A la sortie de son album Comes A Time, Neil Young est en plein désarroi. La vague punk vient de surgir emportant tout sur son passage. Fasciné par cette nouvelle émergence musicale, le Loner se doit de répliquer. Le canadien commence alors une tournée revigorante, placée sous les auspices d’un renouveau artistique que personne n’attendait de la part de Neil Young.
Fin 1978, proposant un show complexe et très élaboré, l’homme fait salle comble tous les soirs. Les concerts commencent par un set acoustique, où Young fait face seul à son public, uniquement armé de sa guitare et de son harmonica, revisitant ses grands classiques, datant parfois du Buffalo Springfield. Après une entracte, le Loner revient, cette fois accompagné de ses fidèles accompagnateurs du Crazy Horse. Le concert électrique peut alors commencer, marqué par un son âpre, rugueux, aigre.
Rust Never Sleeps
Le Loner sent bien, à l’issue de ces mémorables concerts, que l’alchimie entre lui, son groupe et le public a quelque chose de surnaturel, et qu’il faut absolument en tirer quelque chose. C’est ainsi qu’on enregistra quelques shows de la tournée, dans le but de produire des albums live ; un de ces concerts, au Cow Palace de San Francisco, est même filmé.
L’année suivante parait l’album Rust Never Sleeps, étrangement divisé lui aussi en une face acoustique et une face électrique. L’auditeur attentif remarque une singulière profondeur dans l’enregistrement, comme si les bandes avaient été captées dans un espace immense…
C’est là, avec stupéfaction, que l’on comprend que cet album a été enregistré en public, durant la tournée susmentionnée, mais qu’il a été ensuite trituré pour le faire passer pour un disque studio. Alors que de nombreux albums enregistrés dans l’atmosphère froide et exigeante des studios ont été modifiés honteusement pour paraître captés en public, Rust Never Sleeps préfère emprunter la voie inverse. Le public a été effacé, quelques overdubs ont été rajoutés pour rendre le son un peu moins rêche.
Passé ces considérations historiographiques, il faut se concentrer sur la qualité des chansons. On ne peut que se rendre compte d’une chose : ce disque est un sommet incontestable de Neil Young, pouvant rivaliser, voire dépasser les mythiques After The Goldrush et On The Beach. On se demande comment un homme ayant déjà composé tant de superbes chansons, portant sur ses seules épaules l’entièreté de sa démarche artistique, possède encore assez de talent pour sortir un disque pareil.
L’album s’ouvre et s’achève par des variations sur My my, Hey hey, chanson sur la nature éphémère de la célébrité. Parmi les grands moments acoustiques, Pocahontas inspiré du refus de son oscar par Marlon Brando, récompensé pour son rôle dans Le Parrain (en protestation contre le traitement par Hollywood des indiens d’amérique).
Trasher est un commentaire à peine voilé de la relation de Young avec Crosby, Stills et Nash. Les quatre morceaux électriques déchaînés enregistrés en live, démarrent avec Powderfinger, une histoire style westem, et s’achève sur une deuxième explosion avec la chanson thème de l’album, Hey hey, my my (into the black).
Alors que Young était en risque de devenir obsolète, il montra à ses contemporains que son talent était sans limite, ainsi que son orgueil. Il allait bientôt se perdre dans les funestes années 1980. Mais en 1979, avec Rust Never Sleeps, il livra l’un de ses manifestes les plus aboutis, un chef-d’œuvre alliant country-folk et hard rock. Les témoignages de sa tournée de 1978 n’étaient pas encore épuisés : un film éponyme sortit la même année, ainsi qu’un double album, ouvertement live celui-ci.
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Neil Young, parrain du grunge : Cette expression peut prêter à confusion. On peut en effet se demander comment Young, apôtre d’un country-rock délicat, raffiné et mélancolique, a pu influencer ce croisement entre hard rock et punk. La réponse se trouve en quatre mots : « Hey Hey My My ». Avec cette chanson, ainsi que par son pendant acoustique, « My My Hey Hey », ouvrant l’album, le Loner a produit un jalon essentiel du post-punk. Alliant un riff monolithique, des guitares ravageuses, des soli épileptiques, une mélodie séduisante ainsi que des paroles éclatantes, ce titre reste comme l’un des meilleurs de la longue carrière de Neil Young. Rust Never Sleeps eut, sur la foi de ce morceau, une influence déterminante sur la vague grunge, au même titre que le hardcore. Kurt Cobain su s’en souvenir lors de ses derniers instants, lorsqu’il cita deux vers de « My My Hey Hey » dans sa lettre de suicide : « It’s better to burn out, than to fade away »…
Hommages et autres : Les morceaux « My My, Hey Hey (Out Of The Blue) » et « Hey Hey, My My (Into The Black), » sont dédiés au chien enragé des Sex Pistols, Johnny Rotten. Les titres « Sedan Delivery », « Powderfinger, » et « Sail Away, » furent quand à eux offerts au groupe Lynyrd Skynyrd.
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CREDITS :
Enregistré entre août 1976 – 1978 au Indigo Recording Studio (Malibu); Triad Recording, Ft. Lauderdale, FL; Broken Arrow Studio (Redwood City); Boarding House (San Francisco) ; Cow Palace (San Francisco) ; et au Woodland Sound Studios (Nashville) – Reprise Records
Neil Young : guitare, harmonica, voix – Frank « Pancho » Sampedro : guitare, voix hormis sur « Sail Away » – Billy Talbot : basse, voix hormis sur « Sail Away » – Ralph Molina : batterie, voix hormis sur « Sail Away » – Nicolette Larson : voix sur « Sail Away » – Karl T. Himmel : batterie sur « Sail Away » – Joe Osborn : basse sur « Sail Away » – Neil Young, David Briggs et Tim Mulligan : producteurs – Interprété par Neil Young, Nicolette Larson, Joe Osborne, Carl Himmel (Pistes 1 à 5) – Interprété par Neil Young & Crazy Horse (Pistes 6 à 9)