Talking Timbuktu, paru en 1994, marque la rencontre au sommet entre Ry Cooder et le guitariste malien Ali Farka Touré. Chef-d’œuvre d’épure acoustique et d’arpèges cristallins, Talking Timbuktu illustre à merveille la beauté apaisée de sa région d’origine, entre fleuve et désert, tradition et modernité.
« Pour certains, parler de Tombouctou, c’est parler du bout du monde. Mais ce n’est pas vrai : je viens de la région de Tombouctou, et je peux affirmer que c’est le cœur du monde ». Ces mots, ce sont ceux du musicien, guitariste, cultivateur malien Ali Farka Touré, originaire de Niafunké, une petite ville lovée dans un coude du fleuve Niger à 300 kilomètres de Tombouctou.
Et c’est là, dans sa maison, qu’Ali Farka Touré a composé la majorité de son vaste répertoire, dont Martin Scorsese dira qu’il est « l’ADN du blues » lorsqu’il tourne le documentaire Du Mali au Mississippi (Feel Like Going Home).
Ali Farka Toure et Ry Cooder Talking Timbuktu
Et c’est là aussi, à Niafunké, qu’il compose les dix titres de ce qui deviendra son septième album, Talking Timbuktu, un disque majeur à la confluence des blues, sorti en 1994 chez World Circuit Records. Un nouveau souffle, et un succès mondial pour Ali Farka Touré, un disque récompensé d’un Grammy Awards l’année suivante.
Ce disque, c’est aussi l’histoire d’une rencontre. L’artiste malien aimait aussi dire que « le miel n’est jamais bon dans une seule bouche ». Et en 1992, l’une de ses tournées internationales l’amène à croiser la route d’un autre bluesman incontournable : le californien Ry Cooder.
Expert de la slide guitar (on l’a vu aux côtés des Rolling Stones ou de Neil Young), producteur de nombreux albums, pour lui et pour les autres (notamment le disque du Buena Vista Social Club en 1996), compositeur de musiques de films, Ry Cooder voyage beaucoup, et travaille avec des musiciens du monde entier (au Japon, en Inde, à Hawaï, en Irlande, au Mexique, ou encore au Mali).
La première graine de Talking Timbuktu est semé au détour d’une fin de soirée dans un backstage d’un club londonien en 1992. Les deux hommes estiment déjà le travail de l’autre, et ils se lient d’amitié lorsque Ry Cooder montre à Ali Farka Touré le tout premier instrument qu’il a fabriqué, un djerkel (un luth à une seule corde), qu’il finira d’ailleurs par lui offrir. Ils conviennent tous les deux de faire « quelque chose ensemble un jour ».
Quelques mois temps plus tard, Ry Cooder reçoit chez lui, à Los Angeles, une cassette signée Farka Touré, et s’imprègne pendant trois mois de ces dix morceaux en bambara, songhaï et tamasheq, et le « quelque chose ensemble un jour » devient Talking Timbuktu.
Il sera enregistré en seulement trois jours en 1993 chez Ry Cooder, ce qui sembla d’ailleurs presque un peu long à Ali Farka Touré qui aimait à dire qu’il avait enregistré ses albums The River et The Source en deux heures !
j’ai profité d’une tournée d’Ali aux États-Unis pour m’assurer de lui trouver trois jours de pause pas loin de chez Ry, et j’ai réservé un studio dans lequel il aimait travailler. On n’a eu qu’un jour de répétitions chez Ry avant la session. Et c’est tout. J’avais fait venir Clarence « Gatemouth » Brown, le guitariste et violoniste du Texas, parce que je pensais qu’il pouvait apporter quelque chose de différent. Ry de son côté avait appelé Jim Keltner, son batteur. Et voilà, ils ont enregistré ça d’un trait, très vite. (Nick Gold)
Ali Farka Touré joue avec une économie d’accords et de moyens, dégageant une sobriété élégante et hypnotique qui donne la trame de morceaux sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise.
Sa guitare acoustique, une simple calebasse et de frêles percussions sont les contrepoints parfaits à un chant magnétique et fiévreux, qui puise au sein d’anciennes traditions vocales.
