En 1986, après la sortie de Parade et la mise en boîte de sa fantaisie hollywoodienne, Under the Cherry Moon, on ne le tient plus. Il se fait construire un palais – Paisley Park – dans les environs de Minneapolis, organise une ronde incessante de musiciens autour de lui, enregistre jour et nuit, descend en ville pour donner des concerts impromptus dans son propre night-club et laisse courir les rumeurs les plus folles sur sa vie privée. Il ne se livre plus au jeu de l’interview depuis des années et personne ne sait ce qui se trame dans les studios où il vit reclus en roitelet libertin et autoritaire.
Avant la sortie de Prince Sign O the times, le 31 mars 1987, un an très exactement après Parade, il travaille sur trois albums de front, Dream Factory, Camille, Crystall Ball, qu’il ne publiera pas et qui vont devenir légendaires. Les fans endurcis en traquent les chansons depuis des décennies. Tous sont, semble-t-il, achevés. Dream Factory a même une pochette onirique dessinée par la petite amie du moment, Susannah Melvoin. Des critiques l’ont entendu, ou jurent l’avoir entendu, déclarent que Prince n’a jamais fait mieux… La star n’en finit plus de changer d’avis. Il pousse enfin les portes de Warner avec un autre disque sous le bras, un triple album dont le label obtiendra qu’il le condense en quatre faces : Sign o’ the Times, ultime chef-d’œuvre.
Prince Sign O the times
En 1986, l’album Parade est porté par Kiss, infernal hit ultra minimaliste qui plafonne au sommet des charts. Le nom de Rogers Nelson conserve une fois encore le haut de l’affiche et la famille princière tourne à travers le monde. Une famille pourtant en crise lorsque Prince dissout son groupe The Revolution pour s’enfermer dans son studio de Paisley Park afin de concocter en solitaire sa neuvième prophétie qui sort en avril 1987 : Sign ‘O’ The Times.
Les fidèles amazones – Wendy à la guitare, Lisa au sitar et à la flûte et Sheila E aux percussions – sont les uniques invitées de sa nouvelle féerie blindée d’excès en tous genres. Son funk se minimalise grandement pour atteindre un concentré efficace (The Ballad of Dorothy Parker, Sign ‘O’ The Times, Starfish and Coffee) et opte rarement pour la soul d’antan (Slow Love).
Le cerveau de Prince est plus que jamais en fusion et les idées se ramassent à la pelle à l’image de The Cross, hallucination sly stonienne aux saveurs arabisantes. Soul, funk, jazz, rhythm’n’blues, rock, pop, Sign ‘O’ The Times dynamite en fait toutes les frontières stylistiques.
Sign O’ The Times commence comme le ferait un grand livre, en plantant le décor. « En France, un homme maigre est mort d’une grande maladie avec un petit nom. »
En 1987, lorsque le chef-d’œuvre de Prince sort, il ne faut pas révéler qu’il parle du sida. La chanson mentionne également le crack et les bombes nucléaires – peignant les années 80 comme si l’Apocalypse étaient arrivée et que personne ne s’en était rendu compte. Le discours politique direct rappelle « What’s Going On » de Marvin Gaye, mais là où Gaye plaidait pour le changement, Prince est en deuil et accepte tristement.
Utilisant une boîte à rythmes Linn LM-1 et un synthétiseur Fairlight, la technologie d’enregistrement de l’époque, Prince joue de tous les instruments.
Ce n’est qu’avec « Play in the Sunshine » qu’il retrouve un peu d’optimisme. Si 1999 a montré le potentiel funk de Prince et que Purple Rain a fait de lui une rock star, alors Sign ‘O’ the Times est son album le plus soul, avec des ballades (« Forever in My Life »), des mid tempos (« I Could Never Take the Place of Your Man ») et des véritable hymnes dance (« Housequake »).
Loin de faire démonstration de ses talents de guitariste, il laisse la part belle à la basse, si intelligemment discrète qu’elle fait sans peine groover jusqu’aux oreilles les plus récalcitrantes.
Sur « If I Was Your Girlfriend », Prince réfléchit à voix haute : « Est-ce que tu courrais vers moi si quelqu’un te faisait du mal, même si ce quelqu’un était moi ? – mais, en véritable philosophe de l’amour, il ne trouve jamais la réponse et laisse la question à la discrétion de ses fans.
Les deux disques sont remplis de chansons chargées en sous-entendus (« Slow Love », « Hot Thing »), mais elles sont compensées par les ballades grandioses sur l’amour et l’engagement.
« Adore » reste l’une des plus grandes chansons d’amour de tous les temps et continue à faire fondre les femmes avec sa promesse initiale : « Jusqu’à la fin des temps, je serai là pour toi« . Même dans un monde si désespéré, semble dire Prince, l’amour peut tout conquérir.
Quand à la gargantuesque édition Super Deluxe qui sort à l’automne 2020, elle propose déjà l’album d’origine remastérisé par le grand spécialiste Bernie Grundman. Côté bonus, les inévitables versions edit des singles et leurs faces B, versions maxi et même dub, sont toutes là.
Clou du spectacle, 63 pistes inédites regroupées sous la bannière Vault Tracks. Surtout, 45 prises studios jamais entendues ! Pas vraiment des rogatons puisqu’à l’origine, Prince envisageait un Sign O the Times de 22 chansons, ce que refusera Warner Bros qui ne lui accordera qu’un double album…
Dans cette marmite, des bribes de ses projets avortés The Dream Factory, Camille, Crystal Ball et The Dawn, des compositions écrites pour Miles Davis, Sheila E., Joni Mitchell ou Bonnie Raitt, et tout un tas d’autres raretés comme Can I Play With U? avec Miles Davis.
Bref, un nombre improbable de pièces pour tenter de finir le puzzle Prince. Encore faim ? Cette réédition comprend aussi un live époustouflant enregistré à Utrecht le 20 juin 1987.
Source : www.rollingstone.fr – www.telerama.fr – https://next.liberation.fr – www.Qobuz.fr – www.lemonde.fr
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CREDITS :
Enregistré entre mars 1986 et janvier 1987 aux Paisley Park Records (Minneapolis (MN)) et Sunset Sound Recorders (Los Angeles (CA)) – Warner Bros. Records, Paisley Park Records
- Prince : chants, instruments, production, arrangements.
- Atlanta Bliss : trompette.
- Lisa Coleman : chœurs sur Slow Love, sitar et flûte traversière sur Strange Relationship.
- Sheila E. : batterie et percussions sur U Got the Look, batterie sur It’s Gonna Be a Beautiful Night.
- Sheena Easton : chants sur U Got the Look.
- Clare Fischer : arrangement de cordes sur Slow Love.
- Eric Leeds : saxophone.
- Wendy Melvoin : guitare et chœurs sur Slow Love, tambourin et conga sur Strange Relationship.
- Jill Jones : chants sur It’s Gonna Be a Beautiful Night.
- The Revolution : Prestation sur It’s Gonna Be a Beautiful Night.
- Miko Weaver : guitare solo sur It’s Gonna Be a Beautiful Night.
Bonjour. Cat Glover n’est pas mentionnée, c’est dommage, d’autant qu’elle est très présente lors de ce concert.
Très cordialement,