Rarement images et musique auront été autant connectées que dans ce film sorti sur les écrans en 1984. Narrant l’errance de Travis Henderson entre la Californie et un Texas sublimé, Paris Texas sidère le spectateur à la fois par son esthétique, sa photographie et sa musique. La guitare slide de Ry Cooder favorise ce sentiment d’abandon et les longs travellings à travers les chemins d’une mémoire meurtrie.
Dans le désert Mojave, écrasé de soleil, un homme en costard et casquette rouge marche seul, hagard, mais d’un pas décidé. Cow-boy sans monture dans un décor mythique. Un long travelling, une caméra caressant les ocres, les jaunes et les rouges des canyons, des pleins et des creux de l’Ouest américain, un aigle majestueux qui se pose sur un pic. D’abord, en silence, et puis, cette musique : deux accords de guitares, minimalistes, une corde un peu plus tenue, une note vibrante, à la fois simple et contenant tout.
Ry Cooder Paris Texas
Seul Ry Cooder est capable d’habiller les sublimes premiers plans de Paris, Texas. D’ailleurs, Wim Wenders ne veut pas d’autre compositeur. Il n’avait pas pu l’avoir pour Hammett (1982).
Membre des Rising Sons au côté de Taj Mahal puis de Captain Beefheart & the Magic Band, le guitariste Ry Cooder a déjà collaboré avec The Rolling Stones (Jamming with Edward et Performance) et enregistré un premier album de blues paru en 1970.
Passionné par les racines musicales américaines, dont il multiplie les échantillons à chaque album (blues, country, folk, jazz et influences latines), il a alterné sa propre production avec des commandes de bandes originales pour les films The Long Riders (1980), Blue Collar (1982), et Paris, Texas (1984).
Pour Paris Texas, Wim Wenders voit grand. Ou en tout cas, comme il l’entend, et il aurait et Ry Cooder, et Sam Shepard. L’idée est de sortir d’un « paysage étriqué », probablement toute l’histoire de la filmographie de Wenders.
Après avoir complété un premier montage de Paris Texas, le cinéaste Wim Wenders projette au guitariste une scène montée au son de « Dark Was The Night, Cold Was the Ground » de Blind Willie Johnson, un instrumental que Ry Cooder a déjà repris dans la bande originale de Performance sous le titre « Powis Square ».
Séduit par le résultat, Ry Cooder s’enferme en studio avec David Lindley (banjo, mandoline) et le pianiste Jim Dickinson, et compose son score en visionnant les images du film sur un écran géant, à la manière de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud.
Sa maîtrise du slide — technique qui l’a déjà rendu célèbre notamment auprès des Rolling Stones (Let it Bleed, Sticky Fingers), prend une autre dimension dans Paris Texas, où son instrument, seul ou en trio, chavire, pleure et console les êtres.
Très jeune, j’avais des amis collectionneurs de disques de blues – dont le facteur de mon quartier qui m’emmenait en tournée dans son camion. Il me parlait des disques qu’il aimait, me les prêtait. C’est là que j’ai entendu ce son différent de « slide guitar », une façon de glisser sur les cordes. Je suis allé voir un connaisseur de blues de Venice, qui avait fait du porte-à-porte dans les campagnes du Sud où vivent les Noirs, à qui il rachetait leurs 78-tours. Il m’a expliqué comment découper le goulot d’une bouteille de whisky et y passer un doigt pour glisser sur les cordes. Une technique qui vient d’Hawaï et a été adoptée au début du XXe siècle par les hillbillies et les Noirs.
Ry Cooder
La dimension mythique de cette partition repose moins sur son écriture, assez sommaire, que sur son interprétation. Le musicien choisit une guitare à résonateur, de la marque Dobro, proposant des effets d’échos que l’on retrouve dans le blues, style qu’affectionne Cooder.
Ry est un perfectionniste, un tâtillon, un fignoleur, un obsessionnel ; en studio il entend des choses que personne d’autre ne perçoit et il rend fou les ingé-son. Ses guitares sont de bizarres assemblages d’instruments vintage qu’il fait démonter pour en récupérer des pièces. Obsédé par le son, il sait qu’il y en a qu’il ne pourra jamais reproduire : la vibration d’une pièce. Il rêve de recréer celle de la chambre d’hôtel de San Antonio où Robert Johnson enregistra ses chansons.
« Paris, Texas », « Brothers » et « Nothing Out There » ouvrent l’album comme un mélange méditatif de twang de guitare et d’effets d’ambiance. Deux accords de guitares, minimalistes, une corde un peu plus tenue, une note vibrante. Un motif sur lequel Cooder revient tout au long de la partition.
La « Cancion Mixteca » comprend un passage mémorable de Harry Dean Stanton, chantant en espagnol alors que « No Safety Zone » est totalement ambiant avec un jeu de guitare expérimental fugace.
Cette musique sait aussi ménager les silences, entreprend des pauses pour revenir hanter le récit, comme un personnage spectral, permettant de penser que le héros n’est que l’ombre de lui-même.
« I Knew These People » commence par un long monologue tiré du film avant que la guitare sombre de Cooder ne s’immisce. L’effet du dialogue fait de ce morceau une belle déclaration artistique, mais le moment fonctionne mieux dans le contexte du film que comme un morceau d’un album. Le dialogue provient d’une scène où les personnages joués par Stanton et Nastassja Kinski ont une rencontre particulièrement émouvante.
J’ai toujours aimé les enregistrements de voix. Ils avaient perdu de leur popularité au moment où ce film est sorti, personne ne se préoccupait des voix, qu’il s’agisse de poèmes de Ferlinghetti ou d’un mélo radiophonique.
Ry Cooder
Suggestive à la fois de l’imagerie du film de Wim Wenders et du désert lui-même, la partition de Ry Cooder est un voyage paisible et poétique dans l’âme d’une guitare acoustique. Elle se déploie dans la durée et magnifie les paysages texans désertiques. Pas loin d’un western contemplatif et intime.
Sources : www.qobuz.com – www.uncut.co.uk – www.vice.com – www.cinezik.org – www.rollingstone.fr – www.telerama.fr
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CREDITS :
Enregistré en 1984 à l’Ocean Way Recording – Hollywood, CA – Warner Bros. Records Inc.
- Composed By, Conductor – Ry Cooder
- Design – Karl June
- Engineer – Judy Clapp, Tony Chiappa
- Performer – David Lindley, Jim Dickinson, Ry Cooder
- Producer – Ry Cooder
- Recorded By – Allen Sides, Mark Ettel
- Remastered By [Digital] – Bruno Gruel
- Remix – Mark Ettel
– Canción Mixteca : Arranged By – Ry Cooder – Vocals – Harry Dean Stanton – Written-By – Traditional
– She’s Leaving The Bank : Written-By – Jim Dickinson
– I Knew These People : Performer – Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski
– Dark Was The Night : Arranged By – Ry Cooder – Written-By Blind Willie Johnson
Très bel article ! Fascinant ce film et sa B.O . Petit détail Il me semble que Ry Cooder n’a quasiment jamais joué sur une guitare à résonateur que ce soit un Dobro ou une National. Le son obtenu l’a plutôt été sur une guitare folk à cordes acier que Ry Cooder a joué très longtemps pour ce film en particulier il aurait utilisé une guitare Harmony Sovereign
https://www.fretboardjournal.com/features/behind-scenes-ry-cooder-photo-outtakes/