Drake enregistra son dernier album Nick Drake Pink Moon en quelques nuits, envoya les bandes à Island et se fit interner dans un hôpital psychiatrique. Si la musique était aussi sombre que les textes, l’album serait tout simplement inécoutable. Mais la voix rassurante et la guitare dépouillée de Drake exaltent la tendresse surnaturelle de « Pink Moon ».
Nick Drake vit désormais à Londres. Après Five Leaves left, en 1969, il a quitté Cambridge et la fac. L’inspiration citadine qui irrigue Bryter Layter est à double effet : énergie neuve, autre mélancolie. La chambre nue du quartier de Hampstead, lit simple, un poêle et quelques disques et livres, est le refuge où le musicien se retranche peu à peu. « Il avait une vie sociale, dit Kirby, mais elle était compartimentée. Je ne connaissais pas ses amis londoniens. » Même à ceux-là, Drake offre de plus en plus une présence embarrassée, silencieuse.
Nick Drake Pink Moon
La même année 1970, on arrange une rencontre avec Françoise Hardy, fan déclarée de cet « ami venu des nuages ». Il est question qu’il écrive pour elle…
Joe Boyd a quitté Londres, appelé par Warner à Los Angeles. Non sans avoir tenté quelques coups, comme de faire enregistrer les chansons de Nick Drake par un Elton John alors débutant.
Ces démos n’auront aucune suite. Elles procurent l’impression bizarre des traductions simultanées où la voix trop criarde de l’interprète couvre l’originale et la déforme.
Le départ de Boyd ajoute encore à sa déprime. En été 1971, pour l’aider à se sortir de cette mauvaise passe, le président d’Island, Chris Blackwell met à sa disposition la villa qu’il possède sur la côte espagnole, près de Gibraltar.
Nick Drake a-t-il encore la force et l’envie d’adresser sa musique à quiconque ? Sur la pochette de Bryter Layter, il posait assis sur une chaise, les pieds à côté de ses pompes.
Avec Pink Moon, il se désincarne en bluesman. Mais ne vise plus l’aisance détachée d’un Mose Allison. Réduit l’équipage à sa seule guitare et quelques miettes de piano. La palette sonore aux nuances de gris. En deux séances nocturnes, il n’aura pour compagnie que l’ingénieur du son John Wood.
Tout s’est fait rapidement. A la fin de la 1ère session, je lui ai demandé ce que je devais garder, et il m’a dit tout. Il est revenu pour une autre soirée et c’était tout. Nick était inflexible sur ce qu’il voulait, un album dépouillé et austère, enregistré spontanément.
John Wood
Les chansons glacent le sang, peu d’accords répétés font une ambiance lunaire. On pense à Robert Johnson chassant les démons, capté dans une chambre d’hôtel trente-trois ans plus tôt. Il y pensait aussi.
Les éléments baroques des mélodies de Drake, ses pincements de guitare complexes, et son open tuning créent des carillons descendants sur Parasite et une pléthore d’accords colorés sur Pink Moon (la seule chanson remixée de l’album).
Les éléments pastoraux de Place to be reflètent la présence de la nature, courante dans l’œuvre de Drake, tandis que Ride offre des changements d’accords d’une rapidité étonnante. La maestria de Drake à la guitare est intacte, mais les chansons austères qu’elle accompagne s’avèrent sombres et perturbantes.
Onze titres, sobrement accompagnés à la guitare et au piano, sont enregistrés. Après avoir remis les bandes à son label, Nick Drake exige qu’elles soient éditées sans autres arrangements.
L’album sort début 1972. C’est le préféré de certains, question d’humeur, c’est aussi celui qui tire le rideau. Nick est entré dans ce que Robert Kirby appelle sa « phase Howard Hughes ». Vêtements et cheveux sales, ongles longs. L’élégance aristocratique s’est voûtée, recroquevillée. La peau paraît translucide. Il consulte un psychiatre et retourne à Far Leys, la maison familiale.
Découragé par ce nouvel échec commercial, il se prend à douter de ses qualités d’auteur et de musicien. Il décide de mettre un terme à sa carrière et s’enfonce dans un état dépressif. Les deux années qui suivront conduiront lentement Nick Drake vers la mort, puis vers une gloire posthume.
Sources : https://faroutmagazine.co.uk – www.discogs.com – www.rollingstone.com – www.telerama.fr – www.udiscovermusic.com
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CRÉDITS :
Enregistré en octobre 1971 au Sound Techniques – Londres – Island records
- Nick Drake : voix, guitare folk, piano (sur « Pink Moon »)
- John Wood : ingénieur du son
- Joe Boyd : producteur
- Michael Trevithick : pochette