« Il est cool, c’est un coriace. C’est un privé non, une bombe sexuelle qui les tombe toutes. Il ne reçoit d’ordre de personne, noir ou blanc, mais il est prêt à risquer sa peau pour un pote. Lui, c’est Shaft. Pigé ! » Le titre principal d’lsaac Hayes présente parfaitement le héros/rebelle/emblème afro-américain interprété par Richard Roundtree et vedette du film réalisé par Gordon Parks, Shaft (Les Nuits rouges de Harlem) sortit dans la foulée de Sweet Sweetback’s Baaclasssss Song.
Avec la bande originale d’une série B apparemment sans grand avenir, le nom d’Isaac Hayes entre dans l’histoire. Une pédale wah-wah qui racle les fonds de casserole (Charles « Skip » Pitts), des violons jouant à cache-cache avec un bon vieux groove funky et un nom : John Shaft ! En 1971, Hayes signe la bande originale du film de Gordon Parks, Shaft, qu’il place d’entrée à la première place des charts R&B et pop.
Isaac Hayes Shaft
Il faut voir les choses comme ça: Hollywood allait très mal. Quelqu’un de futé là-bas a eu alors l’idée de faire des films pour le public noir pour toucher un nouveau marché. Avec des premiers rôles noirs, des réalisateurs noirs et aussi des compositeurs musicaux noirs. Et c’est là qu’ils ont pensé à moi. Je suis venu à L.A, j’ai écouté ce qu’ils avaient à me dire. «OK, je vais essayer» j’ai dit. J’ai rajouté: «je suis acteur aussi, je peux avoir un rôle?» «On verra», ils m’ont répondu. Bon, je n’ai pas eu de rôle, je me suis concentré sur la musique et j’ai bien fait. Comme personne ne me connaissait dans le milieu, ils ne m’ont pas fait confiance comme ça.
Isaac Hayes
Ces compositions, on les doit à Isaac Hayes, soulman historique du label Stax qui a commencé à redéfinir la black music avec des albums aussi révolutionnaires et envoûtants que Hot Buttered Soul en 1968 ou To Be Continued en 1971.
Isaac Hayes racontera plus tard : « Moi, ce que je voulais, c’était jouer dans le film, pas en écrire la musique. Le réalisateur Melvin Van Peebles avait ouvert la voie à la blaxploitation, ce courant hollywoodien qui rompait avec une tradition où seuls les rôles de chauffeur, de bonne à tout faire, de gardien de nuit étaient dévolus aux Noirs. Le héros, le réalisateur, les personnages, le langage de Shaft sont noirs ; il fallait que la musique soit l’œuvre d’un compositeur noir. Alors, pourquoi pas Isaac Hayes ? Lorsque le producteur m’a fait la proposition, la déception l’emporta. J’espérais un rôle. Mais vu l’effet bénéfique de ce disque sur ma carrière, il serait inconvenant de le renier aujourd’hui. »
Isaac Hayes
Les producteurs m’ont donné trois scènes du film pour que je les illustre en musique. La scène d’ouverture quand Shaft sort du métro, une autre scène où on le voit marcher dans Harlem et une troisième scène où il fait l’amour avec une femme. Ils me testaient! J’ai pris la bande à Memphis, j’ai écrit «L.A’s Love Theme» en une petite heure, je l’ai mis sur bande. «Soulsville» m’a pris une heure et demie, juste la musique pas les paroles et le thème principal de «Shaft» (le rythme seulement) deux heures. J’ai emmené tout ça à New York, je leur ai fait écouté le résultat. Ils m’ont dit: «OK, tu vas à Hollywood et tu commences à travailler». J’étais au milieu d’une tournée.
Isaac Hayes
Enregistrée en Californie avec les musicien des Bar-Kays (James Alexander, Willie Hall, Michael Toles) et son groupe The Movement, l’orchestre comprend la guitare de Charles Pitts, ami de Bo Diddley, la flûte de John Fonville… Mais aussi des choristes comme Telma Hopkins, qui a déjà travaillé avec Marvin Gaye et les Four Tops, ainsi que Pat Lewis (chanteuse pour Aretha Franklin, George Clinton).
En une journée, toute les parties rythmiques sont enregistrées. Le jour suivant viennent les cordes et cuivres, puis les voix durant une troisième journée. En six semaines, tout le travail est bouclé.