« Ai Du », l’un des titres emblématiques du duo sur cet album, accompagné d’Oumar Touré (congas, choeur) et Hamma Sankaré (calebasse) qui sont membres d’Asco, le backing band maison d’Ali Farka Touré et des invités américains tels que le bluesman Clarence « Gatemouth » Brown (alto). « Ai Du » c’est un hymne à la rencontre, un titre qui dit que pour avoir confiance en son prochain, il faut d’abord avoir confiance en soi.
Ce qui m’a fasciné, c’était la manière dont Ry envisageait la prise de son. On était dans une des grandes pièces de cet immense studio, et il y a fait installer des micros au niveau du plafond pour capter l’ambiance de la pièce, ce qui a beaucoup compté dans le son final du disque. C’était intéressant pour moi parce qu’à l’époque, la mode était de mettre des micros au plus près de la source sonore, pour capter chaque instrument le plus précisément possible. Les ingénieurs du son voulaient tout contrôler et lors de l’enregistrement ils se targuaient de pouvoir isoler le son d’une guitare au milieu du bruit des autres instruments. Mais pour Ry, c’était le contraire : il voulait qu’on entende les interactions entre les musiciens dans la pièce, et il faisait en sorte qu’ils soient proches physiquement : lui et Ali étaient assis face à face de manière à ce que l’échange soit presque physique et que ça fasse naître une dynamique interne. (Nick Gold)
Des titres comme « Amandrai », dont les riffs de guitare électrique, signés Ry Cooder, nous plongent au cœur du Deep South, ou encore le fameux « Ai Du », porté par le violon plaintif d’un vétéran du blues, Clarence « Gatemouth » Brown, et une section rythmique des plus ciselées.
Mais on ne saurait réduire ce disque à cette seule dimension. D’ailleurs, Ali Farka Touré faisait peu de cas de cette étiquette. « C’est notre héritage tribal africain. L’appeler du “blues”, c’est votre problème. » Quelque mois après la sortie de l’album, Ry Cooder lui-même enfonçait le clou : « Je ne le vois plus du tout comme un musicien de blues. Pour moi, il est indomptable, il est aussi le dernier des authentiques musiciens traditionnels africains. »
Et d’un blues à l’autre, ils moissonnent ensemble ce que l’histoire a essaimé from Mali to Mississippi au fil d’une conversation à deux guitares où le respect mutuel et la joie de jouer ensemble font office de trait d’union.
Le succès de l’album préfigura le triomphe postérieur de World Circuit, le Buena Vista Social Club, qui reconduisit la production Gold/Cooder.
Sa popularité internationale au firmament, Ali choisit pourtant de retourner à sa terre dans le nord et il fallut que Gold y déplace un studio d’enregistrement mobile pour donner naissance au magnifique “Niafunké », en 1999. Suite à quoi Touré s’éloigna à nouveau du monde de la musique au profit d’activités agricoles autour de Niafunké, dont il fut élu maire en 2004.
Sources : The Pan African Music Magazine – RFI – www.jeuneafrique.com – www.qobuz.com – www.discogs.com – www.nova.fr
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CREDITS :
Enregistré en septembre 1993 au Ocean Way Recording Studio, Los Angeles – World Circuit Records
- Vocals, Electric Guitar, 6-String Banjo [Six String Banjo], Fiddle [Njarka]– Ali Farka Toure*
- Electric Guitar, Bass Guitar, Marimba, Accordion [Sample], Cümbüş, Mandoguitar [Electric], Acoustic Guitar [Toy], Slide Guitar [Electric] – Ry Cooder
- Calabash, Vocals – Hamma Sankare
- Congas, Chorus – Oumar Toure
- Acoustic Bass – John Patitucci
- Drums – Jim Keltner
- Electric Guitar, Viola – Clarence « Gatemouth » Brown
- Engineer [Assistant] – Jim Champagne
- Executive-Producer – Nick Gold
- Mastered By – Bernie Grundman
- Music By – Ali Farka Toure* (pistes : A1 to B4)
- Producer – Ry Cooder
- Recorded By, Mixed By – Mark Ettel