Le premier est la figure du renouveau de la samba et de la MPB, connu internationalement. Le second, compositeur également, quoique plus confidentiel, est son grand ami depuis 25 ans. Seu Jorge et Rogê ont traîné sur les mêmes plages, ambiancé ensemble des barbecues et vivent tous deux à Los Angeles, mais ils ne s’étaient encore jamais retrouvés en tête à tête dans un studio. Pour cette session intimiste, enregistrée directement sur bande, en quelques heures et sans traitement de son, les deux quadras n’ont rien changé à leurs habitudes, comme pour mieux renouer avec la sainte épure brésilienne du voz-violão (voix-guitare).
Seu Jorge Roge Night Dreamer est avant tout une histoire d’amitié, celle de deux musiciens cariocas qui depuis 25 ans se côtoient et collaborent ensemble sur leurs projets respectifs, sans que leur duo ne se concrétise officiellement sur un album entier. Et comme ils se connaissent bien, ils ont décidé de relever le défi d’enregistrer cet album en “direct- to-disc“, exercice périeux qui nécessite de maîtriser son art et le temps !
Seu Jorge Roge
Night Dreamer Direct To Disc Sessions
D’un côté, Seu Jorge, né Jorge Mario Da Silva, guitariste autodidacte vivant sa jeunesse dans les Favelas de Rio, fonde à la fin des années 90 le groupe Farofa Carioca qui lance sa vie de musicien professionnel. Mais c’est son projet solo, l’album Samba Esporte Fino et son tube « Carolina » dans la plus pure tradition des sambas / MPB des 70’s, qui lui permettra de se faire un nom des deux côtés de l’Atlantique.
Curieux et touche-à-tout, il poursuit sa carrière de musicien (son second album Cru sortira en 2004) mais également d’acteur, d’abord dans le film brésilien La cité de Dieu puis dans La Vie Aquatique de Wes Anderson, où il joue au côté de Bill Murray. Le brésilien y compose d’ailleurs une partie de la bande originale du film constituée de reprises de David Bowie en portugais.
Après deux décennies bien remplies donc, et malgré un relatif silence discographique (son dernier album solo “Musicas para churrasco II” date de 2015), bien occupé par sa carrière cinématographique (la série Netflix Brotherhood dont il est l’acteur principal cartonne depuis 2019), le voici donc de retour pour ce projet singulier.
De l’autre Rogê, Roger José Curry de son vrai nom, un natif d’Ipanema bien moins connu de ce côté-ci de l’Hexagone mais pourtant très prolifique aussi. Celui que l’on nomme le prince du sambalanço, ce mélange de samba et de funk, est un auteur-compositeur- interprète-musicien confirmé et a pendant longtemps été l’ambianceur musical officiel de Lapa, le quartier bohème de Rio.
S’il est inspiré par Jorge Ben et Tim Maia, il a été intronisé par un autre maître du genre : Arlindo Cruz. Sa discographie est également abondante et démarre en 2000 avec le groupe Bandevera. Il va poursuivre seul ou lors de collaborations multiples (le projet 4 Cabeça en 2009), se payant même le luxe d’une signature chez Warner Music en 2014. Son dernier album solo Nômade est sorti en 2018. Sa collaboration avec Seu Jorge est régulière et a même été fondamentale sur l’album de ce dernier, Musicas para churrasoc vol.1.
Quoi de plus normal donc qu’une telle complicité artistique et musicale soit réunie sur un album finalement ? Ce n’est donc pas un hasard si le label anglo-neérlandais Night Dreamer les a invité à venir enregistrer une session direct-to-disc dans leurs studios d’Artone à Haarlem, à l’ouest de la banlieue d’Amsterdam.
Ce jeune label né en 2019 (qui tire son nom du premier album du mythique saxophoniste Wayne Shorter enregistré chez Blue Note en 1964) a réhabilité cette vieille technique d’enregistrement direct sur acétate en équipant notamment son studio de matériel analogique. Leur première sortie a été le fait d’arme de Seun Kuti & Egypt 80, et parmi les autres trophées récents le LP d’une autre légende du jazz, Gary Bartz, en compagnie des jeunes londoniens de chez Brownswood, Maisha, montre également le sérieux du concept.
Enregistré en août 2019 en deux jours et une prise live, gravée directement sur vinyle, sans postproduction. C’est le concept et le cahier des charges pour toutes les sorties du bien nommé label Night Dreamer. Et comme souvent quand la technique sait s’effacer, c’est merveilleux.
C’est une photo sans Photoshop, juste l’authentique originale. Et à la fin de la journée, l’ensemble du projet donne une bonne image de notre amitié. L’accent est mis sur nous, nos chansons, guitares, voix… Il n’y a rien d’autre, pas d’autre instrument. C’est cru ! Nous voulons juste faire notre musique, mais l’influence de la samba est très forte pour nous deux. (Rogê)
Les deux hommes s’en donnent donc à cœur joie dans cette session acoustique à double guitare et double voix, celle ample et grave de Seu se marie à merveille avec celle plus légère et dansante de Rogê, sur des morceaux composés pour l’occasion en un mois.
