L’idée de départ de West Side Story revient au chorégraphe Jerome Robbins qui souhaite faire une adaptation contemporaine de Roméo et Juliette dans les quartiers du Lower East Side de New York intitulé « East Side Story ». L’action se tiendrait au moment de la Pâque juive et catholique : les Montaigus seraient les catholiques, les Capulets, les juifs. » Mais le projet en reste là, Bernstein, Laurents et Robbins étant pris ailleurs.
Six ans plus tard, en août 1955, Bernstein et Laurents se retrouvent à l’Hôtel Beverly Hills, à Los Angeles, et, à l’aune de conflits ethniques en cours dans les quartiers mexicains de la ville californienne, rediscutent du projet de West Side Story.
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Nous nous enflammons à nouveau pour l’idée d’un Roméo, note Bernstein dans son journal. Mais nous avons abandonné l’idée maîtresse de l’opposition entre juifs et catholiques qui n’est pas nouvelle et nous sommes convenus de ce qui à mon avis va vraiment marcher : deux bandes rivales d’adolescents, l’une constituée de nouveaux arrivants portoricains, l’autre « d’Américains » de l’immigration blanche. Soudainement, tout prend vie : j’entends des rythmes et des pulsations, et, avant tout, je peux me faire une idée de l’architecture de la pièce.
Leonard Bernstein
Le travail commence. Un nouveau titre s’impose car, entre-temps, les bandes rivales sont passées du côté ouest de New York. Très vite, Bernstein pose les limites et les écueils de West Side Story : « Le problème principal est la fine démarcation entre opéra et Broadway, entre réalisme et poésie, entre ballet et « simple danse », entre abstrait et représentatif. Il faut éviter le côté spectacle « à thèse ». »
Cependant, la sophistication opératique de ce qu’écrit Bernstein inquiète ses collaborateurs : « Il y a une volonté concertée d’abandonner les aspects de la partition qui me sont les plus chers, les grands moments poétiques qu’on accuse d’être trop « opératiques » », soupire Bernstein dans son journal. Interrogé à ce sujet, Nigel Simeone, qui a fait un patient travail d’analyse des esquisses du compositeur, souligne : « On peut voir, par exemple, dans les manuscrits, des versions différentes pour la musique de « A Boy Like That – I Have a Love ». La version originale est très opératique alors que la réécriture de la version définitive est beaucoup plus resserrée… »
Leonard Bernstein était, à juste titre, fier de son travail, et prétendait qu’il avait dès le départ entièrement conçu sa partition sur un motif unique constitué de l’intervalle de quarte augmentée ou « triton » (les deux premières notes du thème « Maria »). Cet intervalle était nommé, au Moyen-Âge, « Diabolus in musica », en raison de sa couleur inquiétante qui, dans West Side Story, souligne la tragédie latente. « Ce motif deviendra une obsession pour Bernstein, confirme Nigel Simeone. Il a même écrit une page entière d’esquisses, toutes fondées sur des tritons, mais cette apparente cohérence fut plutôt le résultat d’un heureux accident que d’une stratégie compositionnelle délibérée. »
Car, en fait, l’idée de généraliser l’emploi de cet intervalle lui vient du parolier Stephen Sondheim. Comme tous les grands compositeurs, Bernstein était en effet un grand voleur – il a « piqué » dans la musique d’Aaron Copland, Paul Bowles et chez de nombreux autres plus fameux encore – et il avait l’art de l’accommodement de ses propres « restes » musicaux : le pianiste Michael Barrett, qui fut un proche de Bernstein, aime à rappeler l’un des mantras du compositeur : « Ne jetez rien ! Conservez-le. Vous finirez par lui trouver un usage ! »
West Side Story en est une illustration par son assemblage extraordinairement réussi de sources et d’influences diverses. Il y a l’intégration de chutes d’un ballet inédit de 1941, Conch Town ou de son opérette Candide, ou encore des imitations de Tchaïkovski : la chanson « Somewhere » s’inspire d’une mélodie du Lac des cygnes qui, elle-même, a un parfum hébraïque. On repère même ici ou là des sonneries de shofar, la trompette antique d’Israël.
