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Sorti en 1973, Vu de l’extérieur est à tous égards un album de transition. La vie est transitoire, Gainsbourg le sait, lui qui, quelques jours après l’enregistrement, a une crise cardiaque. Esthétiquement, cet album l’est tout autant coincé entre L’Histoire de Melody Nelson et Rock Around the Bunker, il semble hésiter entre sexe et sentiment, humour grinçant et désabusement.

Après avoir réalisé l’un des premiers albums concepts français, peut-être lui fallait-il faire une pause, prendre quelques poses, et réfléchir à la suite. C’est, en somme, un album qui fuit de toutes parts (Sensuelle et sans suite), qui tire paradoxalement sa cohérence de ses incohérences (une fuite en avant, donc une liberté absolue de ton), alignant les jeux de mots, les mots-valises, les homophonies et les homonymies comme autant de trophées.


Serge Gainsbourg Vu de l’extérieur

En mars 1973, Serge met en boîte à Londres les parties instrumentales de ce qui va devenir l’album « Vu de l’extérieur ».
Là encore, comme sur Histoire de Melody Nelson, la consultation des feuilles de séances ne laisse pas d’intriguer.

On y repère des chansons écartées (« Tout mou tout doux », « Les papiers qui collent aux bonbons ») et d’autres dont les titres ont évolué entre le début et la fin des séances (« Dans les nuages et la musique » devenu « Pamela Popo », « Lorsque tout est foutu » devenu « Sensuelle et sans suite » et « Comme un diamant » devenu « Panpan cucul »).

Le 5 mai, Serge fait le mariolle au gala annuel de l’Union des artistes, retransmis à la télé : déguisé en bagnard, il exécute un numéro d’équilibriste. Du 7 au 11 mai, puis le 14, il attaque l’enregistrement des lyrics de « Vu de l‘extérieur ».

Vu de l'extérieur
Serge Gainsbourg Vu de l’extérieur

Sur « Je suis venu te dire que je m’en vais », Serge nous offre une relecture du célèbre poème de Verlaine «Chanson d’automne» dont voici l’original, tiré des Poèmes saturniens (1866). Serge découpe, réarrange, fait avec les mêmes pièces un puzzle différent et crée le classique que l’on connaît.

« Tout le monde pensait que « Je suis venu te dire que je m’en vais » signifiait qu’il allait larguer Jane, alors que ce n’était pas du tout son intention. Dans son esprit, ça voulait dire : « Je vais mourir et je dois préparer Jane a ma disparition. » (Jean d’Hugues)

Serge est heureux en ménage, et même s’il flippe depuis son accident, son inspiration est légère et humoristique. Il aligne les chansons sans autre prétention que celle de faire sourire, telle « Panpan cucul »

« Pour le morceau “Vu de l’extérieur”, je voulais être destroy sur la chanson d’amour, mais en filigrane on comprend que la petite, je l’aime… je n’ose pas le dire parce que je suis un garçon extrêmement décent. En fait, je suis indécent par ma décence… » (Serge Gainsbourg)

Vu de l'extérieur
Serge Gainsbourg Vu de l’extérieur

« Prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont. » De cet aphorisme il fait son leitmotiv, alors que l’on croise des personnages que l’on croirait sortis d’une bande dessinée : la princesse inca de « Titicaca », la strip-teaseuse black « Pamela Popo », « L’hippopodame », douce comme un marshmallow, avec son gigolo. Dans « Sensuelle et sans suite », il joue avec les onomatopées comme au temps de Comic Strip.

Deux ans et demi après Histoire de Melody Nelson, il n’est pas question cette fois de concept-album mais d’un thème récurrent, celui du postérieur et de ce qui en sort, « Des vents des pets des poums »

Ceux-ci font vroom, vlan ou voum, aussi torrides que le simoun bref, il s’agit d’un hors-d’œuvre boucané en attendant le récit sordide de la vie et l’œuvre d’Evguénie Sokolov, prince pictural du prout, seul et unique roman gainsbourien, publié en 1980 mais dont il signe le contrat avec la NRF en 1974…

Serge Gainsbourg L'homme à la tête de chou
Serge Gainsbourg Vu de l’extérieur

« Par hasard et pas rasé » annonce quant à lui le thème de « Flash Forward » (sur L ‘Homme à tête de chou, 1976) et rappelle celui du « Talkie-walkie » (sur Gainsbourg Confidentiel, 1964) : à l’improviste, le narrateur découvre que sa fiancée le trompe.

« La poupée qui fait », la plus jolie chanson de cet album, est évidemment dédiée à Charlotte : C’est une poupée qui fait pipi-caca, Une petite poupée qui dit papa, Faut la rattraper par la manche

Rien, ou presque, n’est pourtant forcé. Ces dix titres doivent être simplement estimés pour leurs qualités intrinsèques, et non en regard de l’ensemble. Le piano domine : voilà ce qui les rassemble.

Pour le reste, la « pomme cuite » (Sensuelle et sans suite) grince, comme le lit de la belle hippopodame (premier mot-valise). Là où Je suis venu te dire que je m’en vais, inspirée de la Chanson d’automne des Poèmes saturniens de Verlaine, appelle la mort, La Poupée qui fait, dédiée à sa fille Charlotte, est un hymne à la vie.

Serge Gainsbourg L'homme à la tête de chou
Serge Gainsbourg Vu de l’extérieur

Entre les deux, il y a le sexe, parfois évoqué avec humour, souvent avec désabusement. Du masochisme (sans contrat) de Titicaca au dévoilement de la strip-teaseuse Pamela Popo ; de l’amour dans les tape-culs de Panpancucul à l’amour à la chaîne de Sensuelle et sans suite ; de la noirceur intérieure d’un derrière comme d’un esprit dans Vu de l’extérieur au « petit cadeau » donné par L’Hippopodame. Comme dans Sex-Shop (1972), l’amour n’est que « trahisons » si l’on ne réfrène pas son désir (Par hasard / pas rasé – jeu de mot sur « para »).

Distance envers le libertinage, comme près de quinze ans plus tôt, l’humour le sauve. En témoignent la kyrielle de synonymes plus ou moins triviaux, attestés ou inventés par les soins de Gainsbourg, pour le derrière et les sexes masculin et féminin. Le meilleur ? Peut-être « coups d’avertisseur » qui désigne à la fois l’objet et décrit sa fonction…

Sources : www.mistergainsbarre.com

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CREDITS :

Enregistré du 26 mars au 14 mai 1973 au Phonogram Studio, à Londres (voix et mixages le 17, 19 et 25 septembre 1973 au studio des Dames)

  • Paroles et Musiques – Serge Gainsbourg
  • Guitare acoustique – Alan Parker, Judd Proctor
  • Basse – Brian Odgers, Dave Richmond
  • Batterie – Dougie Wright
  • Guitare – Alan Parker
  • Claviers, Piano (électrique), Orgue – Alan Hawkshaw
  • Percussions – Chris Karan
  • Jane Birkin : sanglots sur Je suis venu te dire que je m’en vais (non créditée)

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