En 1968, le Pacha, polar sec et fracassant de Georges Lautner, consolide la relation Jean Gabin / Serge Gainsbourg. Gainsbourg et son complice Michel Colombier troussent un historique « Requiem pour un con », à l’accompagnement exclusivement rythmique, pleinement raccord avec le reste de la partition, entre jerks, batacudas et reprises instrumentales du fameux Requiem.
Et si le grand talent de Gainsbourg était d’avoir su s’entourer ? Musicien autodidacte, pas très à l’aise avec les croches et les partoches, le grand Serge avait en revanche un goût très sûr, tant dans la direction musicale que dans le choix de ses collaborateurs.
Évidente dans ses chansons, la contribution des orchestrateurs et des arrangeurs s’est révélée essentielle dans ses musiques de films. Architecte, Gainsbourg jetait les plans, imaginait la trame mélodique, les thèmes principaux et laissait ses fidèles lieutenants s’occuper du reste. Pas son truc, la sueur et le point de croix…
Serge Gainsbourg Requiem pour un con
De 1964 à 1968, c’est Michel Colombier qui va officier au coté du vampire aux oreilles décollées. De Harley Davidson (aux arrangements et au piano) à Elisa, Bonnie and Clyde, Je t’aime moi non plus ou sous le soleil exactement (B.O. du film Anna), Colombier est là pour donner l’ampleur nécessaire aux coups de crayon de Gainsbourg.
Point d’orgue d’une collaboration pas faite pour durer : la B.O. du Pacha, où Colombier imagine, enfin presque, ce qui fera tout le sel du Requiem pour un con ; à savoir cette partie de percussions minimaliste qui annonce autant le début du rap que la mort des années 60.
Pour la musique, c’est Gabin qui m’a évoqué le nom de Gainsbourg. Ils étaient assez copains depuis Le Jardinier d’Argenteuil de Le Chanois, tourné deux ans plus tôt. Moi, Serge, je le connaissais à peine : on s’était vaguement croisé dans les fêtes d’Eddie Barclay… J’étais ravi qu’il accepte de collaborer au Pacha, en signant la partition avec son compère Michel Colombier.
Georges Lautner
De son côté, le réalisateur Georges Lautner a déjà demandé au batteur Jacky Rault de bosser sur un leitmotiv à la batterie qui doit revenir à chaque coup de feu dans son film. Le batteur enregistre un gimmick à la caisse claire qu’il joue au début de ses concerts (piqué au batteur de Coltrane).
L’enregistrement finit entre les mains de Gainsbourg et constitue le point de départ de Requiem pour un con. Pour le titre principal ce cette BO, Colombier et Gainsbourg reprennent le motif rythmique de Rault mais réenregistré.
Grâce à la magie du multipiste ils ajoutent un temps en l’air à la tumba et peuvent encore superposer plusieurs couches à la prise initiale de caisse claire, basse et bongo. Un écho, voulu par l’ingé son Francis Miannay, une batterie frappée lentement par Pierre-Alain Dahan et une interprétation de Gainsbourg à nue, inspirée par le dernier mouvement de la Symphonie du nouveau monde de Dvorak, mais sans tapis harmonique. Pour la pop de l’époque, c’est vraiment pas commun.
Pour le texte, Gainsbourg s’inspire du scénario du Pacha. Sa chanson accompagne d’abord les funérailles d’un flic puis la scène où on voit Gainsbourg enregistrer le morceau en fumant ses clopes avec la scansion qu’on lui connaît.
La bande originale de Gainsbourg et Colombier ne comporte que quatre morceaux : le « Requiem pour un con » – dont « Joss à la Calavados » et « Cadavres en série » sont des arrangements –, la « Batucada meurtrière », « Psychasténie » et un extrait d’« Un Noël 67 ».
Quand Gainsbourg travaille pour un film, la chanson n’est jamais loin. Avec Le Pacha, il n’est nullement question d’utiliser le cinéma comme un laboratoire expérimental ou de recycler certains thèmes.
En revanche, le « Requiem » et « Psychasténie » nous renvoient, chacun à sa manière, à une période créatrice bien particulière, celle de Brigitte Bardot, avec laquelle il vit une liaison passionnée.
On notera ainsi que la mélodie du « Requiem » emprunte au thème du quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie « Du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák, quand « Initials B.B. », qui sort en juin 1968, s’inspire du premier mouvement.
La parenté thématique est plus immédiate avec l’orgue de « Cadavres en série » qu’avec la ligne vocale, plus libre.
De même, le sitar de « Psychasténie » renvoie à la chanson psychédélique « Contact », mais aussi et surtout à « Harley Davidson », qui figure sur la bande originale du film.
Avec « Psychasténie », Lautner capte beatniks et hippies – la boîte de nuit s’appelle d’ailleurs Les Hippies – au son d’un jerk psychédélique.
Un peu plus loin, dans la séquence où la bande d’Émile le Génois prépare un vol à main armée, il dissémine quelques images symboliques du Summer of Love et de la révolution sexuelle, jusqu’à l’affiche de Brigitte Bardot, véritable icône de l’époque.
Sensuelle en elle-même, la photographie du sex-symbol chevauchant une Harley-Davidson, issue de la même séance que celle utilisée pour la pochette du single, est en outre susceptible de convoquer les paroles les plus érotiques de la chanson.
Requiem pour un con sera interdit de passage télé et radio, on ne chante pas de gros mots sous de Gaulle. Mais la chanson devient, comme le reste de la musique du film, instrumentale et psychédélique, une référence intouchable.
Sources : www.cinezik.org – https://musee.sacem.fr – www.radiofrance.fr – www.telerama.fr – https://gonzai.com – www.erudit.org – www.grrif.ch – www.disclogs.com – Notes de la collection écoutez le cinéma
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CREDITS :
Enregistré le 11 novembre 1967 au studio Davout – Paris –
- Arrangements – Michel Colombier
- Batterie – André Arpino
- Basse – Francis Darizcuren
- Guitare – Raymond Gimenes
- Guitare, Sitar – Jean-Claude Oliver
- Claviers – Michel Colombier
- Percussion – André Arpino
- Voix – Serge Gainsbourg
- Compositions – Michel Colombier, Serge Gainsbourg, William Klein (pistes : B4, B5)
- Ingénieur du son – Francis Miannay