Souvent imité, jamais égalé : cet instrument illustre à la perfection le désuet slogan du temps des réclames. Basé sur une technologie assez complexe, apportant une sonorité révolutionnaire à sa sortie, l’orgue Hammond reste une icône indétrônable.
L’histoire de l’orgue Hammond commence en 1890. Thaddeus Cahill (1867-1934), qui vient de terminer ses études à Washington, est persuadé que la musique peut être créée électriquement et pense même déjà à sa diffusion via les lignes téléphoniques qui commencent à peine à apparaître dans les grandes villes américaines.
Mine de rien, ce jeune homme va inventer à la fois la musique électronique et la diffusion online en streaming. Cahill reprend le dispositif du cylindre rotatif, mais il va utiliser pour sa part des roues métalliques crantées tournant près d’une bobine enroulée autour d’un aimant. Lorsque les crans des roues passent près de la bobine, la tension du courant augmente pour redescendre dans les intervalles, créant ainsi un courant alternatif capable d’être retransmis par un écouteur de téléphone.
Le brevet pour le principe et le schéma de son invention sont obtenus en 1898 et le premier prototype est opérationnel dès 1901. Cinq ans plus tard, le vrai Telharmonium est installé au sous-sol d’un immeuble à New York. Il mesure 18 m de long et pèse plus de 200 tonnes ! Le monstre ne trouve pas son public et malgré une troisième évolution, la société de Cahill met la clé sous la porte en 1914 ; mais sa roue phonique (tonewheel) n’a pas dit son dernier mot.
A Chicago, en 1933, Laurens Hammond (1895-1973), personnage à la curiosité sans limite, Géo Trouvetou à l’origine de 110 brevets, patron d’une usine d’horloges électriques en bakélite de son invention (dont les ventes ont chuté dramatiquement en 1932) et qui vient de commercialiser sans grand succès une table de bridge incorporant un distributeur automatique de cartes, réfléchit à une nouvelle invention qui pourrait sauver son entreprise.
Disposant d’un stock considérable de moteurs synchrones utilisés dans ses horloges, Hammond pense à les employer comme générateurs pour produire un courant électrique pouvant être transformé en son. Il ressort des placards le principe de la roue phonique de Cahill, qu’il met à jour en tenant compte des immenses progrès qui ont été réalisés en électronique depuis le début du siècle.
Pendant un an, Hammond va expérimenter toutes les possibilités sonores offertes par ces roues phoniques qu’il peut amplifier grâce aux lampes triodes et au haut-parleur. Il va dépouiller un piano d’occasion à 15 dollars de ses entrailles et ne conserver que le clavier pour connecter ses générateurs sonores à des interrupteurs placés sous les touches.
Au début, le projet est de commercialiser un petit clavier pas cher à brancher sur un poste de radio mais, au vu des possibilités et des sons inédits qu’il découvre lors de ses expérimentations, Hammond décide d’en faire un véritable instrument professionnel.
Le brevet est déposé en avril 1934 et le premier orgue Hammond est présenté lors de l’Industrial Arts Exposition organisée au Rockefeller Center de New York, en avril 1935, où il obtient un énorme succès. A la fin des années 1930, 200 instruments sont fabriqués chaque jour. Le modèle A original est bientôt complété par d’autres modèles comportant des améliorations.
En 1940, Donald Leslie (1911 -2004) met au point la fameuse cabine qui porte son nom (une grosse enceinte amplifiée dont les haut-parleurs sont équipés de réflecteurs rotatifs) et qui va devenir l’alter ego de l’orgue Hammond, lui donnant ce son jazzy caractéristique. A partir de 1948, on produit une gamme d’instruments plus simples (spinet organ) destinés au grand public, dans lesquels on intègre l’ampli et les haut-parleurs : les séries M puis L et enfin T (à transistors).
En 1954 apparaît le modèle le plus réputé de la marque et désormais le plus recherché : le B3, qui sera fabriqué pendant vingt ans. Laurens Hammond quitte sa société en 1960 et celle-ci va poursuivre tant bien que mal son évolution. En 1979, la filiale japonaise Nihon-Hammond sort le X5, premier modèle portable à circuits intégrés.
En 1985, n’ayant su faire face ni à la concurrence ni à révolution du marché, Hammond Organ Company cesse d’exister. La marque est devenue en 1991 la propriété de Suzuki, qui produit désormais des claviers portables ou des reproductions des consoles mythiques B3 et C3 aux roues phoniques numérisées.
Les bluesmen et jazzmen sont les premiers à l’avoir sorti des églises (là encore au grand regret de son inventeur) : Wild Bill Davis s’impose dès 1948 comme l’un des hérauts du trio orgue-guitare-batterie, qui sera popularisé au milieu des années 1950 par Jimmy Smith, maître incontestable du B3.
Il sera ensuite adopté par Ray Charles, par James Brown, puis par le rock des Doors ou de Deep Purple, et celui, progressif, d’Emerson, Lake & Palmer ou de Yes. L’orgue Hammond reste également un des instruments essentiels du reggae. Qui n’a pas en tête la merveilleuse intro de No Woman No Cry, de Bob Marley ? Selon les styles, on lui rajoute des effets, des distorsions, des saturations… On en raffole en Europe comme aux Etats-Unis. Mais, n’en déplaise à nos amis rockeurs, seuls les jazzmen parviennent à utiliser toutes ses couleurs et ses nuances.
Les Doors n’utilisaient pas l’orgue Hammond. Leur claviériste : Ray Manzarek utilisait un autre clavier célèbre , l’orgue VOX modèle Continental. De fabrication anglaise comme les célèbres amplis guitare VOX, ce clavier utilisait une technologie des années 60, celle des premiers transistors ( au germanium pour les connaisseurs) qui avaient la particularité de se désacccorder en chauffant. Cette caractéristique musicale, appréciée à l’époque, se retrouve sur certains albums. La sonorité très typée de ce clavier ne peut pas être confondue avec celle de l’orgue Hammond. On retrouve sur you tube la démonstration de quelques exemplaires survivants de cette époque.