Fruit des étapes successives qui jalonnent la musique populaire jamaïcaine (mento, ska, rocksteady), le reggae apparaît à Kingston à la fin des années 1960. Si des vestiges du colonialisme sont toujours présents (parcs, élégantes bâtisses anglaises, etc.), la ville compte plusieurs ghettos dont le plus célèbre est Trenchtown. Le quotidien de la cité est notoirement violent. La musique y est omniprésente.
Durant l’après-guerre, Kingston se calque sur la production qui afflue des États-Unis. Elle est majoritairement diffusée par les sound Systems, ces discomobiles qui chaque week-end diffusent les nouveautés musicales. Lorsque le son prisé par la population se raréfie, certains propriétaires de sound Systems montent des studios, embauchent des musiciens et leur font enregistrer les standards américains du moment au goût jamaïcain, du Reggae avant l’heure.
Un style musical national se développe alors à la fin des années 1950 : le ska (carambolage du mento local, du jazz, du calypso et du merengue), suivi du rocksteady (mutation du ska, rythme à quatre temps, en tempo binaire, plus lent, avec ajout de claviers et de chant).
L’apparition du reggae insuffle à la musique deux éléments originaux : un retour artistique vers les racines africaines (parfois l’emploi de tambours « burru » ou « nyabinghi », littéralement « mort aux oppresseurs ») et l’apparition du thème « rasta » surgie en Jamaïque suite à l’accession d’Hailé Selassié au trône d’Ethiopie en novembre 1930, le rastafarisme est à la fois un mode de vie, un syncrétisme religieux, une bannière contestataire et une philosophie, il prône le retour vers l’Afrique Mère, et reprend une prophétie prêtée au panafricaniste.
Marcus Garvey : « Tournez vos yeux vers l’Afrique où un empereur noir sera couronné. » Plus de quarante ans après l’explosion du reggae en Occident, cette « liturgie » est toujours reprise par les principaux artistes jamaïcains. Parfois jusqu’à la caricature.
Les querelles se poursuivent toujours autour du créateur originel du terme reggae. Les Maytals – formation menée par Frederick « Toots » Hibbert – sont les premiers à l’utiliser dans la chanson Do the reggay en 1968. Après s’être imposé avec un tempo rapide, le reggae ralentit sa rythmique et la ligne de basse se fait plus hypnotique.
À la fin des années 1960, s’ouvre une période dorée, d’une extraordinaire richesse artistique. Aux avant-postes : Lee Perry, producteur, chanteur et figure haute en couleurs qui, après avoir usé ses talents dans le studio du producteur Joe Gibbs, lance sa carrière solo et recueille un important succès en Angleterre lors de la publication du titre Retum of Django sur son label Upsetter (littéralement « emmerdeur »).
Fondateur du studio Black Ark, il produit – entre deux crises de mysticisme aigu – Max Romeo, The Congos ou The Wailers, alors en rupture de ban avec Studio 1, le « Motown jamaïcain », dirigé par Clément « Coxsone » Dodd.
C’est sous la houlette de Coxsone, homme d’affaires doublé d’un fin connaisseur du jazz américain, que la plupart des chanteurs de l’île enregistrent leurs classiques : Ken Boothe, Freddy McGregor, Burning Spear ou Horace Andy. Mais c’est aussi dans son studio que se créent les différents tempos – sinon les inventions – qui jalonnent l’histoire du reggae.
Les styles « one drop » (reggae « traditionnel ») et « rockers » (développé par le batteur Sly Dunbar et caractérisé par des coups de charleston vifs et saccadés) s’y développent tandis qu’une vague de chanteurs inspirées par la soul music américaine s’imposent : Dennis Brown, Delroy Wilson ou Gregory Isaac.
Lorsque Bob Marley & The Wailers enregistrent leur premier album pour la compagnie britannique Island en 1972, le reggae jamaïcain devient un phénomène mondial.
Durant les années 1980, Kingston radicalise sa musique sous l’influence du « reggae digitale » initié entre autres par le producteur Prince Jammy. Les textes deviennent plus explicites.
Par le biais d’un jeu d’écho avec le rap américain, le durcissement des conditions de vie du ghetto et la fascination pour l’imagerie gangster (ou « rude boy », incarnée par le film The Harder They Come avec Jimmy Cliff) entretenus par la société jamaïcaine, le style ragga s’impose à Kingston à travers notamment Shabba Ranks.
Comme dans le hip-hop, la mélodie est remisée au second plan et l’efficacité rythmique privilégiée. Une nouvelle génération d’artistes apparaît à la fin des années 1990 dans une scène protéiforme baptisée « dancehall » : Sean Paul, Beenie Man, Richie Spice, Bounty Killer ou Shaggy. Genre aux contours mal définis, le « dancehall » emprunte indifféremment ses influences à (la soca, au hip-hop, au r’n’b, au reggae ou à l’électro.
Ses déclinaisons varient d’une musique encore attachée à la mélodie et aux racines reggae (Luciano), à un squelette rythmique privilégiant l’efficacité (Eléphant Man). Issus de la secte intégriste Bobo Ashanti, Capleton et Sizzla réimposent les thèmes rastas : retour à l’Afrique et mise en valeur de son histoire, l’Empereur Hailé Sélassié évoqué comme figure sacrée et la liturgie biblique librement utilisée afin de dénoncer la société païenne (« Babylone »).