisateurs. Ils ne s’attendaient pas à ce que cet esprit du ‘Music, Love and Flowers’ prenne le pas sur leurs convictions personnelles et les laisse se faire couvrir de fleurs par les participants. » * Les organisateurs Lou Adler, John Phillips des The Mamas & the Papas, le producteur Alan Pariser, et Derek Taylor planifièrent le festival en seulement sept semaines. Le bureau organisateur comportait des membres des Beatles et des Beach Boys.
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