L’affaire a beau être un double album, l’épicentre du groove est condensé dans les 4’38 » du premier titre, Theme From Shaft. Une longue intro instrumentale travaillée à la pédale wah-wah, des ponctuations de cuivres funky comme jamais, des violons en peignoir de soie, quelques chœurs torrides, l’autoproclamé Moïse Noir du label Stax fait inconsciemment basculer la transe funk vers l’abîme hédoniste du disco. Autre point d’orgue : la version vocale de 19 mn 38 de « Do Your Thing », monumentale.
L’exercice de la bande-son oblige forcément à quelques thèmes d’ambiances (Walk from Regio’s, ou No name bar). Lorsque le compositeur se doit d’offrir les mélodies idéales pour démontrer toute l’attraction sexuelle dont John Shaft est capable, il donne quelques langoureux moments tels que Early morning Sunday et A friend’s place qui n’appellent qu’à se jeter au lit dans la minute.
Le week-end, je partais sur la route aux quatres coins du pays, à l’est, en Caroline du Nord, en Virginie, en Floride… et je retournais vite travailler sur la musique de «Shaft» pendant la semaine. Quand j’ai eu fini, il manquait encore toutes les rythmiques. Ils m’ont donné deux jours pour faire les rythmiques pour toutes les scènes ! Au bout du compte, ça ne nous a pris qu’un jour à peine ! Le lendemain, on enregistrait les cordes et les cuivres et pour ça, je m’y connaissais. Le surlendemain, ce fut le tour des voix. Mes chanteuses écrivaient leurs parties dans la limousine en chemin pour le studio. Là encore, il n’y a pas eu de problèmes.
Isaac Hayes
Au troisième jour, quand le producteur George Freeman est venu écouter le résultat, j’étais évidemment anxieux. Eux ne l’étaient pas, en tout cas ne le montraient pas. Ils ont aimé le résultat d’emblée et je suis reparti à Memphis pour rallonger les thèmes en vue du disque qu’ils allaient sortir. Voilà l’histoire de la musique de «Shaft».
Isaac Hayes
La plupart des compositions de la B.O. d’Isaac Hayes shaft ont été copieusement samplées : le « Thème » a été utilisé par Jay-Z, LL Cool J et Public Enemy, « Bumpy’s Lament » par Mobb Deep, « Walk From Regio’s » par les Beastie Boys, « Do Your Thing » par Big Daddy Kane.
La bande son Isaac Hayes Shaft ouvrira la voie aux autres films « blaxploitation » accompagnés de scores d’anthologie au premier rang desquelles Bobby Womack pour Accross 110th Street (1972) ou Curtis Mayfield dans Superfly (1973).
Sources : sleeve notes – www.franceinter.fr – www.cadenceinfo.com
###
CREDITS :
Enregistré en 1971 (Memphis Tennessee – USA) – Stax records
- Arranged By [Horns & Strings] – J.J. Johnson (tracks: A3), Johnny Allen (tracks: A1, A2, A4 to D2)
- Art Direction – The Graffiteria
- Backing Vocals – « Hot » « Buttered » & « Soul »*
- Bass Guitar – James Alexander, Ronald Hudson* (tracks: A5)
- Bongos, Congas [Congos] – Gary Jones (3)
- Copyist – Mickey Gregory, Onzie Horne*
- Creative Director – Larry Shaw
- Drums, Tambourine – Willie Hall
- Edited By – Daryl Williams
- Electric Piano – Lester Snell
- Engineer – Bobby Manuel, Dave Purple, Henry Bush, William Brown*
- Engineer [Re-mix] – Dave Purple, Ron Capone
- Lacquer Cut By – HC*
- Lead Guitar – Charles Pitts*, Michael Toles
- Performer [Rhythm Section] – The Bar-Kays*, The Movement*
- Piano – Sidney Kirk (tracks: A5)
- Piano, Vibraphone [Vibes], Organ, Electric Piano – Isaac Hayes
- Producer, Composed By, Performer, Arranged By [Horns & Strings] – Isaac Hayes
- Rhythm Guitar – Charles Pitts*, Michael Toles
- Strings, Horns – The Memphis Strings & Horns