Tony Bennett, artiste peintre et chanteur, est « l’intello » du style crooner, le plus rital des swingmen, le plus affable, le plus sympa et aussi l’un des plus doués. Frank Sinatra et les autres adoraient aller à ses spectacles, à tel point qu’on s’est mis à le surnommer « le chanteur pour les chanteurs » !
Tony Bennett, homme de goût, européen dans l’âme, n’échappe pas aux origines italiennes. Anthony Dominick Benedetto, de son vrai nom, né le 3 août 1926 à New York, a commencé sa carrière, comme beaucoup, par hasard.
Jeune, il fréquente la High School of Industrial Arts, où il s’adonne à ses deux passions : le chant et la peinture. En sortant de l’école, il est immédiatement conscrit et part faire les trois derniers mois de la guerre 39-45. Dans l’armée, il donne des concerts de jazz pour les troupes. À son retour, il commence à chanter dans les boîtes de nuit.
Son père étant mort jeune, il devient serveur pour que sa maman puisse arrêter de travailler. Dans le bar où il officie, on lui demande souvent de chanter. Dans les années 1940 il fera partie de la division chargée des spectacles dans l’armée américaine. À cette époque, il se passionne déjà pour la peinture, et peindra même des paysages français au gré de ses escales.
Son prof de dessin lui conseillera, justement, de continuer de chanter, mais en professionnel ! Tony s’investira alors complètement dans ce nouveau challenge et se fera remarquer en 1949, à l’occasion de l’une des nombreuses prospections de talents de l’époque (les fameux « radio-crochets »).
Influencé, comme tant d’autres, par Bing Crosby et Louis Armstrong qu’il entendait à la radio, le jeune Tony se passionnera surtout pour les grands du jazz, de Art Tatum à Stan Getz.
Dans un club de jazz de Philadelphie, il découvrira un soir la grande Billie Holiday, et ne l’oubliera jamais plus. Grâce à cette expérience et aux conseils de son prof de chant, il se désintéressera des chanteurs de radio pour écouter, et reproduire avec sa voix, le vibrato des grands jazzmen. Il sera ainsi le premier Blanc à chanter avec l’orchestre de Count Basie. Duke Ellington lui fera également l’honneur de l’accompagner.
Ses débuts chez Columbia records
Les débuts de Tony Bennett, dans la fin des années 1940, sont dus à l’animateur Bob Hope – qui lui accorde une place en lever de rideau et lui fait abandonner son premier nom d’artiste, « Joe Bari ». La firme Columbia lui propose immédiatement un contrat. Hélas ! le producteur de l’époque ne lui donne que des chansons de seconde catégorie (il s’agit du tristement célèbre Mitch Miller, que Sinatra détestera à vie pour des raisons similaires).
C’est grâce à l’arrangeur et chef d’orchestre Percy Faith, que les choses évolueront positivement. Son premier succès, intitulé Because Of You, marquera son style de chanteur capable d’envolées lyriques sur fond d’orchestrations à cordes. La suite, faite de succès enchaînés, marquera sa grande époque. Au début des années 1950, à la sortie de l’église St. Patrick de New York, où il vient de se marier, l’attendent deux mille jeunes femmes, toutes voilées de noir !
L’age d’or du crooner
Fin 1951, Tony Bennett obtient son premier hit avec « Because of You », suivi de la reprise d’Hank Williams, « Cold Cold Heart ». Les succès se suivent à une grande vitesse, faisant du crooner une véritable star avec les n°1 « Rags to Riches » et « Stranger in Paradise » et d’autres canons du genre comme « There’ll Be No Teardrops Tonight » et « Cinnamon Sinner ».
S’il doit affronter la tornade rock’n’roll qui déferle à la fin des années cinquante, Tony Bennett maintient sa cote de popularité avec « In the Middle of an Island » (1957) et ses performances dans des clubs jazz avec un répertoire de standards. Après le rythmé The Beat of My Heart, il enregistre et tourne avec Count Basie : Basie Swings, Bennett Sings est suivi d’un récital au Carnegie Hall et de l’album In Person With Count Basie and His Orchestra (1960).
En 1962, Tony Bennett crée la ballade « I Left My Heart in San Francisco » qui malgré un démarrage timide s’installe dans les charts pendant neuf mois et rapporte deux Grammy Awards à son interprète. Les années soixante sont pavées de succès pour Tony Bennett qui voit ses albums et singles garnir régulièrement les charts. Sortent notamment I Wanna Be Around… (1963, avec le morceau-titre et « The Good Life ») puis « Who Can I Turn To (When Nobody Needs Me) » et « If I Ruled the World », tirés de comédies musicales.
Tiraillé entre la variété, le jazz et les tentations pop rock, Tony Bennett cède à la mode de 1970 dans Tony Sings the Great Hits of Today! puis quitte Columbia pour Verve. Il enregistre un recueil des standards de Richard Rodgers et Lorenz Hart et collabore avec le pianiste et arrangeur Bill Evans pour Fantasy Records (The Tony Bennett/Bill Evans Album) ou son propre label Improv (Life Is Beautiful ; Together Again). Le duo se poursuit lors de tournées américaine et européenne.
Traversée du désert
Tony Bennett, comme beaucoup de crooners, vivra très mal les années 1980. Entre 1978 et 1986, il n’enregistre plus. Cet homme cultivé et élégant se voit relégué au rang des has been et ressemble malgré lui, pendant ses années, à ce crooner d’opérette ringard que Woody Allen stigmatise dans son film Broadway Danny Rose : l’histoire d’un crooner italien bedonnant et vieillissant…
Son amour du jazz lui permettra tout de même de continuer d’enregistrer. Dans les années 1980, des artistes tels que George Benson figureront dans l’un de ses albums, rares, où il chante avec une voix cassée et méconnaissable…
Dany, le fils de Tony, prend sa carrière en main et s’efforce de lui faire faire des 1e apparitions dans des émissions de télévision inattendues telles que le fameux Muppet Show, dont il devient l’une des mascottes ! Tony, avec sa bonne tête de Calabrais, fait rire et chante à l’occasion dans le show des marionnettes. Il est aussi l’invité de la série Les Simpson et du David Leterman Show !
Retour en grâce de Tony Bennett
Par un beau jour de l’année 1994, devant une salle bourrée de jeunes. Tony Bennett apparaît pour un concert live sur la chaîne MTV (MTV Unplugged Show), un programme généralement réservé aux jeunes stars de la pop et du rock ! Sa prestation sera une révélation pour le jeune public, séduit par cet homme en smoking qui « met le feu » à la salle et semble s’amuser avec ses copains musiciens !
Cette mémorable prestation, marquant le retour du grand crooner, a été fixée sur CD par la firme Sony sous le titre MTV Unplugged. Accompagné par son fidèle Ralph Sharon Trio, Tony connaît là un grand moment de grâce.
Dès lors, une deuxième carrière s’amorce pour le gentleman du swing : il enregistre une série d’albums en hommage aux grands compositeurs populaires américains ou encore à ses artistes préférés tels que Sinatra, Fred Astaire ou Billie Holiday.
L’Amérique lui refait la fête et ses tournées européennes reprennent ! Son premier album d’une longue série s’intitule « The Art Of Excellence » (Sony) et ses jeunes fans (de Elvis Costello à K.D. Lang) se pressent pour chanter en duo avec lui…
Après plus de 50 ans de carrière et autant de millions de disques vendus, Tony Bennett figure lui aussi parmi les immortels de la chanson populaire américaine, au même titre que ses idoles Bing Crosby et Nat King Cole.