Nous n’avions qu’un mois pour construire ce répertoire et Jorge était occupé au Brésil avec sa carrière d’acteur. J’ai donc commencé à bâtir le répertoire tout seul et nous nous sommes vus régulièrement pour en discuter. Deux jours avant l’enregistrement, nous nous sommes retrouvés aux Pays-Bas, avons parcouru toutes les chansons et les avons revues ensemble. (Rogê)
Ils sont également accompagnés par deux percussionnistes chevronnés : Prethino Da Serrinha et Peu Meurray qui apportent un relief rythmique à l’ensemble.
La session d’enregistrement elle-même était une grande improvisation, car nous n’avions pas eu le temps de répéter aucune des chansons, et nous avons rencontré directement les deux percussionnistes. Les chansons ont dû sortir presque immédiatement. (Rogê)
En sept titres et un peu plus de 30 minutes d’enregistrement, le duo nous propose une photographie intemporelle, un moment d’éternité comme seule l’union de la musique et des êtres humains connectés sait en proposer.
Qu’il s’agisse de l’hommage à leur pays d’origine, « Meu Brasil » (« Mon brésil », un pied nez au régime de Bolsonaro !), de l’entêtant et communicatif « Sarava » ou encore d’« Onda Carioca » et ses passages en français, on retrouve bien entendu des histoires d’amitié. Le bien nommé « Pra Você Amigo » (Pour toi mon ami), résume à lui seul la teneur de cet album.
C’est l’une des premières chansons qu’Arlindo Cruz et moi avons écrites ensemble. Cela signifie beaucoup pour moi. Cette chanson me rappelle l’époque où notre amitié a débuté, lorsque nous composions ensemble. Elle donne une image de la samba avec dimension culturelle. Dans cette chanson, nous disons : « É onde a dor não tem razão, é raça, é dança, é pé no chão », quelque chose comme « Il n’y a pas besoin de douleur, où vous êtes courageux, vous dansez ». Ce sont les véritables valeurs de la samba. Travailler avec lui a été l’un des plus grands plaisirs que j’ai connus dans ma vie. (Rogê)
Quant au morceau qui vient conclure l’ensemble, « Caminaho » il a été composé par les deux hommes (mais enregistré pour la première fois par Rogê en 2014 sur son album Bailé do brenguelé).
« Caminhão » a été composé il y a 23 ans dans la maison de Jorge à Rio. C’était notre première chanson ensemble, le début de tout… Elle a un sens particulier, une place à part dans ma carrière. Je l’ai enregistré dans mon premier album. Cette chanson est un jalon de notre amitié, c’est pourquoi nous avons décidé de l’enregistrer de nouveau. (Rogê)
Seu Jorge et Rogê semblent jouer leurs sept chansons par une nuit d’été sur une terrasse en bord de mer. Aucune pression, des guitares et quelques percussions douces, deux voix, l’une très basse et l’autre plus haute, qui s’enlacent et harmonisent, un sentiment de simplicité et d’intimité comme on en entend rarement dans un enregistrement. C’est de la musique pour célébrer une amitié, magnifique par son absence de production et d’intention commerciale.
Seu Jorge et Rogê jouent comme devaient le faire les artisans inventeurs de la samba/bossa il y a plus de soixante ans, avant que cette musique ne devienne un phénomène mondial et parfois sa propre caricature. Touché par la grâce du moment, ce disque est déjà un classique de la MPB.
Sources : https://pan-african-music.com – www.levinyleclub.com – www.fip.fr – www.qobuz.com
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CREDITS :
Enregistré les 22 et 23 août 2019 à l’Artone Studio, Haarlem, Pays-Bas – Night Dreamer Records
1/ Vem Me Salvar
Cavaquinho – Pretinho Da Serrinha
Percussion – Peu Meurray
Vocals – Seu Jorge
Vocals, Acoustic Guitar – Rogê
Written-By – Rogê, Seu Jorge
2/ Meu Brasil
Percussion – Peu Meurray, Pretinho Da Serrinha
Vocals – Seu Jorge
Vocals, Acoustic Guitar – Rogê
Written-By – Rogê, Seu Jorge
3/ A Força
Percussion – Peu Meurray, Pretinho Da Serrinha
Vocals, Acoustic Guitar – Rogê, Seu Jorge
Written-By – Rogê, Seu Jorge
4/ Saravá
Bass – João Gonçalves (3)
Cavaquinho – Pretinho Da Serrinha
Electric Guitar, Backing Vocals – Rogê
Percussion – Peu Meurray
Vocals, Acoustic Guitar – Seu Jorge
Written-By – Magary Lord, Peu Meurray
5/ Onda Carioca
Bass, Vocals – Seu Jorge
Drums, Vocals – Pretinho Da Serrinha
Keyboards, Vocals – João Gonçalves (3)
Vocals, Acoustic Guitar – Rogê
Written-By – Gabriel Moura, Rogê
6/ Pra Você Amigo
Vocals – Seu Jorge
Vocals, Acoustic Guitar – Rogê
Written-By – Rogê
7/ Caminhão
Acoustic Guitar, Vocals – Rogê, Seu Jorge
Percussion – Pretinho Da Serrinha
Written-By – Rogê, Seu Jorge
- Engineer – Martijn Schouten, Rinus Hooning
- Executive-Producer – George Camdonius, Neal Birnie
- Performer, Producer – Rogê, Seu Jorge
- Producer [Assistant] – Carolina Rheinheimer