De plus, Bernstein compose simultanément la Bande originale de West Side Story et Candide, ce qui conduit à certains échanges de matériel entre les deux œuvres : le duo de Tony et Maria One Hand, One Heart, par exemple, était initialement destiné à Cunégonde.
A l’automne 1956, alors que le spectacle est pratiquement terminé, tous les producteurs ont tourné le dos au projet, le jugeant trop noir et trop déprimant. Bernstein est découragé mais Sondheim persuade son ami Harold Prince de produire le spectacle.
Dans le même temps, Sondheim trouve Larry Kert et Chita Rivera qui créent respectivement les rôles de Tony et Anita. La mise en scène n’est pas toujours facile. Bernstein dira dans Rolling Stone : « Tout le monde nous disait que West Side Story était un projet impossible… Et on nous disait aussi que personne ne serait capable de chanter des quartes augmentées comme celles de « Ma-ri-a »… que la partition était trop harmonique pour de la musique populaire…
D’ailleurs, qui voudrait voir un spectacle dans lequel le rideau du premier acte se lève sur deux cadavres gisant sur la scène ? Et puis nous avons eu le problème vraiment difficile de la distribution, parce que les personnages devaient être en mesure non seulement de chanter mais de danser, de jouer et d’être pris pour des adolescents. En fin de compte, certains étaient des adolescents, certains avaient 21 ans, d’autres 30 mais avaient l’air d’en avoir 16. Certains étaient des chanteurs merveilleux, mais ne dansaient pas très bien, ou vice versa… et s’ils pouvaient faire les deux, ils ne savaient pas jouer. »
Finalement, presque toutes les voix des acteurs seront doublées, un même acteur étant parfois doublé par deux chanteurs différents.
Tout au long de la période de répétition, Leonard Bernstein se bat pour conserver l’intégrité de sa partition alors que les autres membres de l’équipe l’incitent à couper toujours plus et toujours plus largement des passages « opératiques » complexes. Columbia Records refuse tout d’abord d’enregistrer le cast recording, prétextant la difficulté et le caractère déprimant de la partition.
A quelques exceptions près, le livret original écrit par Laurents suit scrupuleusement la pièce Roméo et Juliette mais la langue pose un problème : les jurons sont rares dans le théâtre élisabéthain et il faut absolument éviter les expressions argotiques qui ne manqueraient pas de paraître « datées » au moment de la première.
Finalement, Laurents invente un langage aux sonorités proches de celles de la rue comme par exemple « cut the frabba-jabba » sorti tout droit de son imagination. Sondheim transforme en lyrics de longs passages dialogués, parfois juste une simple phrase comme « A boy like that would kill your brother ».
Les paroles du livret de Sondheim ont connu les ciseaux de la censure par rapport à la version de Broadway, notamment pour le morceau « America ». Lorsque la pièce fut jouée à Broadway en septembre 1957 pour une série de 732 représentations, des voix s’élevèrent pour dire qu' »America » était trop défavorable aux Portoricains.
Les textes furent donc changés pour la version Cinémascope, mettant l’accent sur le racisme et la discrimination dont les Portoricains sont victimes en Amérique.
Alors que Leonard Bernstein voyait tout en grand, et pensait plutôt composer la grande œuvre lyrique américaine révolutionnaire, moderne et populaire à la fois, Jerome Robbins et Laurents préféront le terme « théâtre lyrique ». Un label suffisamment vague pour ne pas trop connoter l’œuvre. »
Source : www.cadenceinfo.com – www.francemusique.fr – https://cultures-j.com
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CREDITS :
Enregistré entre 1960 et 1961 – NYC – Columbia
Conductor – Johnny Green / Lyrics By – Stephen Sondheim / Music By – Leonard Bernstein / Performer [Anita] – Rita Moreno / Performer [Bernado] – George Chakiris / Performer [Consuelo] – Yvonne Wilder / Performer [Francisca] – Joanne Miya / Performer [Ice] – Tucker Smith / Performer [Maria] – Natalie Wood / Performer [Riff] – Russ Tamblyn / Performer [Rosalia] – Suzie Kaye / Performer [Tony] – Richard Beymer