Gil Scott Heron et Brian Jackson, qui viennent de signer chez Arista, publient The First Minute Of A New Day en 1975, un pamphlet sociopolitique mordant, accompagné du Midnight Band, un combo free funk. Plutôt que d’afficher sa trogne en couverture, Gil propose un singe, son futur leitmotiv… plus préoccupé par son message que son image.
Nous sommes en 1975. Gil Scott-Heron et son partenaire, Brian Jackson, viennent de signer avec Arista records, la maison de disques de Clive Davis qui va faire connaître le duo bien au-delà d’un microcosme underground. Gil est même la toute première recrue de Davis que l’on imaginait plus volontiers dans l’univers des paillettes, et non dans celui de la rue afro-américaine ; c’est pourtant au futur producteur de Barry Manilow, Aretha Franklin, Whitney Houston et Luther Vandross que l’on doit la métamorphose de Scott- Heron & Brian Jackson en un tandem entre blues, funk qui part à la conquête des charts.
Gil Scott Heron & Brian Jackson – Midnight Band
The First Minute Of A New Day
Capitalisant sur le succès grandissant de leur association qui a connu son point culminant l’année d’avant avec l’excellent Winter in America, ils enregistrent leur premier album avec le groupe complet dont ils ont rêvé : le Midnight Band.
Quand Brian et moi avons débuté, on était des auteurs avant tout…c’est pour ça qu’on a mis des images de gorilles sur les pochettes, on était plus préoccupé par le fait de faire passer nos chansons… on se fichait pas mal de se mettre en avant …peu importe qui chante ces chansons, du moment que les gens les écoutent et les apprécient.
Gil Scott Heron
De ces premières sessions pour Arista résulte Midnight Band: the First Minute of a New Day. La patte du duo est évidemment présente tout au long de ces 9 compositions où Scott-Heron et Jackson – pas à proprement parler des musiciens qu’on peut enfermer dans leur petite case – font osciller l’ambiance entre funk, soul, jazz, blues et plus encore. On aurait pu craindre que l’addition d’une formation complète à la musique du duo ne vienne l’alourdir, il n’en est rien et le Midnight enrichi la fusion des compères à la perfection.
Bien entendu, l’élément déterminant de ce détonnant cocktail demeure la voix habitée de Gil et ses textes tour à tour spirituels (Offering), révolutionnaires (The Liberation Song) ou revendicatifs (Winter in America), autant de preuves de l’immense qualité de plume de Scott-Heron.
Il y a également de l’humour chez Gil Scott-Heron qui, au détour d’une performance de spoken-words glisse quelques excellentes vannes permettant de faire passer un texte qui – chez l’activiste de base – eût été lourd et didactique. Gil est plus malin que ça. Ecoutez « Pardon Our Analysis (We Beg Your Pardon) », une diatribe brillante contre la grâce de Nixon, enregistrée en public : « We beg your pardon america/because the pardon you gave/was not yours to give ».
Ce qui m’a d’abord frappé chez Gil, c’est son sens de l’humour. Ce type avait une façon très étrange de voir les choses. Il pouvait en dire plus en cinq mots que n’importe qui d’autre, et cela m’a toujours amusé. Il intégrait ce même sens du timing et de l’économie dans son écriture, en particulier dans ses paroles. Mais ce n’est pas tout, c’est aussi sa conscience sociale : la façon dont il exprimait sa vision des événements qui nous touchaient tous, que ce soit au niveau national, culturel ou ethnique. Il était toujours capable d’exprimer un point de vue très clair et solide.
Brian Jackson
Sur Winter In America (non inclus sur le précédent album dont c’était pourtant le titre) le poète à la voix monocorde décrit un paysage dévasté, celui d’un pays où jadis les Indiens accueillirent les premiers migrants « And all of the healers have been killed or betrayed/It’s winter, winter in America/And ain’t nobody fighting because nobody knows what to save. » (Et tous les guérisseurs ont été tués ou trahis, c’est l’hiver, l’hiver en Amérique, et personne ne se bat parce que personne ne sait quoi sauver.)
La voix de Gil est doublée par celle de Victor Brown, choriste du Midnight Band qui apparaît sur The Liberation Song (Red, Black And Green), Must Be Something et Western Sunrise.
Avec la conviction tranquille d’un sage qui voit venir l’apocalypse, Gil Scott-Heron se fait prêcheur et annonce clairement le rap militant qui sera plus tard développé dans des morceaux tels que The Message de Grandmaster Flash & The Furious Five, en 1982.
L’autre monument de ce disque exceptionnel est Ain’t No Such Thing As Superman, un appel à l’unité du peuple noir qui laisse une large place au saxophone de Bilal Sunni Ali.
The First Minute Of A New Day sera le début d’une relation féconde avec le label Arista. La charge antiapartheid sur l’album qui suivra From South Africa To South Carolina permettra d’élever le statut de l’auteur à celui d’un poète militant de la stature de Nina Simone. Son soutien pour les activistes écologistes de No Nuke transpirera ensuite sur le live It’s Your World. Que le succès dans les hit-parades se soit évaporé entre-temps est totalement secondaire.
Sources : www.rollingstone.com – https://daily.redbullmusicacademy.com – www.allmusic.com – www.telerama.fr – https://en.wikipedia.org – www.discogs.com
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CREDITS :
Enregistré en 1974 au D&B Sound, Silver Springs, Maryland – Arista Records
« Pardon Our Analysis (We Beg Your Pardon) » enregistré live à la New York University Dec. 1974
- Artwork By [Cover Paintings] – Iceman
- Bass – Danny Bowens (tracks: A1 to A4, B1 to B4)
- Drums [Traps] – O.D.* (tracks: A1 to A4, B1 to B4)
- Electric Piano – Gil Scott-Heron (tracks: B1, B2)
- Engineer – Jose Williams
- Featuring – The Midnight Band
- Flute – Bilal Sunni Ali* (tracks: A1, B1), Brian Jackson (tracks: B1, B2)
- Lyrics By – Bilal Sunni Ali* (tracks: B3), Scott-Heron* (tracks: A1 to A4, B1, B2, B4)
- Music By – Bilal Sunni Ali* (tracks: B3), B. Adams* (tracks: A3), B. Jackson* (tracks: A1 to A3, B4), D. Bowens* (tracks: A3), Scott-Heron* (tracks: A4, B1, B2)
- Photography [Liner Photos] – Carlton Flood, John Carter, Vik Roberts
- Piano – Brian Jackson (tracks: A1 to A4, B3, B4)
- Saxophone – Bilal Sunni Ali* (tracks: A2 to A4, B3)
- Vocals – Brian Jackson (tracks: A3), Gil Scott-Heron, Victor Brown (tracks: A1 to A3, B3)
PISTES :
- Offering » – 3:34
- « The Liberation Song (Red, Black and Green) » – 6:18
- « Must Be Something » (Jackson, Danny Bowens, Scott-Heron, Bob Adams) – 5:16
- « Ain’t No Such Thing As Superman » (Scott-Heron) – 4:13
- « Pardon Our Analysis (We Beg Your Pardon) » – 8:01
- « Guerilla » (Scott-Heron) – 7:49
- « Winter in America » (Scott-Heron) – 6:09
- « Western Sunrise » (Bilal Sunni Ali) – 5:16
- « Alluswe » – 5:04